Extrait "Yrmeline ou le chant des pierres"

Bleuette Diot

Extrait tiré du chapitre 12

La veille, Malberg avait occupé toute sa journée à rassembler ce qu’il jugeait nécessaire d’emporter avec lui afin de descendre sans encombre dans la crypte dissimulée sous la chapelle. Tempérant son impatience, il vaqua à ses préparatifs jusqu’au mitan du jour. Avant de partir, il prit soin de recommander son âme à Dieu comme s’il ne devait jamais revenir de cette folle expédition. Aussi se recueillit-il longuement au pied de l’autel, dans l’oratoire privé de son manoir.

Afin de passer inaperçu, Lanz avait préféré se rendre sur les lieux à la tombée de la nuit, s’assurant tout au long du trajet de n’être point suivi. Arrivé à destination, il dissimula son cheval derrière l’écran d’un boqueteau. Quittant ensuite l’ombre protectrice de la végétation, il traversa rapidement l’espace fouaillé de lune qui entourait l’édifice. Une nuit dense habitait la chapelle Saint Pierre. Tenant sa lanterne sourde haut levée, Lanz s’aventura prudemment à l’intérieur des ruines, tous les sens en alerte.

Le sanctuaire était désert et parfaitement silencieux. Le jeune homme tranquillisé déposa alors sa besace, sa corde de chanvre et ses flambeaux dans un coin puis, entreprit méthodiquement ses recherches au rayonnement diffus de son lumignon. Il explora chaque parcelle des larges pierres irrégulières du mur, examina soigneusement les piliers, de bas en haut. Dans la pénombre, ses mains palpaient les moindres contours, les plus petits détails. Rien. Aucun système d’ouverture ne semblait devoir libérer un quelconque passage occulte. Lanz soupira d’exaspération. Cependant, il restait déterminé à aller jusqu’au bout de ses investigations. Marquant une pause pour réfléchir, il s’assit sur un morceau brisé d’un linteau gisant au sol, les yeux braqués sur le trou noir et béant du mur dans lequel il avait vu disparaître les rats, deux jours plus tôt.

Soudain, une lueur éphémère y passa, éclairant la faille de l’intérieur, l’espace d’un bref instant.

Lanz se leva d’un bond. Ses entrailles tressaillirent. Les pulsations de son sang cognaient à ses tempes. Alarmé, il éteignit précipitamment sa lampe et courut s’abriter derrière l’autel où il attendit dans un état indescriptible de fièvre et de peur. Pensant voir surgir quelqu’un d’un instant à l’autre, il patienta, accroupi dans sa cachette. Il guetta longtemps tous les bruits. Néanmoins, personne ne vint troubler le silence étale de la nuit.

Le jeune homme finit par se demander s’il n’avait pas rêvé et à bout de patience, se résolut à battre le briquet pour rallumer sa lanterne. L’éclairage blafard sortant brusquement de l’ombre l’envers de l’autel, mit en évidence un mince interstice entre le socle de la table sacrée et les mosaïques du sol. Jusque-là, Lanz n’avait pas encore remarqué cet infime détail. La certitude d’avoir enfin trouvé ce qu’il cherchait s’imposa à lui.

Le cœur palpitant d’espoir, Malberg s’épaula contre l’autel. Il prit une courte inspiration et poussa de toutes ses forces. Il grimaçait et ahanait sous l’effort. La masse de granit résista dans un premier temps. Mais, graduellement, Malberg eut raison de son inertie. Une dernière impulsion, et il parvint à faire glisser l’autel qui protesta en raclant sinistrement sur une large dalle de marbre gris. Surpris, Lanz découvrit alors, gravé sur celle-ci, un curieux disque ailé. Une sorte de globe divin pourvu d’une paire d’ailes stylisées et largement déployées de chaque côté. Juste en dessous du pétroglyphe, était également imprimé un texte, agencé de sorte à former les étages d’une pyramide à degrés. Composition insolite sur laquelle, le jeune homme se pencha attentivement pour lire à voix haute :


Enlil,
Tu es seul roi.
Seigneur de la guerre
Dont  la  gloire se trouve
Dans le bateau sacré des cieux.
Père, Seigneur du juste commandement
Quand, dans le grand navire des cieux tu t’élèves,
Tu es glorieux.  Anu a paré ta main d’un sceptre éternel.
Quand tu t’élèves au-dessus des deux fleuves, dans le navire sacré.


