extrait pièce LE PIANISTE

matthias-desmoulin

Le

      Pianiste

Sans

Piano

-I-

 

 

 

 

 

 

 

 

- l’autre -

            Ne crois pas me rendre un grand hommage si tu laisses ma mort devenir « le » grand évènement de ta vie. Recherche plutôt la pureté.

[musique]

- le pianiste -

            Les clowns électroniques ne rigolent pas tous les jours ! Des deux soleils, l’un dors et l’autre arrose de ces photons, tout le cosmos.

            Il est une histoire unique. Une histoire pas chère. Une histoire sans tragédie, ni gloire. Juste une action violente dans l’immobilité inexorable. Cette histoire …

            Est-ce moi ou l’endroit qui flotte ? Est-ce une erreur ? Étais-je déjà mort avant d’avoir refusé de vivre ? Existe-t-il tant de couleurs dans mes yeux pour que tu me le fasses croire ?

[musique]

- l’être suprême -

            Qu’il est beau !

Il porte ses bottes alors qu’opèrent le flux et le reflux sous ses yeux étonnés.

Qu’il est brillant !

L’avenir meurt à contre jour.

Son piano sombre sombre en criant de toutes ses cordes. Le beau pianiste s’interroge alors sur l’utilité de son corps débile_ de ses doigts agiles_ sans cette machine. Le piano est fait d’une mécanique métaphysique. Les forces se transforment en magie. La machine à écrire du son. L’automobile du cerveau ...

La joliesse lui procure de la stupeur. La beauté de la tempête lui fait ressentir un manque insondable et immonde.

- l’autre -

Ne fait pas de la mort un évènement.

- l’être suprême -

            Et le piano plonge. Il s’enfonce dans les obscures profondeurs. Calmes et inquiétants abysses. Tombeaux limpides. Sépultures inaltérables.

            Il se souvient de sa naissance. Son prime souffle, son prime cri. Une souffrance abominable ! Puis son deuxième jour : le jour des yeux verts d’Adélaïde. L’amour. Le troisième jour, il découvrit les végétaux. Le quatrième : les animaux. Le cinquième jour, il vit un humain. Le sixième il se vit lui-même. Le septième jour, pour la première fois, il entendit un piano dans l’air. Il s’en souvient si nettement ! ! ! Comment oublier Bach en janvier.

[musique]

- le pianiste -

            J’écoute en planant.

J’écoute les fourmis dans leur nid

            J’entends les œufs du serpent couvés dans une chaleur étouffante, presque mortelle.

Regarder les mouettes par la fenêtre.

            Manger un cadavre.

            Pleurer le ressac.

            Mesurer la pression atmosphérique avec le bout de mes doigts.

            Mon piano n’est plus ! Il hurle dans les tympans de mes souvenirs. J’ai retrouvé mes yeux ; je ne veux pas voir. Je n’en ai pas besoin, ni tant d’entendre non plus ; besoin de toucher. Une preuve de l’ivoir et de l’ébène, la peau enfin si douce de mon vieux compagnon.

[musique]

- l’autre -

            L’artiste sidéral possède Néant. Mais il communique avec Tout. Des termites aigues. Il sait et tait. Quand il ignore il cause de ...

            Il veut. Il aime. L’humaniste au grand coeur .

[musique]

- l’être suprême -

            Si les mers sont salées ; c’est que les pianistes sans piano y pleurent. Ils y vomissent leurs cafés noirs au cognac. Ils y avortent. Si les chemins de fer sont loin des mers ; c’est parce que les pianistes sans piano à queue ne prennent pas le train. Ils sont devenus trop pervers, trop égoïstes, trop malades. Ils préfèrent chevaucher les mouettes. Ils mangent des baleines, comme pour violer leur peine. La tristesse de leur piano noyé. Comme par vengeance, ils n’aiment que la surface ; ils se moquent des courants du fond.

[musique]

- le pianiste -

            Les femmes des pianistes sans piano … sont des …

- l’autre -

            Des femmes ? ? ?

- Le pianiste -

            Non … J’ai un hippocampe. Mais les vrais amours des pianistes sans piano … sont …

- l’autre -

            Des fourmis ! ! !

Cette tempête qui gronde derechef a du bon : plus de piano, plus de questions. Vide de là, plein d’ici. (en délirant) Qui m’aime me suive. (en délirant encore plus) Honni soit qui mal y pense ! ! !

[musique]

- le pianiste -

            Soit la bienvenue, tempête ! mon instrument s’échouera peut être. Bienvenu ! ! !

- l’être suprême -

            Mais le piano est sur le fond. Il s’en fiche, lui, de la frénésie de la surface, de ses tremblements. Il attend.

- le pianiste -

            Mon berger allemand parti en vacances ; je suis seul. Et si mon piano fait surface … Mais comment ? Un calendrier et un cendrier volants m’en font la démonstration. Je ne comprends rien : c’est bien.

- l’autre -

            Piano waterproof ? ? ? Et ce cendrier est bien mal renseigné ! ! !

-II-

- l’être suprême -

(en criant) RIEN ! ! !

