et pour moi, juste une colline...

jo-ann-chrolis

ET POUR MOI, JUSTE UNE COLLINE

Il me vient des images.

Des images rapides, saccadées comme un cœur qui bat.

Je passe de l’une à l’autre, mais j’ai l’impression de voir chaque détail. Ce sont des images très simples, des scènes de la vie de tous les jours.

Et ne pas voir plus loin n’a pas d’importance, je ne me sens pas moins valeureux si je ne conquiers que l’ordinaire.

Aujourd’hui, je ne veux impressionner que moi.

Il y a cette maison qui m’appelle depuis que je suis petit. Je me rappelle être passé devant, sur ma bicyclette jaune avec mes copains. C’est une de ces maisons de film d’horreur, avec des tourelles en bois sombre, la porte entr’ouverte après chaque orage, comme une gueule de monstre, on s’était inventé des histoires de revenants, d’âmes prisonnières et j’aimais ce frisson qui me gagnait. Je me suis promis d’y vivre un jour.

Je me vois repeindre la barrière en blanc.

Mon voisin, qui s’appelle Harry – quand j’y pense, c’est comme ça qu’il s’appelle- sort du garage au volant de sa familiale. Sa petite fille, des taches de soleil plein le visage a mis sa salopette en jean et me fait un signe de la main, sur le  siège arrière. Elle porte des lunettes de soleil en forme de cœur rose qui retiennent ses cheveux. Je lui réponds et nous nous sourions.

Harry pense « Quel brave type » et moi, je siffle.

Parce que la barrière est longue et que le soleil joue sur ma nuque et mon dos.

Il y a une coccinelle sur la gauche, presque à la hauteur de mes yeux. C’est une minuscule tache rouge sur la blancheur de la peinture et si je n’avais pas fait attention, je ne l’aurais peut être pas vue.

Je viens sûrement de trouver ma définition du bonheur.

J’ai un fils aussi. Il a un prénom plein de promesses mais je ne sais pas encore très bien lequel. Il est allongé sur l’herbe, la tête appuyée sur le flanc de son chien et il lui montre des licornes dans les nuages.

J’ai envie d’apprivoiser ce chat noir qui dort dans le creux de l’arbre. J’ai envie de perdre des heures à tenter de l’approcher. Je veux juste qu’un jour, il veuille que je reste là, assis à côté de lui, en silence, sans bouger.

Derrière la fenêtre, je vois ma femme en ombre chinoise. J’imagine ses mains qui remettent en place des mèches de cheveux un peu rouges. Elle s’appuie sur la rampe de l’escalier pour mettre ses chaussures. Je vois son regard fauve dans le miroir et je sens l’odeur de la crème au chèvrefeuille qu’elle met sur son visage.

Je veux boire une bière à Thanksgiving avec mon père sur les marches de ma maison et sentir son  genou contre le mien. Je veux qu’on entrechoque nos bouteilles et qu’il me sourie.

Vers onze heures, je ferai valser ma mère, jusqu’à ce qu’elle ait le tournis et elle se pendra à mon bras en riant.

Je ne veux pas accomplir de grand destin, je ne veux découvrir que le présent et m’émerveiller de mes découvertes : le vent, le soir d’été, la neige qui craque sur le sapin derrière la maison, les biches dans les forêts.

 Je veux juste être là….

C’est tout ce que je veux faire.

C’est d’ailleurs certainement ce que j’aurais fait.

Mais ce matin, le médecin a dit à mes parents que je ne me réveillerais jamais.

Alors, ils ont débranché la machine.

Et tandis que mon cœur s’arrête, ces images reviennent.

Et la barrière est si blanche….

22    juillet 1997

A M W.

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