Extrait 22, into the wild (or not)

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Aujourd'hui, le chapitre, sera spécial parce qu'il s'immisce dans un épisode très particulier de notre dernier road trip aux USA [...] et qui a été quelque déclenché par le film "Into the wild" de Sean Penn. 

         Ce movie, inspiré des propos rapportés par Jonh Krakauer dans son livre du même nom, retrace la vie de Chris Mc Candless, un jeune américain brillant qui décide de se retirer de la société consumériste pour vivre l'aventure à l'instar de ses écrivains vadrouilleurs favoris dont il dévore les récits. Objectif : Alaska. Sous un pseudonyme un brin prétentieux (mais on lui pardonne), Alex Supertramp, parcourra son cher pays, à la recherche de l'authentique et du vrai, d'une manière de vivre proche de son idéal de pensée. Oh ! Il n'a pas été ni le premier ni le dernier, des baroudeurs, des vagabonds, des conquérants, des explorateurs, des plus fous, il y en a eu à la pelle, mais son exigence à lui et sa recherche de l'absolu nous ont complètement chavirés. Touchés coulés. Résultat, les mouchoirs, l'essuie-tout ou la manche de mon pull ne sont jamais loin à la fin du film, même si j'en connais le sort funeste. C'est comme Titanic, quoi… pour rester dans la métaphore filée. Tout le monde sait que l'insubmersible va se faire submerger, mais tout le monde gueule à ce con de Jack de se foutre sur une planche lui aussi au lieu de pouponner Rose. Bref, c'est ainsi que, à bord de notre van que nous nommerons Goudurix en partie à cause de cette excursion, nous avons décidé sur un coup de tête, de nous enfiler 5000 bornes de plus dans les roues pour monter jusqu'en Alaska.

                Car le Stampede trail, le trek proche du magnifique parc du Denali (qu'on a à peine exploré vu qu'on est tombés en panne après cet épisode) est devenu depuis un chemin foulé par de nombreux voyageurs portés par cet émouvant récit, qui vibrent tous de la même idée : retrouver ce fameux bus 142 où le jeune homme, a trouvé refuge et le repos final, il y a 25 ans. Je nous revois alors, rouler vers cet Alaska lointain, imaginant déjà notre effort, et notre émoi de fouler de nos pieds le sol du tas de ferraille. Oui, après tant d'années, il doit pas clinquer ni rutiler le minibus. Je me rappelle relire des passages forts du livre, en tentant de déguiser mes reniflements en augmentant le volume du poste audio. En vain hélas, car on ne peut guère cacher grand-chose après tant d'heures confinées dans un habitat de la taille d'une buanderie. Nous avions même poussé le vice à nous mater une énième fois le film, emmitouflés dans nos sacs de couchage, derrière une bibliothèque où nous captions une pauvre misérable barre de wifi. Ah, il pouvait se moquer le farfadet, mais il avait lui aussi l'émotion bien vive ce soir-là, et les yeux qui piquaient, et je vous garantis que ce n'était pas dû à des oignons coupés pour faire des lasagnes. Je vous rappelle qu'en van, il faut revoir ses exigences culinaires à la baisse.

             L'entrée du Stampede n'est pas difficile à trouver, l'aventure n'est pas encore là, et on s'engage, fébriles, sur l'ancienne piste qui n'offre, sur des dizaines de kilomètres, que des successions de cailloux et de trous béants que Goudurix tente docilement d'éviter, adoptant une allure si lente qu'on aurait pu tout autant marcher à côté. Ca nous aurait évité la crainte d'y laisser notre minivan à chaque nouveau pan de route cabossée. Soudain, au loin, une longue silhouette se détache, déambulant en sens inverse, dégingandée, comme déboussolée. C'est un Italien qui ne parle pas grand-mot d'anglais et aucun français, on essaye de lui demander en espagnol (logique !) s'il a réussi à aller jusqu'au bout. « Magic bus ! Magic bus ! » nous lance-t-il, l'air épuisé. On ne sait pas s'il nous comprend bien mais il nous assène une nouvelle plutôt mauvaise. L'eau de la rivière à franchir pour atteindre le vieil autocar lui arrive au torse, et vu sa taille élancée, cela veut dire qu'en gros je n'ai pas pied ! Alors, imaginez ça, en plein mois d'Août, en Alaska, dans une eau intrépide sur une vingtaine de mètres… Nos chances de pouvoir atteindre le lieu devenu presque sacré s'amenuisent fortement. En même temps, cela fait deux semaines qu'il ne cesse de pleuvoir dans la région… Qu'à cela ne tienne, c'est pas une vulgaire rivière qui va nous barrer la route ! Nous poursuivons la nôtre, dans l'incertitude la plus totale.

