Cette douce vengeance qui ne mène nulle part...

Patrice Saucier

Une courte histoire de meurtre qui met en scène un frustré et un hacker.

C'est rigolo, mais tout ce sang qui coule de son crâne fendu par moult coups de clavier rend ma victime plus sympathique à mes yeux. Elle ferait fureur comme décoration d'Halloween ! Son corps tout déglingué dans ma rocaille, entre mes deux cèdres qui se meurent, elle aurait de quoi donner de belles frayeurs à tous les petits visiteurs du quartier !

On ne badine pas avec moi...

Lorsqu'on tente de me prendre par les sentiments, par exemple en menaçant de dévoiler mes secrets les plus intimes sur le web à condition de payer une rançon en bitcoins, je peux tout faire pour défendre mon intégrité, mon honneur, ma famille et tout le reste. Le numéro de carte de crédit, bien entendu, sans oublier les autres menaces : tous mes mots de passe, mes comptes-courriels, ma présence sur les réseaux sociaux, mes commentaires sur les blogues...

J'extrapole. Que voulez-vous, je suis comme ça. Méfiant.

Et cette brèche dans ma vie, cette brèche, cette intrusion malsaine, si je puis dire, provoquée pour me faire du mal, augmente ma méfiance. 

Et c'est toi, sinistre inconnu, qui en a payé le prix. 

Ne m'en veux surtout pas. Déjà que j'avais chaud rien qu'à l'idée de vivre une nouvelle réalité "d'exposé", il fallait que tu viennes me faire chier... 

Ce n'était pas prudent de ta part. D'abord parce que j'ai un cousin qui bosse dans l'informatique (classique) et qui se promène de temps à autre dans le Dark Web comme un ouvrier qui sillonne les égouts à la recherche de fissures à colmater et de rats à tuer ; ensuite parce que tu as osé appeler chez moi... À l'heure du repas, alors que je me retrouve en famille, avec ma femme qui délire sur tout et sur rien, avec mon fils autiste qui me pose mille et une questions sur Tintin et Le Petit prince, ainsi que mon chien qui préfère jouer avec sa pâtée plutôt que de la bouffer... voilà que tu m'appelles et que tu m'inondes de menaces d'une voix somme toute assez mielleuse. 

Me prenais-tu pour une hôtesse de téléphone rose ? Qu'importe ! Tu venais de négliger un petit détail : mon afficheur me donnait ton numéro de téléphone et ton nom de famille sur un plateau d'argent... Tu confirmais l'identité que mon cousin avait découvert. Quelle belle expression ! 

Je faisais semblant que tu étais un vendeur à la con. "Non, je ne suis pas intéressé... Non, sérieusement, j'ai tout ce qu'il me faut en journaux... L'édition en ligne du Figaro ne m'intéresse pas, monsieur... Ni celle de l'Huma ou de Libé, d'ailleurs... On lit le papier de père en fils ici" enterrait tes "donne-moi 100 sacs en bitcoins où je te liquide". 

-Qui c'était ? Demanda ma femme

-Le Figaro. Un abonnement presque de force. 

-Tu le reçois, pourtant.

-Je sais. Je ne comprends pas. 

+++

Toc, toc, toc

Je me sentais comme un gangster, sans l'étui à violon, ni le beau chapeau et la chaussure rouge. Mieux, je me sentais comme un justicier, bien entendu du côté des gentils. 

Et tu ouvris. La porte émit un grincement qui donnait malgré tout un certain atmosphère. Ta mort allait être belle. 

-Coucou, c'est le Figaro... 

Ton premier réflexe fut de fermer la porte. J'eus juste le temps de la bloquer et de forcer sa réouverture. Comme tu pouvais voir, j'avais plus de deux ans de crossfit dans les biceps. Tu ne pouvais rien contre moi... 

Or, en rouvrant la porte, tu perdis ton équilibre et, va savoir pourquoi, ton dos s'empala sur un vieux bougeoir d'inspiration médiévale en fer forgé. Et voilà, deux beaux trous dans le dos, heureusement un peu loin du coeur. 

Tu ne te plaignais, mais tu semblais transi par la peur. Sans doute la vue de tout ce sang qui s'échappait de ton corps et qui signifiait ton arrêt de mort dans quelques minutes. Je pris le temps de me rendre à ta chambre, de prendre le clavier de ton ordinateur et de t'achever comme tu le méritais. À grands coups d'AZERTY sur le crâne. Essoufflé, j'écrivis une note et la déposa sur ton torse. "Régine m'as tuer". J'ai voulus faire le comique. 

Et voilà. 

À présent, reprenons notre vie, shall we ? 

FIN, du moins pour l'instant.


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