Evolution 2 (chap 4)

Daniel Macaud

- C’est ÇA mon vaisseau ?
- Dis donc la dauf’...
- Oui je sais, j’étais prévenue... Mais là... Il va tenir jusqu’à Titan ?
- Evidemment ! C’est moi qui l’ai entièrement révisé et remonté !
- Ah...
 
Le mutant qui lui parlait avait une vague appartenance aux tatous. Sa petite tête, dont les yeux semblaient fureter partout, était posée sur un corps trapu, lui-même enveloppé dans une salopette trop grande, qui débordait de clés et d’outils divers. Il jeta un regard courroucé à Androucha.
- Jamais aucun de mes bébés n’est tombé en rade, alors c’est pas demain la veille que ça va arriver ! Pigé la dauf’ ?
- Bon bon, t’énerves pas.

Androucha détaillait l’engin qui venait de se poser aux abords de la rivière, sur la seule clairière entourée de forêt des environs. Des morceaux de tôles rapiécés de partout, une étrange fumée jaune s’échappait de la trappe moteur, et la sortie du réacteur semblait avoir été fabriquée à la main. Le mutant en faisait l’article.
- Cette petite merveille te mènera ou tu veux, suffit de lui demander gentiment, et de pas tomber sur des humains. En gros, tu peux aller à la base, mais pour aller sur une autre planète de la colonie... Ben ça va être délicat, il est pas armé, et l’hyperaccélération est débranchée, y’a un court circuit. Pour la sortie réacteur, t’en fais pas, j’ai adapté une sortie de chasseur humain. Ils sont doués pour les machines ces gens là !

Androucha regretta de ne pas avoir insisté pour emprunter un chasseur terrien. Si seulement Stago n’avait pas détruit le sien ! Elle soupira.
- Tant que tu m’assures qu’il me mènera jusqu’à la lune...
- Evidement ! Grogna le mécanicien. Bon t’embarque ?
- Euh... Oui... J’aurais juste aimé dire au revoir à Braid... Tant pis.

Elle embarqua. A l’intérieur, le cockpit était encore plus étrange, voire... effrayant. Des fils dépassaient de partout, des bouts de plastiques manquaient ça et là, laissant apparaître les cartes informatiques, et les commandes manuelles avaient du jeu.
- fais gaffe au contrôle de refroidissement, fit le mécanicien alors que le cockpit se refermait.
- Il a tendance à chauffer ? Railla Androucha.
- Euh... Oui.
- Et merde, pensa-t-elle. Bon, ben, comme le disent les humains, à la grâce de Dieu.

L’engin bariolé laissa exploser le hoquet suffocant de son réacteur, et s’envola dans le ciel de fin de journée. Étrangement, il ne vibrait pas trop, et les commandes répondaient bien. Elle se retrouva très vite dans l’espace, en direction de la petite lune de la planète 232. Elle activa sa signature numérique et attendit la réponse de la base.

Le vide noir faisait de la place au soleil et à la planète elle-même. Maintenant, elle pouvait la voir. Depuis l’espace, toutes les planètes habitables se ressemblaient plus ou moins. Plus ou moins bleues et vertes selon la proportion d’eau que contenait chacune d’elle. Depuis qu’elle était enquêtrice, Androucha avait souvent vu les colonies de Pégase. Environ une dizaine de planètes. Chaque fois, elle avait du receuillir des informations sur les agissements de humains des colonies, revenir à la base Titan, faire son rapport, et rentrer sur Terre, prendre une autre mission. Presque de la routine. Sauf cette fois. Tout était parti de ce rapport d’escarmouche. Devoncha était l’un des meilleurs enquêteurs de la commission. Quand il avait une intuition, il la suivait, et toujours, il trouvait quelque chose d’important. C’est lui qui avait mis Androucha sur la piste des hommes mutants. Et puis il avait disparu. La commission avait alors demandé à Androucha de se rendre sur la planète 232...

Androucha sursauta intérieurement. Pourquoi la 232, alors qu’il avait disparu dans le secteur de la planète 51 ? La commission ne pouvait pas s’être trompée ! Il y avait une raison précise qui les avait poussé à lui demander de se rendre là-bas. C’était certain.
- Devoncha... Tu devais avoir compris quelque chose, mais quoi ?

Le reste du trajet fut rapide. Titan répondit, et prit le contrôle à distance du vaisseau pour le guidage. Comme à chaque fois, le spectacle était impressionnant. Une énorme brèche s’ouvrait, laissant apparaître les entrailles d’acier et de lumière de la lune, dans lesquels s’engouffrait le vaisseau. La base Titan, au fil des années, était devenue la base elle-même, au vu et au su des humains. l’absence de toute possibilité d'écosystème, et de vie, faisait de la lune un endroit inintéressant pour les humains. Ce qu’ils n’avaient pas vu, en revanche, c’était la forte concentration de matériaux dans les couches profonde de la lune. Du fer, du titane, des métaux précieux, des minerais par centaines de tonnes. Voila qui avait permis au mutants d’exploiter la lune et d’en faire une base avancée, totalement souterraine et invisible. Le coeur de la lune lui-même, qui avait une activité radioactive, était utilisé comme source d'énergie.

