Etre une femme
Rébecca Brocardo
Il y avait de la violence à l'école que chacun évitait de regarder avec les yeux du courage. Une violence latente, banale, ignorée, quotidienne. Une violence urbaine pleine de cris, expression impétueuse d'une détresse inextinguible qui pousse, qui sort et s'amplifie, dans un corps qui se libère et se déchire, avec une envie de faire mal pour faire passer sa propre douleur, et des mots véhéments pour atténuer la peur de vivre, tranchant dans le vif de la blessure. Violence entre les élèves qui se forment et se mesurent les uns aux autres, découvrant leur force, leurs aptitudes, leur tempérament, leur catégorie socioprofessionnelle, et cet avenir menaçant. Violence du jeune qu'on aguiche, qui se fait allumer, qui n'obtient pas ce qu'il désire, qui croit ce qu'on lui dit et qui songe enfin à se venger. Violence de la société qui attaque les adolescents sans recul comme autant de petits sujets, stupides consommateurs d'images et de rêves, crème des cibles marketing. Violence du système, que le meilleur gagne et tant pis pour les autres, tant pis pour celui qui « n'a pas les bases », qui restera à la traîne sans que personne ne le repêche. Violence de l'histoire des Hommes, des conflits familiaux, des règles du groupe, du vol, de la drogue, de la honte. Tout cela à affronter.
Telle une course aux abîmes qui peut donner le tournis, Pauline vivait son adolescence comme un parcours d'obstacles mettant à l'épreuve une effroyable vulnérabilité. Fuir les esprits malsains partout, se tenir tranquille là, chercher des renforts ici, trouver un passage. Elle n'avait pas l'intention de blesser avant qu'on ne la blesse, pas plus de raisons de défaillir si on la soutenait. Elle lisait dans chaque incident un signe universel qu'il fallait déchiffrer et analyser pour en tirer des rapports de causes à effets. De là jaillissaient ces questions, comment, pourquoi ? Elle avait besoin d'un interlocuteur pour les poser : un adulte, un ami, un amant, n'importe qui mais qu'elle cesse de penser seule. Elle refusait de s'habituer à se réveiller chaque matin en victime. Mais elle était femme et tout laissait croire que la femme devait endurer, protéger et excuser. Elle voulait transmuer sa souffrance en héroïsme, un genre de lutte romantique de la féminité faite martyre. Une puissante volonté intérieure lui fit prendre conscience que certains hommes maltraitaient les femmes par faiblesse ou par méprise. Elle voulait s'aimer à travers les autres et finalement aimer les autres. Elle ne connaissait pas encore la stricte solitude de la vie de chaque être humain.