Et si la première fois chez les psy...

Fanny Finet

rencontre énigmatique avec un psychanalyste

Il n'imaginait pas une séance chez le psy comme cela. Non, avant de s'y rendre, il s'était figuré une pièce, plutôt grande, des murs peints en gris, de ce gris clair que l'on retrouve dans tous les magazines un peu tendance de décoration. Des moulures au plafond, un meuble design, puis un homme, droit, des lèvres pincées, le regard neutre car trop habitué aux confessions de ses patients. Surtout pas d'empathie ni de tendresse, cela pourrait biaiser les confidences. Un professionnel quoi ! De ceux qui sont capables de garder leur calme quand un patient s'effondre, sanglote ou reste muet comme une carpe.

Mais tout est différent maintenant, l'homme qui l'accueille lui paraît âgé, un âge moins impressionnant que la quarantaine conquérante, un âge pour lequel il est facile d'imaginer un mal de dos ou une difficulté à se lever les jours froids et humides. Il n'apparait pas pour autant comme un homme diminué. Les rides de son visage témoignent d'une vie largement entamée, d'expériences vécues sûrement multiples et hétéroclites. Il se demande s'il a l'âge de son père, et cela le rassure d'une certaine manière. Ce côté paternaliste, la capacité à relativiser non pas pour minimiser la peine mais pour prendre du recul, se projeter dans l'avenir. Il n'a pas encore franchi le seuil de sa porte et déjà il opère un transfert, se dit-il en souriant.

La pièce dans laquelle il pénètre, précédé de cet homme, est plutôt petite, la taille que doit avoir son salon et pour tout dire, il habite dans un F2 assez exigu.

Le professeur paraît trop mince sous son veston noir, les épaulettes ne semblent pas très ajustées mais la chemise portée sans cravate et le col légèrement entrouvert lui donnent une allure décontractée. Très rapidement, il s'est assis sur son fauteuil, le fauteuil du psychanalyste, on dirait un prolongement de lui-même. Un tissu olive, un peu vieilli, clouté sur un bois acajou sculpté, une stature élégante qui lui donnent du coup beaucoup de classe.

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Vincent prend la parole :

Il m'a invité à m'asseoir juste en face de lui. Je n'étais pas très à l'aise. A vrai dire, je trouvais un peu ridicule de me retrouver assis en face de lui sans même un bureau pour nous séparer. Pour lui au contraire, cela lui semblait très naturel. Il a croisé les jambes et s'est appuyé légèrement sur le bras gauche de son fauteuil comme s'il s'accoudait pour mieux m'écouter.

Moi, je ne savais pas quoi faire de mes jambes, ni de mes mains d'ailleurs. C'est comme cela que je me suis retrouvé à changer plusieurs fois de position. Je sentais que je m'empourprais mais lui gardait son masque de bienveillance, il ne semblait pas s'irriter de ce petit manège, tel un chien tournant et retournant dans son panier pour trouver la bonne place.

Puis je me suis éclairci la voix, sans prononcer aucun mot. Je craignais qu'il ne se passe plus rien à partir de ce moment-là. Il a souri largement et m'a demandé simplement pourquoi il m'avait semblé important d'être ici.

Ah ben oui, dit comme cela, je pouvais parler. C'est vrai, je ne trouvais pas que la raison qui m'amenait ici était forcément légitime ou grave ou psychologique mais il m'avait semblé important d'en parler à quelqu'un d'autre que mon meilleur pote, ma mère ou mes collègues de bureau.

Il m'écoutait avec mansuétude, sa respiration était calme et profonde. Ses yeux d'un bleu délavé me fixaient, sa tête s'était penchée légèrement sur son épaule. Tous les voyants semblaient au vert, il fallait que je parle.

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Le professeur F hésite à prendre des notes, il sent le regard du patient braqué sur ses mains.

Patient intriguant. Il a l'air empêtré avec lui-même. Content et gêné d'être là. Je le sens prêt à se confier, il doit lui manquer les outils encore pour le faire mais ça va venir. Ce n'est que la première séance, de plus, c'est un néophyte, première fois qu'il consulte.

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« Alors voilà, vous devez avoir l'habitude docteur, euh faut-il que je vous appelle docteur ? Euh... oui l'habitude de quoi ? eh bien, l'habitude que l'on vienne pour vous raconter les rêves que l'on fait.

Voilà, c'est pour cela que je viens vous voir. Pas seulement pour vous raconter un rêve mais parce que mes rêves prennent plus de place dans ma vie que les expériences réelles, à tel point que je ne sais plus où je me trouve réellement »

Je me sentais idiot après avoir jeté ces quelques phrases, je n'avais encore rien dit de conséquent mais j'étais déjà épuisé comme si je venais de soutenir un discours à une audience plus qu'attentive.

