Fais se frotter tous ces hommes
molly
Ravale tout, mets à jour,
Fais s'éclairer les beaux jours, les beaux jours, les beaux jours
Ris un peu, fais semblant,
Mais montre-nous c'est indécent, indécent, indécent
Fais se frotter tous ces hommes, à tes hanches
Joue de tes seins, de tes cris ta revanche
Cambre un peu, griffe au cou,
Fais se plier ces beaux jours, ces beaux jours, ces beaux jours
Gifle un peu, sois jalouse,
Fais se planter tes ongles rouges, tes ongles rouges, tes ongles rouges
Fais se frotter tous ces hommes, à tes hanches
Joue de tes seins, de tes cris ta revanche
Recommence, file tes bas,
Fais-moi rougir n'arrête pas, n'arrête pas, n'arrête pas
Griffe un peu, jusqu'au sang,
Fais se plier tes amants, tes amants, tes amants
Fais se frotter tous ces hommes, à tes hanches
Joue de tes seins, de tes cris ta revanche
(Kaolin)
Sous l'eau. Tout comme. Silence ouaté. Bourdonnement assourdi. Barre de plomb qui perce le crâne, lourde, si lourde. Et les boum boum des enceintes se mêlent aux battements du cœur. La poitrine vibre de leur intensité. Sous les paupières il fait noir. Les ouvrir révèle un monde d'obscurité colorée que traversent des ombres aux formes humaines. Nausée. Robe courte et talons hauts. Coupe de champagne sur la table basse. Plus de bulles. Peau diaphane et veines bleuâtres sous les spots, enchevêtrées, palpitantes. Puis une main, sur la peau blanche. Contraste étrange – grosse main d'homme, bronzée et carrée, ornée d'une imposante chevalière ; cuisse pâle et fine, trop découverte. Robe courte effrontément remontée.
Dans sa tête c'est louche. Tout se mélange en un cocktail détonnant de lumières clignotantes et de corps mouvants. Musique connue dont elle n'arrive pourtant pas à se souvenir. Elle flotte. Ou coule. Elle ne sait pas très bien, ça dépend, chaque seconde apporte son lot de sensations nouvelles. Le souffle frais qui s'engouffre par la porte, à droite, qu'un fumeur vient d'ouvrir pour sortir se noircir les poumons. Les effluves de sueur et l'odeur entêtante de l'alcool renversé. Les voix criardes des filles, les paroles suaves des hommes. Elle se laisse traverser. Spectatrice. Simple présence se réjouissant de ce déferlement de vie. Nocturne.
Soudain, nausée, encore. Malaise. Envie de vomir. C'est la main, cette main impudique qu'elle aperçoit en bas, près de l'ourlet de sa robe. Nausée. Envie de mordre. L'impression agréable disparaît, le monde enchanté se dissout. Il n'y a plus que la nausée, et la main. Mordre, griffer. Telle une grosse araignée répugnante, elle avance, progresse à l'aide de ses cinq pattes boudinées. Vulgaire. Elle appartient à l'homme. A côté. A l'homme qui respire fort, excité. Dégoût. Elle lève les yeux pour rencontrer les siens. Regard d'animal en chaleur. La deuxième main s'y met. C'est trop, beaucoup trop. Et la bouche molle et chaude, gluante, qui écrase ses lèvres. Mordre. Il grogne, elle insiste. Il crie, essaie du moins. Alors elle le libère. Il porte ses mains à son visage et regarde, atterré, le liquide sombre qui goutte sur ses paumes. Fallait pas la toucher comme ça. Goût métallique. Lucidité. Fuir. Il va s'énerver l'animal. Debout sur ses talons hauts, elle avance tant bien que mal. Son corps imbibé de vin est moins net que son esprit.
Disparaître. La piste de danse et tous ces gens qui se confondent. Elle bouge, se laisse porter par les sons. Elle ferme les yeux et savoure la promiscuité, toutes ses âmes qui la frôlent. La heurtent. Elle a chaud. Elle se sent mieux, moins nauséeuse, réceptive à l'univers merveilleux qui l'entoure. Dans son cou, un souffle. Sur ses hanches, deux mains, légères. Elle bouge, il bouge. Ils bougent. Sans ouvrir les yeux elle le contemple. Avec ses doigts, avec son ventre contre le sien, avec ses jambes nouées aux siennes. Corps à corps électrique qu'achève un baiser, premier et dernier. Elle part, il reste.