- le pianiste -

            Un phare ! ! ! Hum ! et alors ? ? ?

- l’autre -

Un phare fort. Un phare sans fard.

- l’être suprême -

Un phare au pied marin. Sans main ni pieds. Mais à l’essence sous-marine. Un refuge tellement haut ! mais un abri fort bas… muni d’une lumière centrifuge et du vent de fortune. Une maison phallique. Un vase sans rose. Un fût sans vin. Une cigarette sans fumée. Le microphone du ressac. Le négligé des ermites. Le téléscope de Dieu qui voit sur les côtés.

[musique]

- le pianiste -

            hum …

            Et si ça se trouve un piano se trouve dans ce bâtiment haut ? ? ?

Un fantôme me rassure

            Un noctambule m’inquiète ; un gardien.

            Une flûte m’excite.

            Un pinceau me tend la main.

            Un Lunien vient.

            L’hippocampe me suit, l’hippopotame me fuit.

            Bach et Beethoven se confondent dans ma mémoire auditive.

[musique]

 

- l’autre -

            La faim, parfois, fait fuir les télépathes hallucinés et géants. Mais les bols fumants tournent sur les tatamis lisses. Les oiseaux piaillent au vent des rythmes ennemis. L’hippocampe tait. Les pinceaux me guident dans l’escalier en colimaçon. Qui mène à la vigie. Le noctambule-gardien n’a pas eu le courage de grimper. La flûte vole derrière moi. Le Lunien est déjà au sommet. Le fantôme et les animaux vaquent à leurs occupations : déjà installés ! ! !  Il y a plein d’armes inutiles dans chaque pièce.

-       l’être suprême –

Deux humains, mâle et femelle, rebondissent sur des cubes multicolores mais translucides qui flottent dans l’air. Ils tournoient autour de la tour et flottent à la surface, pourtant agitée, de la mer. Ils ont l’air joyeux. Quelle diablerie est-ce là ?

[musique]

- le pianiste -

(s’adressant au couple) Moi, le pianiste sans piano, puis-je sauter et rebondir ainsi que vous le faites ? Puis-je lâcher mon pinceau-flûte pour, libre, oublier ces fausses notes de couleur. Puis-je danser comme vous ? Puis-je glisser à la surface des vagues ? Ai-je droit d’aimer ? Suis-je aussi libre que vous ? Où sommes-nous ?

- l’autre -

            Mais, joue, donc, de la flûte ; ça fait flotter ! ! ! Ça flotte, ça floue. Les cubes sont reliés entre eux par des flux très concrets. Envole toi sur celui qui te plaît le plus et tu trouveras le chemin. Cesse ce rôle d’histrion. Gomme cette froide matité : brille donc !

- le pianiste -

            Oui, mais, Beethoven, lui … humm … son troisième concerto ? ? ?

Ses concerti ? ? ? La flûte ne s’y prête guère. Même pour la guerre des ombres. Même en période d’épidémie de lèpre ou de famine. Et puis comment apprendre à marcher à mon âge ? comment vivre encore en étant si libre ?

[musique]

- l’autre -

            Toi l’envoyé de Dieu !

            « Yà rasul Ilah yà man (7 fois) »Viens hic et nunc. Sors de ton phare. Et danse les chemins qui mènent au désert. Chante des refrains de paix. Oublie ceux qui parlent trop à la télévision ou dans ton entourage. Ils mentent tous ! 

            Ils mentent si bien qu’on croirait qu’ils aiment la vie.

            Pose tes bagages ! ! !

Ils parlent ; c’est qu’ils n’y connaissent pas grand chose. Ecoute celui qui se tait : lui seul à quelquechose de sûr à te transmettre. Beethoen ne se fiait pas à son oreille !  Fuit l’épouvante.

[musique]

- le pianiste -

            Je sors, je vole et je rebondis. Et … Je ne trouve aucun chemin. C’est un piège de couleur, un piège de joie, un piège à fou !

            Et puis, je re-rentre là. J’entends, je joue et je chante le ressac, dans l’isolement de mon ermitage cylindrique. Ventre hermétique. Je suis seul à peindre ce que je crois voir ; sans piano, ni cadavre, ni végétation…juste quelques chauves-souris à l’envers. Tout est si logique dans ce calme ! La musique est partout dans cet apparent-silence. La lumière est nulle part, la fenêtre est partout.

            Je sais tout. Puisque je sais ne rien savoir. Et puis je me tais tant ! Que j’oublie qu’il ya d’autres fenêtres. Et  …

- l’être suprême -

            En effet ! Oui !

            Le génie des pianistes sans piano c’est qu’ils ont compris qu’il faut apprendre la philosophie avant les mathématiques. Les mathématiques avant les tables de multiplication. Les tables de multiplication avant d’apprendre l’écriture. Mais surtout la poésie avant tout ! ! !

 Ils savent qu’il faut savoir produire avant de pouvoir se reproduire. Savoir produire avant de vouloir reproduire, avant de savoir reproduire. La reproduction est une production. La production est l’art suprême. La musique est la parole de Dieu. Et les compositeurs sont les lèvres sur lesquels ont peut lire le message de Dieu. Il faut donc apprendre à ne plus considérer la forme mais apprécier le silence à remplir.

