EXTRA-TERRESTE

yl5

Ancien texte

 

 

Le 21 juin dernier en soirée, en quête pour ma nouvelle charpente de branches de bois pétrifié capables de résister à la prochaine tempête, et aussi de fossiles de nummulites pour un projet de mosaïque éphémère, je me suis rendu sur le site isolé de la future zone industrielle de la Seigneurie, ancien marécage en cours de remblaiement.

Vers 22H00 en fouillant un tas différent, fraîchement benné, je découvris sous le sable jaune de Cuise, des morceaux d'une roche moins commune que le diamant.

Cette rareté, fantasme des pétromanes, porte le doux nom de poudingue de Coye-La-Forêt.

Constitué de rognons de silex multicolores liés par un grès rouge, ce conglomérat des champs, plagie maladroitement le béton rouillé années 1960, ou le nougat sauce ketchup,

Au bout de quelques instants je dégageai une curiosité : une racine longue d'une vingtaine de centimètres qui en croissant avait englobé un morceau de poudingue taillé en triangle.

Dans un premier temps, je crus avoir déterré un outil emmanché du néolithique, imaginant tenir dans la main un proto-marteau picard d'apparat, ou un charmant bâton de chaman.

Emu à en trembloter, je jouissais intérieurement, et ma raison s'éclipsa.

Inconsciemment, je voulus le montrer au soleil que les nuages commençaient à border, en l'invoquant gentiment pour qu'il puisse rester encore vaillant une heure ou deux, le temps de purger ses fouilles si curieuses.

Fixant l'horizon, j'éternuai et éberlué assistai à la réalisation de mon souhait.

La lumière regagnait en intensité, et les oiseaux repartaient razzier le banc tournoyant des pentamères et autres animalcules volants non identifiés.

Les quelques touffes de fleurs, sortant des terres végétales issues des décapages précédant l'édification des pavillons de complaisance nés des blotissements environnants, se redressaient et de retour exhalaient.

Une piqûre de moustique me réveilla, et je vis à l'ouest un gros tube lumineux qui stationnait depuis quelques minutes au-dessus du marais mourant.

Ensuite le cigare effectua sa descente sans bruit ni fumée, tout en se rétrécissant de façon à atterrir sur une aire déjà goudronnée.

La porte en forme de soufflet ovoïde, s'ouvrit et en dégoulina une bulle gélatineuse qui en s'écoulant le long de l'échelle tel un cocon mobile, se mua en elfe, s'affina et au total devint un être adulte mais jeune semblable en mince à nous autres. Devant ce phénomène, je me grattai les deux coudes forés simultanément par de braves mères moustiques cherchant la pitance de leurs petits, et je pensai : " Faut-il donner une pinte de son sang à un Garreta ou une gouttelette aux représentantes d'une des espèces les plus persécutées par les humains.

Combien faudra-t-il encore de moustiques morts pour que l'on comprenne qu'ils veulent aussi à l'instar des gens vivre et rire ailleurs que dans les marais ?

D'ailleurs je connais même un moustique mystique qui se nourrit de vin de messe."

Cette pensée classée, je passai sans bien savoir à ce qui m'arrivait sur place.

L'autre m'ayant vu me gratter fit le même geste, donc pour converser, il allait falloir jouer des coudes, et comme mon prof de coude était manchot, cela devait limiter les échanges à des brèves de comptoir, en levant les coudes ainsi.

Je me risquais à parler et oh ! Surprise l'autre répétait en m'imitant jusqu'aux postillons.

Son corps se transforma, mon long jumeau naquit, miroir holographique palpable.

Les doigts dans nos nez, par la pensée nos cerveaux s'échangèrent leurs informations.

J'appris entre autres que ce visiteur anonyme pouvait réorganiser son corps à volonté prenant toutes les formes, y compris les plus immatérielles. Lui n'apprit pas grand chose.

Ainsi assimilé, je compris la cause de notre halte.

L'équipage de l'astronef de la base YLHIC recherchait depuis Montmartre du carburant.

En panne sèche, il détecta dans la vase de la berge du marais des possibilités de ravitaillement et choisit de s'y poser.

Fonctionnant au silicium enrichi, il put avec le poudingue trouvé sur place refaire les niveaux pour regagner sa planète.

Les cales pleines, les coudes grattés, les doigts lavés, nous partîmes tard souper à Lannion.

A table je lui montrai une reproduction d'une Vénus antique, sa pose fut très fidèle.

Vue l'heure on a grignoté ce qu'il y eut mais on s'est régalé.

Avant de regagner en volant son grand véhicule, légèrement gaie, transformée en bise, elle m'a complimenté : " Extra, tes restes ".

 

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