Faire-part

Vincent Vigneron

nous célébrons aujourd'hui

les 20 ans de mariage

de Jean et de Jeanne

ils font genre les gens miraculés

après une vie cabossée dans l'écorce

enfants ils goûtaient sous des préaux voisins

mais ne se fréquentaient pas

quand sonnait l'angélus de reprise des cours

ils plaçaient dans leurs bosses invisibles

toutes les forces de croissance

comme certains animaux équipés pour le désert

et cette force ignorée stockait les vendredis de lecture

et de grandes chevauchées

pendant qu'ils regagnaient la classe

les mathématiques étaient dans la place

encore abrités sous le parasol de la racine carrée

dans le bus scolaire Jeanne et Jean

mettaient dans leurs poings fermés un insecte

un réacteur frisant l'anémie

sans savoir que l'autre faisait ce geste

sans espérer que ce geste modifierait

l'horloge des migrations humaines

une fois adultes ils se sont bien ennuyés

Jeanne gardait les enfants des autres

Jean gardait le moral dans un bocal

surveillant du coin de l'œil

s'il survivrait à l'enfermement

quatre ou cinq projets d'envergure

occupaient un carnet à spirale

une double hélice de vivante information

Jeanne et Jean frôlaient parfois la rencontre définitive

au prochain capillaire tournez à droite

rejoignez l'artère

s'ils avaient écouté l'intelligence centrale

ils auraient hâté la collision

tant les rues qu'ils habitaient n'étaient pas si étrangères

un chien de berger ferait facilement

le piston de l'une à l'autre sans perdre haleine

d'un seuil de pierres nues

à un paillasson de crin welcome

les volets ouverts Jean et Jeanne

voyaient la montagne

mais Jean avait une grue

qui lui oblitérait tout le versant reboisé

crayons droits d'un vert sombre

implants sur le mont kojak

chacun de son côté gobait un berlingot rock

en mal de sucre pour les oreilles

peu de concerts arrosaient le rideau de douche de leur province

donc ils partirent en voyage organisé

Jeanne et Jean chacun de son côté

grâce aux économies du baby-sitting

grâce à un audit sur le marché potentiel rendu dans les temps

graceland

ils se sont dits mettons nos pas dans les pas d'Elvis

voyons sa vaisselle

peut-être qu'un vase en porcelaine

a recueilli calice sa voix

mais avant de voir sa vaisselle

son rocking-chair

sa tondeuse NewGrass maniée en son temps par le jardinier métis

sa collection de chemises orchidées

son verre à dent estampillé les durs du bagne s'y sont cassés l'émail

avant tout ça

il faut faire la queue

un billet d'entrée dans la main

qui finira archive millésime

quand vous serez bien vieux à la chandelle

il faut laisser danser l'ineffable printemps

sur cette partie de la vallée américaine

tampons d'un jour sur l'épaule

la faune de là-bas

le papillon albinos et autres gaietés

voir un jeune homme qui se retourne sur Jeanne

qui renonce à sa place dans la hiérarchie de l'attente

pour la rejoindre

Jean le petit voisin

l'usine à caries

les souliers troués par temps de pluie

Jeanne la fille flûte

la gardienne du radiateur dans la cantine

Jeanne et Jean le jour de leur rencontre

sont parmi vous

chère assemblée

Signaler ce texte