Les paroles de cette prière fervente s’adressaient manifestement à un dieu païen. Mais à quel panthéon pouvait-il bien appartenir ? se demanda Lanz, à qui la consonance du nom Enlil n’évoquait absolument rien. En dépit de son ignorance, il était convaincu d’une chose au moins : il ne s’agissait en aucun cas d’une ancienne divinité este.

Absorbé par ses réflexions, le jeune homme n’avait pas fait attention à certains détails, insignifiants au premier abord mais qui s’imposèrent rapidement à son esprit.

Chacun des trois sommets du texte, construit sous cette forme triangulaire, était ponctué d’une empreinte, creuse et circulaire. En insérant un doigt dans l’une des cavités, Lanz sentit au toucher qu’elle semblait agrémentée de motifs en relief. Éclairant la dalle de marbre d’un peu plus près, plissant les yeux pour mieux voir, il distingua, en effet, trois dessins différents frappés au fond de leur emplacement respectif. Soudain, il discerna le personnage énigmatique de l’abraxas et comprit instantanément.

Retournant chercher sa besace de cuir, il en fouilla le contenu afin de récupérer le sceau en argent. L’objet se présentant sous forme d’intailles, en toute logique, il devait s’encastrer parfaitement dans les reliefs martelés. Tremblant d’excitation, il présenta l’objet métallique face à l’empreinte qui lui correspondait et, comme Lanz l’avait supposé, le sceau s’emboîta parfaitement dans sa cavité.

Malberg laissa passer un temps de flottement et d’indécision durant lequel se dissipèrent ses illusions. Hélas, il lui manquait les deux autres clefs pour avoir une chance d’enclencher le système d’ouverture. La complexité du mécanisme le réduisait à l’impuissance. Violemment déçu, il se contenta d’inspecter le disque ailé fixé dans le marbre. À n’en point douter, cette figure dont Lanz n’avait aucune idée quant à sa signification, devait posséder une valeur symbolique des plus importantes. Chose plus curieuse encore, cette allégorie lui apparaissait étrangement familière, exactement comme si elle avait toujours fait partie de son existence. Cependant, même s’il éprouvait une indéfinissable impression de déjà vu, le jeune homme était incapable de se remémorer l’endroit où il avait bien pu observer ce symbole, par le passé. Il réfléchit intensément. En pure perte.

Lanz se livrait à toutes sortes de spéculations lorsqu’un bruit insolite, une sorte de froissement léger, le fit frémir. Alarmé, il tendit l’oreille, sentant confusément que quelqu’un l’épiait, tapi au cœur des ténèbres. « Qui va là ? », rugit-il. Aucune réponse. Seuls, les souffles de la nuit tissaient leur rumeur familière et rassurante. Puis de nouveau, l’ouïe fine du jeune homme perçut d’étranges gémissements. Des murmures indistincts paraissaient sourdre du sol et des murs. Une voix lugubre, comme surgie des entrailles de la terre, semblait psalmodier une prière inaudible. Par instant, des lamentations ou quelque chose ressemblant à des pleurs d’enfants se perdaient dans l’ombre épaisse. Ces voix irréelles, mêlées de soupirs et de sanglots, paraissaient émaner du néant. Nul doute. Elles montaient des abysses du souterrain, tentait de se rassurer Lanz, saisi de terreur superstitieuse. Frayeur et fascination tétanisant ses membres, le jeune homme resta pétrifié à écouter ces bruits décroître et mourir, peu à peu.

© copyright- Tout droit réservé- Bleuette DIOT

ISBN : 978- 2- 35291- 072-5

  • Avec grand plaisir, Manou. Je dédicacerai mon roman "Yrmeline ou le chant des pierres". Ce sera également un moment d'échanges et de discussions avec mes lecteurs et lectrices.
    A très bientôt, Bleuette

    · Il y a presque 14 ans ·
    Portrait auteure b diot00

    Bleuette Diot

  • les anunakis à bordeaux.... 2012 la 12 eme planète ! Enlil....je viendrai te voir

    · Il y a presque 14 ans ·
    Iphone 19novembre2011 013 orig

    Manou Damaye

Signaler ce texte