Explosion artistique - Prologue
dorkitty
Je contemplais les doigts de ma main droite, effarée. Ils étaient écarlates. Pendant un instant, je ne pensais qu’à ce détail étrange. Je ne savais plus qui j’étais, où j’étais. Rien d’autre ne comptait que cette couleur rouge qui s’étendait jusqu’à mon poignet. Du sang. Soudain, je me souvins.
Je m'appelle Camille Lechamps, célèbre critique d'oeuvres d'art. J'ai reçu une invitation de la part d'une vieil artiste qui avait décidé d'arrêter sa carrière. Ce Charles Duvval disait avoir une dernière exposition à montrer. D'après lui, elle serait explosive. J'ai donc accepté, doublement contente parce que Nathan Vermeil, un beau et talentueux critique comme moi m'accompagnait. Je craque complètement pour lui.
Nous nous sommes donc rendus dans cette nouvelle galerie, en ville. Les salles d'exposition sont réparties sur cinq étages, tel une pièce-montée. C'est original. Hélas, Charles nous a demandé de patienter un instant, nous invitant à nous sustenter. Les murs du rée-de-chaussée étaient nus et froids. Seule une belle table nous offrait de la chaleur, par l'odeur alléchante de ses victuailles. Nous avons donc mangé, bu et ri, en compagnie d'autres critiques et artistes divers.
Une amie de notre hôte, Marine Dumoyer, nous confiait que cette exposition devait être le summum de la carrière de Charles. Elle le connaissait suffisamment pour que nous la croyions. Sous ses compliments, nous sentions qu'elle était également impatiente de découvrir les oeuvres.
Je commençais à m'ennuyer lorsque Charles daigna de nous escorter jusqu'à la porte menant aux étages. Enfin ! Je m'approchai de Nathan, profitant d'être serrée contre lui, sentant les effluves de son parfum. Je n'entendis que vaguement le discours de l'artiste, qui se disait ravi que nous soyions là pour prendre part à son exposition. L'odeur de mon collègue me donnait d'étranges idées. J'avais envie de mordre dans son cou pour m'imprégner plus encore de sa fragrance.
Je me suis ressaisie et nous sommes tous montés au premier. Nous sommes avancés et avant que nous ne nous rendions compte qu'il n'y avait aucune oeuvre, Charles avait fermé la porte. Verrouillée. La suite reste floue. J'ai entendu un cri, qui provenait de la gorge de Jean, un artiste morderne. Il s'est jeté sur Marine, la mordant au bras gauche. Les autres n'avaient même pas réagi. Ils étaient restés plantés là. Moi aussi.
Puis ce fut l'anarchie. Imaginez une orgie d'une trentaine de personnes. Cela y ressemblait sauf que les protagonistes tentaient de s'arracher des morceaux de peau. Bizarrement, je ressentais le besoin de me nourrir d'eux. Et ça me faisait peur. Que nous arrivait-il ? Pourquoi devions-nous nous bouffer ? Je n'arrivais plus à penser.
Déjà une tâche de sang s’étalait sur le mur devant moi. Quelques gouttes parsemaient le pourtour de la tâche, dessinant quelque forme que l’on aurait pu qualifiée de moderne si elle n’était pas composée de fluide vital. On aurait dit qu’un ballon avait éclaté, répandant son contenu en une masse anarchique. Je me mis à trembler.
Nous nous bouffions mutuellement. Nous allions mourir.
Certains d'entre nous s'étaient enfuis dans le labyrinthe, espérant échapper à la douleur. Lorsqu'un homme me mordit à la clavicule, j'ai imité les autres. Je me souviens lui avait donné un coup de genou là où ça faisait mal. J'ai couru, ignorant les cris qui résonnaient dans la grande salle. Je ne savais pas où tous les autres étaient passés. Et je ne voulais pas savoir.
Je me suis arrêtée, la tête me tournant subitement. Je sentais des sueurs froides glisser le long de mon dos. Je me suis laissée tomber à terre, ébranlée par ce qu'il s'était produit. Une soirée sympa, avec de la bonne bouffe, tournait au drame. Mon coeur rata un battement.
La bouffe. Empoisonnée ?
Un bruit de course me parvint aux oreilles. Cela me fit dresser sur mes pieds. Chancelante, je tentai de savoir si les pas venaient vers moi. C'était un vrai labyrinthe. Nous étions pris au piège. Pour sortir, il fallait monter jusqu'au cinquième et descendre grâce à l'ascenceur. J'avais vu le plan. Mais comment faire, quand on avait une horde d'hommes et de femmes affamés ?
Je devais, pour survivre et sortir d’ici, me battre, même si je devais moi-même tous les dévorer. Peut-être pas Nathan. D’ailleurs, mon ventre gronda subitement. La faim s’insinuait en moi. Je levai ma main droite et léchai le sang sur l’un de mes doigts. Le bruit de course semblait ne pas être loin.
Le festin pouvait commencer.