Androucha se retrouva chez elle. L’immense brèche se referma derrière elle, et son petit vaisseau brinquebalant se retrouva arrimé à un dock pressurisé. Chaque Dock d’arrimage était conçu comme un hangar ou les vaisseaux venaient se poser. Une fois la porte du hangar fermé, la pression était rétablie, et l’on pouvait respirer librement dedans. Les plus gros vaisseaux, les porteurs et croiseurs, s’arrimaient à des docks passerelles, qui ressemblaient à de gros tubes, concus pour se coller aux parois des vaisseaux. La maintenance de toute la base était confiée aux androïdes. Depuis la révolte des damnés, ils avaient tous fuis les humains, ou bien les humains les avaient tous chassés, c’était selon le point de vue. Le fait étant qu’avec l’aide des robots, la base s’était considérablement agrandie en à quelques années, les robots pouvant travailler sans contrainte dans un environnement hostile à toute vie, et ce, sans relâche.

Androucha sortit du vaisseau, sous le regard impassible du robot chargé de la maintenance. Celui-ci fixait l’engin avec insistance, et si il avait pu, son visage aurait exprimé l’incompréhension la plus totale face à un véritable mystère: comment une pareille chose avait pu voler sans s’autodétruire ? Elle eut un petit sourire, et lui demanda de le réparer au mieux, et de l’armer au passage. Le robot s’éxécuta aussitôt, et Androucha sortit du hangar pour se rendre à la salle de réunion où on l’attendait.

Devant l’assemblée des sages, elle concentra son rapport sur les derniers évènements, la découverte des hommes mutants, et la mutinerie des terriens qui allaient maintenant protéger les rescapés humains. Elle insista sur la demande d’aide qu’avait formulé Braid, et précisa que pour le moment, les terriens n’avaient pas de vélléités à l’égard des mutants. La guerre semblaient se faire entre deux camps: la colonie de Pégase, et la Terre. Les sages écoutèrent attentivement. l’un d’eux prit finalement la parole.
- Nous te remercions pour ce message Androucha. Nous enverrons des secours sur la planète 232 avant le retour des terriens. Nos amis peuvent compter sur notre aide. La découverte des hommes mutants est importante, et comme l’a justement pressenti Braid, leur existence pourrait jouer un role majeur dans le futur, pour établir des relations plus pacifiques avec les humains. Tu as fait du bon travail.
- Merci à vous. J’ai une question à vous soumettre.
- Oui ?
- Devoncha a disparu dans le secteur de la planète 51. L’humain de la Terre que j’ai interrogé m’a dit qu’il avait été capturé, et qu’il avait donné des informations capitale à l’ennemi, informations qui leur ont permis de défaire la commission sur Terre, est-ce vrai ?
- En effet, répondit tristement le sage. On peut raisonnablement penser qu’il a été torturé, et tué, nous en sommes désolé pour toi.
- L’humain m’a dit qu’il s’était rendu de lui-même. La fameuse escarmouche n’aurait été qu’une bataille entre mutants pour empêcher mon frère de rencontrer l'ennemi, est-ce vrai ?
- Comment peux-tu croire une telle chose ? C’était ton frère. Ce sont des paroles de l’ennemi. Ne penses-tu pas qu’il t’a menti, comme tous les humains savent le faire ?

Androucha ne répondit pas. Bien sûr qu’elle avait d’abord pensé à cette éventualité. Bien sûr que cette réponse avait été sa première réaction. Mais elle devait en avoir le coeur net. Et surtout, les autres révélations de l’humain étaient vraies.
- Je dois prendre en compte toutes les possibilités. Je dois savoir. Je dois me rendre sur la planète 51.
- Nous ne pouvons accéder à ta demande Androucha. Nous savons tous que la perte de ton frère te touche beaucoup, mais comprends-nous. Nous ne voulons pas te perdre aussi.
- j’insiste, s’il vous plait. Mon frère avait compris quelque chose d’important. je dois savoir quoi. Et surtout... Une partie de ce que m’a dit cet humain est vrai, alors je dois vérifier ses dires.
- Androucha ! Tonna le sage. Comment oses-tu croire un ennemi ? Les humains sont des monstres de violences et de haine ! Te laisserais-tu aveugler par la colère ? Ou bien... Nous aurais-tu caché quelque chose ? Comme l’existence d’une armure ?
- Quoi ? Comment le savez-vous ? Qu’est-ce que vous ne m’avez pas dit ?
- Cela suffit Androucha. Tu n’iras pas trouver cette arme. Nos équipes sont à sa recherche sur la planète 51. Ton frère nous a trahi, et nous te soupçonnons de vouloir faire la même chose ! Tu es donc relevée de tes fonctions d’enquêteur. Tu peux disposer.

Androucha ne répondit pas. Elle avait un coup d’avance sur eux. L’humain avait donc raison. Elle ressortit de la salle de réunion, la tête basse, sans un mot. Elle se sentit trahie. Trahie et humiliée. Dans la salle de réunion, les dix sages discutaient.
- Elle sait quelque chose.
- La commission n’aurait pas du l’envoyer là-bas.
- Cela aurait été suspect si elle ne l’avait pas fait.
- Qu’a-t-elle pu trouver, si loin de l’origine des évènements ?
- Pensez-vous que Devoncha ait pu lui envoyer un message ?
- Nous sommes certains que non.
- Que savons-nous sur la chute de la commission ?
- Devoncha a effectivement donné les coordonnées de la base sur Terre.
- Ils ont eu juste le temps de fuir. Ils sont maintenant en sécurité sur la planète 121.
- Il y a eu des morts ?
- Très peu. Assez pour que les humains pensent la guerre finie.
- Et sur la planète 51 ?
- Aucune trace de l’armure. Mais la découverte d’un curieux artefact occupe nos équipes. Ils espèrent en savoir plus rapidement.
- Que fait-on d’Androucha ?
- Nous la renvoyons sur 232. Elle aidera la communauté à repousser les terriens.
- Bien. Agissons ainsi.

***


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