              Nous arrivons enfin au point de chute et au point de départ de la randonnée, là où les  voitures n'ont plus accès. Le temps est grisâtre, les chemins marécageux… Tout nous passe par la tête : on-est-venus-jusqu'ici, il-faut-aller-au-bout/c'est-trop-dangereux, la rivière-sera-trop-tumultueuse/des-personnes-se-sont-fait-emporter-et-il-y-a-déjà-eu-des-accidents-mortels/on-est-des-aventuriers-ou-bien/l'eau-doit-être-froide-quand-même/c'est-quoi-20-mètres-à-se-peler-le-jonc-dans-une-vie???Mon compagnon, sûr de sa vaillance grâce aux tutos visionnés qui pullulent sur la toile pour apprendre comment affronter les impérieux courants de la Teklanika river me propose de se lancer seul dans la randonnée, pendant que je l'attendrais au même endroit, avec la popote et des mailles à tricoter. Comme ça, ajoute-t-il, sérieux, s'il ne revient pas après 2 jours, je peux lancer les secours ! Sa proposition, louable, fut de suite jetée en pâtures aux ours. Entre-temps, nous avions quand même commencé la randonnée sur de ridicules mètres, parfumés à l'anti-moustiques, et avions rebroussé chemin au bout de quelques minutes, nos pieds s'enfonçant lamentablement dans la boue. L'Italien n'avait pas menti, le niveau de l'eau doit vraiment être élevé.  C‘est sur ces entrefaites, en amère frustration, que débarque un couple d'Anglais, poussé par la même envie de toucher du doigt les derniers instants de Christopher Mc Candless. Ensemble, nous (re)tergiversons : les garçons se motiveraient presque à partir en expédition le lendemain tandis que nous les filles, camperions de l'autre côté de la rivière… Deux jeunes femmes nous passent devant, avec des seaux à la main. Si elles, elles peuvent franchir la rivière, pourquoi pas nous ? Face au doute, nous sortons le Jim Beam Ghost, et nous commençons alors, autour d'un feu de bois, à deviser sur le sort de ce jeune qui aurait pu être tout autre, à se résigner aux caprices de la nature et à taire ceux des hommes. Peu après, les jeunes filles reviennent, heureuses d'avoir récolté de nombreuses baies. J'espère qu'elles ne se sont pas plantées, certaines sont fatales.

           Brusquement, deux hommes apparaissent, plutôt massifs et bien bâtis, et surtout, sacrément bien équipés, de quoi rendre Sylvester Stallone jaloux. Pantalons coupe-vent, coupe-eau, coupe-faim, coupe-coupe, veste déperlante, lame de couteau apparente, en un mot : les warriors du wild. Visiblement las, ils acceptent avec gratitude et large sourire de boire une lichette de whisky au goulot. Trois jours qu'ils sont près de la rivière. Trois jours qu'ils ont observé les flots, arpenté les sentiers, attendu le moment adéquat pour traverser et tenté de braver l'indomptable cours d'eau. En vain. Frémissement, soulagement parmi l'assemblée. Si EUX, qui ont à leur actif quelques IRON MAN, et je parle pas du big blockbuster mais bien de cette épreuve de dingos (3,8 kms à la nage, un marathon + 180 bornes en vélo), n'ont pas jugé faisable de franchir la Teklanika à ce moment-là, alors, on n'a plus de regrets à avoir. Avec nos têtes enfarinées, nos tentes quechua, nos boîtes de pois chiches, on en faisait une belle paire d'aventuriers. Mu par un frisson soudain, mon compagnon, brûle, pour le symbole, une coupure d'un dollar. Notre dernier espoir s'envole avec les braises du billet qui s'étiole dans les flammes. It was just not meant to be. C'est tout.

                 De cette expédition manquée, nous nous souviendrons de cette soirée agréable au coin d'un feu, de l'unicité de ce moment partagé en bonne compagnie, à boire à la santé de ce jeune Alex Supertamp, si proches de lui mais à la fois si loin, dans la fraîcheur d'une nuit d'été d'Alaska, au milieu d'une nature aux abords paisibles, mais aux cours d'eau tourmentés, où trônent des élans sauvages et des grizzlis… into the wild.

         Epilogue : On apprit deux jours plus tard, que l'Italien, n'était pas allé jusqu'au bout non plus… mais pour ceux bloqués par cette rivière, le bus du film, lui, est planté dans la cour d'un resto très populaire à Healy… Illusion d'optique assurée ! A l'intérieur, des clichés de Chris, et des extraits de son journal scannés, comme un humble musée à la portée de tous, parce qu'il aurait sans doute préféré, au lieu de tenter le diable, qu'on apprenne de ses erreurs à lui…

       

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