« La nuit, voyez-vous, je résous les petits problèmes du quotidien que je n'ai pas pu résoudre par manque de temps ou de … spontanéité dans la journée. Jusque-là, rien de grave, encore que, je me surprends à me demander si j'ai fait certaines choses ou si je les ai rêvées. 

« Puis je rêve de tous mes amis proches ou éloignés, j'extrapole leurs vies, comme s'ils ne m'avaient pas tout dit et que je devais reconstituer un puzzle qui, il faut bien le dire, ne m'intéresse pas outre mesure. C'est très encombrant ! Lorsque les rêves sont anodins, tout va bien mais quand ils tournent au cauchemar j'ai le moral miné. 

« Ah, rêver de ma vie personnelle ? Oui ça m'arrive souvent aussi. Je m'autorise des agissements dans mes rêves qui seraient inenvisageables dans la réalité. Pourquoi sont-ils inenvisageables ? Parce que… parce que je n'ose pas, parce que je n'y songe même pas. Je suis parfois choqué de mon comportement dans ces rêves. J'ai l'impression d'abriter en moi un double qui n'aurait que mon enveloppe charnelle sans le système central…

«  Oui je fais aussi des rêves récurrents, parfois ce sont les décors qui reviennent, à d'autres moments seulement des situations que je revis en sachant que cela m'est déjà arrivé mais en étant toujours incapable de résoudre le problème. Je croyais que les rêves qui se répétaient devaient nous mettre en garde. Là, j'ai juste l'impression qu'ils me rendent fou et me fragilisent. Le matin quand je me réveille, ou la nuit, dans un sursaut, je me sens mal, incapable de comprendre le message, si tant est qu'il y en ait un.»

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Le patient évite soigneusement de me décrire ses rêves. Il reste dans des propos assez convenus, il généralise. Un patient intéressant qui semble prêt à tout dire, à coopérer et qui pourtant, habilement ne dit rien. N'est pas dans l'opposition, ni dans le déni, mais semble appliquer un filtre à ce qu'il vit pour atténuer la violence de ses angoisses. Et peut-être pour continuer de rêver continuellement.

*************

En revenant de cette séance, il se dit qu'il avait enfin résolu ses problèmes. Puis il se demanda instantanément pourquoi il se faisait cette réflexion puisque ce n'était que la première séance et qu'en plus il n'avait même pas décrit précisément ce rêve qui n'arrêtait pas de le tourmenter. En y repensant, il avait trouvé assez étrange que ce professeur prenne autant de notes sur ce carnet qu'il pouvait lire aisément d'un coup d'œil. Ce n'était pas très professionnel tout de même…

La frayeur s'insinua en lui lorsqu'il réalisa qu'il n'y avait aucune échappatoire possible. Sa gorge se durcit et il l'enserra de ses mains. Il voulut crier mais aucun son ne pouvait sortir. Il jeta sa tête en arrière ; ses gencives le démangèrent. Il eut soudain l'impression que ses dents se mettaient à pousser et qu'il n'y avait plus assez de place dans sa mâchoire pour les contenir toutes. Une pression terrible s'exerçait sur chacune d'elles et il sentit peu à peu qu'elles se fendillaient. Maintenant, il ne pouvait plus fermer la bouche et il crachait des morceaux d'émail. C'était vraiment horrible car il savait qu'elles ne repousseraient pas. Il n'osait imaginer comment les autres réagiraient à la vision de sa bouche édentée.

Il avait peur pour l'avenir, peur de ne pas être à la hauteur, peur d'être désarmé. Comment pourrait-il continuer à affronter la vie ? Sans ses dents, sans mordant … sans… « sans avoir les crocs ! » se dit-il finalement en se réveillant, trempé de sueur.

Revenu à lui, il pensa à haute voix. Ce psy, il faut vraiment que j'aille le voir. Oui, j'ai besoin d'aide.

  • Un rêve qui pose des questions sur le rêve... Bah ouai carrément. Ces psys ont la dent bien longue pour venir nous psychanalyser directement dans nos rêves ! J'aime bien le concept en tout cas, et ce petit style finnesque !

    · Il y a presque 10 ans ·
    Default user

    sideburns

    • oui oui, j'aime bien ces petits moments de suspension où l'on se demande si l'on rêve ou pas... ! merci pour le style "finesque", j'aime bien l'idée ;)

      · Il y a presque 10 ans ·
      Fanny

      Fanny Finet

  • J'aime ce rêve de dents qui se désacgégent, cette écriture nette et complexe en même temps qui saute d'un esprit à un autre. Cool !

    · Il y a presque 10 ans ·
    2014 08 19 2556 bd

    Arthur Sonam

    • merci à toi ! j'avais peur de ne pas réussir à sauter l'écriture d'un esprit à l'autre sans que les ficelles ne soient trop visibles, ça va apparemment .

      · Il y a presque 10 ans ·
      Fanny

      Fanny Finet

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