Evasion Nocturne
redstars
Elle a toujours aimé observer la ville lorsque la nuit l'enserrait délicatement de ses longs bras noirs, possessive et carnassière.
Assise sur le balcon, les jambes flottant dans le vide et les deux mains serrant avec rage la rambarde dont la rouille striait sa peau de légères marques sans gravité, il ne lui restait alors plus qu'à ouvrir ses grands yeux pour, le temps d'une nuit, reprendre enfin son souffle et, l'espace de quelques heures, se risquer à exister.
Quelques gouttes d'eau rescapées de la dernière pluie glissent encore du toit. Viennent cogner ses genoux osseux avant de ne se jeter plus profondément dans le vide.
Il semble y avoir quelque chose de sacré, que de contempler ainsi les immeubles s'éteindre au rythme de ces heures défilant, inaltérables et stoïques.
Petit à petit, l'ombre découvre ses larges ailes noires, et les petites lumières le long des tours qui, doucement, tel un essaim de lucioles timides, s'éveillent pour contrer l'obscurité.
Le ciel se découvre sous des traits lugubres, le bruit se fait religieux et l'ambiance devient solennelle. L'air frais caresse sa chair de poule tandis que son regard continue d'embrasser la ville aux mille visages.
Cependant, lorsque s'impose enfin la nuit, l'avantage est que l'on ne distingue plus même le sol lorsque l'on penche dangereusement la tête, se retenant fébrilement du bout des doigts contre le rebord pour ne pas tomber.
Tombera, tombera pas ?
Cap ou pas cap ?
Enfant, elle ne pouvait regarder en bas malgré toutes les contorsions alors expérimentées.
Elle détestait se sentir ainsi toute petite.
Trop petite.
Frustrée, elle se contentait alors de se mettre sur la pointe des pieds et se tordre de douleur pour apercevoir les petites formes colorées circulant sous ses pieds, comme des confettis asymétriques grouillant sous le son des klaxons.
De son côté, sa mère n'était pas souvent là. Chaque nuit, l'enfant se retrouvait ainsi, seule, les deux mains plaquées contre la baie vitrée la séparant du petit balcon, attirée et fascinée par cette ombre ayant le don de tout effacer comme par magie, même les pires souvenirs.
Effacer même ceux qui coloraient ses petites jambes de vilaines coulées de sang.
Aujourd'hui, non seulement elle peut apercevoir le sol et n'a plus peur de lui, mais elle n'hésite plus à s'asseoir sur le rebord ferré du haut de son donjon, envoûtée à l'idée qu'un simple faux mouvement pourrait empêcher jusque sa mère de l'identifier.
Mère. Un drôle de terme, se répète-elle souvent, pour définir celle qui depuis toujours l'enferme en haut de cette tour trop haute, la frappe de temps à autres à l'aide de la vieille poêle à frire, et se sert délibérément de son corps maigrichon pour gagner son argent, de l'aube au crépuscule.
Lorsque tombe le soir, la femme ferme la porte a clé et s'en va dépenser l'argent gagné, se noyant dans les plus forts alcools tout en laissant le fruit de ses entrailles étalé sur le carrelage, entre sang, semences entremêlées et vomissures.
Le cercle vicieux, comme le cercle du soleil.
Cela permet à la nuit de garder une saveur particulière, un certain goût de liberté.
La nuit, il n'y a ni mère, ni hommes, ni coups, ni insultes, ni viols.
La nuit il n'y a plus qu'elle et l'étendue de la ville irisée sous ses yeux, cette ville à la fois si inaccessible et si abordable, en un sens.
Alors que, ce soir, le soleil se meure une fois de plus, la jeune fille sent son corps lui revenir, son corps et ses idées, ses peurs, ses espoirs.
Son existence bafouée, rabaissée, soudain refait surface.
Une délicieuse odeur de solitude s'échappe alors que la porte d'entrée se ferme, laissant l'horizon morose s'étendre tel un rêve.
En haut de la tour, elle sait qu'elle peut toujours crier, personne ne l'entendra. Cela fait d'ailleurs quelques années qu'elle s'est résolue à accepter sa situation, ne sachant avec quoi comparer les journées entre hématomes et corps sales, comparer les nuits entre sérénité et repos.
Peut-être est-il trop tard pour imaginer comment cela pourrait être, comment vivent les autres.
De plus en plus, à chacune de ses expéditions nocturnes sur le balcon, la jeune fille se demande quand arrivera son soir.
Le soir où elle s'affranchira de ses barreaux et fuira son bourreau. Le soir où elle dévoilera enfin ses ailes.
Ce moment lui tarde.
Ce moment où elle escaladera la rambarde une dernière fois, et prête à mordre dans la plus pure des libertés, s'émancipant enfin, elle sautera.
Sinon y'a pas d'autres solutions que de sauter?
· Il y a environ 10 ans ·C'est triiiiiiiiiiiiiiiiiste.
dreamcatcher
C'est sa seule option pour se libérer... je sais pas trop écrire des trucs joyeux ;)
· Il y a environ 10 ans ·redstars
Euh bh oui mais non.
· Il y a environ 10 ans ·Oui j'avais remarqué :p Si ce n'est qu'une histoire, ça me dérange pas ..
dreamcatcher
Qu'une histoire, parmi tant d'autres :)
· Il y a environ 10 ans ·redstars