ÉTRANGE VILLE

Collectif D'auteurs Atelier Les Cris De L'écrit

Atelier du 6 décembre 2016 - Geneviève

Comment expliquer qu'il y avait dans cette ville des jeunes de 96 ans dans les nouveaux quartiers et des vieillards de 18 ans dans les vieux quartiers ?

Ils avaient 50 ans environ quand la société qui les employait leur avait signifié leurs licenciements. Selon le DRH, ils seraient beaucoup mieux chez eux à regarder la télé. Ils avaient fait leur temps, la retraite était la meilleure solution pour eux. D'autant plus que pour l'image de la Société et de son objet social un personnel d'âge mur n'aurait pas été vendeur.

Les pourparlers, les procès, les jugements en appel, pourvoi en cassation se succédèrent pendant quelques années et, finalement, la société gagna naturellement.

Ces licenciés qui avaient créé des liens en se regroupant et en s'entraidant avaient décidé de se rassembler dans un quartier de la ville, assez près de l'usine de production, lieu de leur ancien gagne-pain. Tous avaient en effet dû vendre leurs maisons et avaient été obligés de retrouver un logement compatible avec leur petit budget. Ce quartier, classé « Seveso », n'était pas recherché, en conséquence les prix étaient accessibles pour eux.

Et puis, une explosion traversa le silence de la nuit, une lueur surgit des cheminées de l'usine et une pluie d'escarbilles s'échappa puis retomba sur leur quartier en milliers d'étoiles dorées.

Bien qu'il n'y ait eu aucun blessé, des analyses furent faites par des organismes publics ou privés scientifiques et sanitaires. Les médias s'étaient emparés de l'affaire, pensant détenir un scoop aux rebondissements multiples, mais très vite l'affaire n'intéressa plus personne. Aucune pollution, aucun trouble n'altérait ni la nature ni les hommes et bientôt tout fut oublié.

Pourtant, pourtant…. Quelques éléments étranges apparurent peu après cet évènement. Au début, on n'attribua pas ces bizarreries à l'incident. Quelques femmes qui avaient dépassé la soixantaine se retrouvèrent enceintes, la santé de personnes atteintes de maladies dégénératives s'améliora sans raison. Devenus inutiles, les appareils auditifs, lunettes, cannes et autres prothèses se retrouvèrent à la poubelle. Les visages rajeunissaient, les colonnes vertébrales se redressaient. On se remit à faire du sport dans le secteur : la gym douce et les exercices d'entretien se firent oublier au profit d'entraînements intensifs à la course, l'athlétisme et même l'haltérophilie avait ses adeptes !

Parallèlement, dans l'ancienne ville, la vie poursuivait son cours. Les salariés en activité dans la Société avaient dû travailler dur, très dur, après le problème survenu et ce quel que soit le service auquel ils étaient affectés. Les désordres avaient été nombreux, les dégâts importants tant en production qu'en administratif. Les personnes qui travaillaient à l'unité chargée de la conception des produits, avaient été obligées de repenser chaque composant, chaque étape depuis la création jusqu'à la commercialisation, en passant par le stockage et la distribution. Il avait été embauché de très jeunes surdoués afin de résoudre le plus rapidement possible les différentes difficultés survenues lors de cette nuit mémorable.

C'est ainsi que, fatigués par de nombreux tracas, soucieux de leurs responsabilités énormes, épuisés par les heures supplémentaires qui leur avaient été imposés, ces jeunes surdoués de 15-16 ans avaient, en 3 ou 4 ans, vieilli prématurément. Ils étaient marqués physiquement et psychiquement, vieillards avant l'âge, ils n'avaient ni le temps ni le courage d'aller voir, de l'autre côté de la ville, la population âgée du quartier neuf qui avait été recouvert par le nuage échappé de leur usine.

Au fait, l'objet social de la Société était : « la conception, la réalisation et la vente de produits transformés issus de cellules prélevées sur du liquide amniotique et ayant un pouvoir rajeunissant et revigorant ».

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