[musique]

 

- le pianiste -

 

            Dix années que je colore dans ce haut phare. J’ai de quoi produire à présent … et j’ai bien compris la fugue. Et je mets entre les barres de mesure. Je ne connais plus ni début ni fin,  ni grand ni petit, ni agréable ni laid . . .

- l’autre -

            Marche donc dans une autre vie … enfin ! et attends la décadence pour prédire.

Tourne les pages de plomb. Laisse ton berger allemand en vacances. Sors et abandonne cette verge artificielle en pierre, aux giro-lumières sans message. Regarde la nature vraie. L’immobilité du lac, le bruit de la mare, écoute le ressac et le remoule du torrent. Ecoute la réverbération de la forêt après la pluie.

- III -

- le pianiste - (avec figurante nue)

            J’ai bougé ! ! ! (le smoking de concert un peu défagotté)

            Après dix ans enfermé dans ce phare plein de vide et de couleurs glauques : je bouge enfin. Je suis dans une chambre rouge de velours. Une pièce remplie de Shalimar, d’une svelte nudité féminine, d’une vodka on the rock.

Boire une bière tiède ? Non !

Champagne ? Champagne !

Trop dur, trop cher, trop bon, …,

On a les moyen, vieux.

Oui

Mais … la solitude ? ? ?

[musique]

 

 - l’être suprême -

            Candide, les pianistes sans piano voyagent en se déplaçant. Mais en voilier, forcément.

[musique]

- le pianiste -

            Elles sont mortes les fumées. La production ne vient guère.

[improvisation, avec les cordes du piano. gratté par l’autre et le pianiste au pédales]

 

            Mon piano ne s’est toujours pas échoué. Je ne joue plus de flûte ni ne peint plus rien. Ici, c’est mon corps nu qui écrit les gestes qu’elle aime.

            Je chante encore. Je chante toujours.

            Je ne danse que si le vent …

            Je note que quand la pluie …

            Je ne compose qu’au chaud…en rêve.

- l’autre -

            Et il fait bon pour la saison !

            Qu’elle se rhabillât et qu’elle disparaisse ! Que le décor s’évanouisse !

            (figurante : out)

[musique]

 

- l’être suprême -

            Les pianistes sans piano jouissent de rien

            S’ils chutent de leurs mouettes ils se mettent à chevaucher des escargots. Et en vacances ils montent des licornes bleues.

            Fragrances de vanille et plus légèrement de chèvrefeuille.

            (en criant) le génocide des facteurs de piano est pour bientôt. Ils gueuleront les cormorans !

            Comment apprécier la vie si l’on est dépourvu de lunettes, de télescopes, de microscopes …

- l’autre -

Mais … Et les taupes sont sous les mottes. Sous les mottes. Sous les mottes. Sous les mottes.

Pourquoi flotte-t-il ce piano ?

Est-il fait de bois de flûte ?

Ça diffère selon les rayons. Selon les rayons de couleur ; ça diffère. Et … hum …

Et selon les formes, les rayons diffèrent, et ça change tout !

            Mais quoi ? Qui diffère ? Qui change ? Qui est-ce qui bouge ? Qu’est ce qui bouge ? Qui est-ce qui est fixe ? qu’est ce qui est fixe ?

            Le cœur souffrant des cannibales végétariens, des hashishiens pacifistes, des opiomanes catholiques, des peintres de la place du Tertre.

- l’être suprême -

Les pianistes sans piano savent bien que ce qui tombe, comme poussière, sur le sol, y reste s’ils ne font pas bien le ménage.

- l’autre -

Si la lumière est rouge : c’est la fin

            S’il fume un « Davidoff » : c’est le matin

- le pianiste -

hum …

            Les cloches sonnent-elles pour secourir mon piano ? sonnent-elles le glas. Pourtant même les mouettes ne l’ont pas becquetés.

            Compter …

            Compter jusqu’à l’infini. Voilà un loisir …  Hum …

            Chanter dans toutes les mesures, sur toutes les rythmiques, dans chaque harmonie.

Hum …

            Danser un mélange de tango et de rock’n’roll : la polonaise pornographique.

            Maintenant je travaille dans le goudron !

-l’autre-

Bon …

Quoi ?

Quoi ?

            Alors, cette pièce …

            Cette pièce bleue et orange … si nous y mettions un tableau ? oh … et puis à quoi bon ? Non ! Mettons plutôt des singes, des girafes, des chats … Mais, pas de piliers de comptoirs. Mettons des étagères sans livre, mais avec des souvenirs, des cartes postales de notre vie, des petites boîtes vides.

-IV-

-le pianiste-

            Dormais-je ?

            Mais je dormais !!!

            Enfin, je me reposais. Pourquoi le chacal hurle-t-il si tôt. J’aurai bien fais une grasse matinée.

-l’autre-

            Parce que j’existe.

Et le pianiste joue : 

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