Lorsqu'elle émerge, il fait noir encore. Elle ouvre les yeux et ne voit rien. Elle allume la lumière et ne voit rien. Il fait toujours noir, dedans. Et froid aussi. Dans sa tête un petit bonhomme sadique tape des pieds et des mains. T'as trop bu. Tu payes. Tu supportes. Elle écoute le silence. Ses oreilles bourdonnent. Tout tourne, seul le lit semble échapper à cette ronde infernale. Prisonnière de ses draps. Le plafond tourne, les murs tournent, la porte tourne pour lui faire croire qu'elle ne peut s'échapper. Et le lit reste immobile, radeau magique dans la tempête, que rien n'ébranle. Paupières closes, tout s'arrête. Presque.
De l'autre côté du lit, elle l'entend respirer. Il est encore là. Il dort, il rêve. Il est loin, si loin… Il est venu pour pouvoir s'en aller, il est venu pour ne pas revenir. Une dernière fois, pour dire au-revoir. Elle s'est enfuie, elle l'a laissé là pour aller oublier. Elle a trop bu, elle paye, elle supporte, et se souvient quand même. Merde. Elle se tourne avec prudence, pour ne pas réveiller l'ouragan dans son crâne. Pour ne pas le réveiller lui. Elle l'imagine, son visage apaisé par le sommeil. Elle ne veut pas le regarder. Il est le sable qui file entre ses doigts entrouverts. Elle a peur de le voir devenir transparent, à mesure que passent les minutes. Que le matin approche. Joli fantôme, tu vas t'évaporer. Elle imagine ses bras, sa bouche, son cou, ses yeux. Une dernière fois, il a demandé une dernière fois. Une dernière fois voir ses bras comme une cage de chair, rassurante. Incarcérée s'abandonner au plaisir de leurs corps confondus. Une dernière fois goûter les lèvres qui ont osé les premières, effleurer les siennes… Puis le reste, tout le reste, tant de fois. Une dernière fois salir son cou de sa langue et ses dents. Puis oublier, après. Ne voir que des bras, qu'une bouche, qu'un cou, qu'un regard. Banals. Inconnus. Pareils aux autres, indifférents. Vas te faire foutre. Embrasse-moi. S'il te plaît. Allez, encore. Putain... Il la serre contre lui, et c'est comme à chaque fois. En pire. Ca a un arrière-goût de plus jamais. Amer. Elle pleure. Lui aussi. Elle lui fait mal. Il souffre en silence, il lui doit bien ça. Elle décore sa peau de sa douleur, plante ses ongles dans son dos, jusqu'au sang, marque ses épaules de ses dents, fort. Il va partir, pas sans cicatrices. Il va partir, et puis… Un souvenir cuisant au creux des reins, une marque violacée en bas du cou… Vestiges de leur étreinte. Et voilà.
- Je t'aime, tu sais ?
- Je crois oui.
- Tu crois…
- Oui. Et toi, tu sais que je t'aime ?
- Je le savais, mais tu t'en vas…
- Oui. Mais ça ne veut pas dire que je ne t'aime pas, ou plus.
- Ca veut dire quoi, alors ?
- Ca veut dire que je t'aime comme je n'ai jamais aimé personne.
Il se lève. Un rayon de soleil, à travers le volet cassé, éclaire sa peau zébrée de rouge. Il enfile son pantalon et son tee-shirt, grimace au contact du tissu sur ses griffures à vif. Il ouvre la porte, il sort, il la referme.
Dormir. Ne pas se réveiller. Mais il s'acharne, ce corps. Il veut vivre. Il respire, le sang circule dans les veines et charrie l'oxygène. Il a faim, il a soif, il le fait sentir. Le ventre grogne, la langue est sèche, la tête tourne. Elle se propulse hors du lit. De toute façon, ça sent trop lui dedans. Ca sent trop eux, effluves de sexe douceâtres, et son parfum, sur l'oreiller. Dans l'appartement tout est éteint. Elle se traîne jusqu'à la cuisine. L'haleine glaciale du frigo parcoure sa peau. Ses poils se dressent. Elle est nue. Depuis combien de temps n'est-elle pas sortie ? Le voyant de son téléphone clignote. Messages en attente. Il est 23h13. Ca fait trois jours. Secoue-toi, bouge.
L'eau ruisselle sur sa peau. Elle ne s'est pas lavée, depuis qu'il est parti. Pour le garder encore un peu, retarder l'inconsistance. C'est fini. Elle ne le sent plus. Elle pensait que ça mettrait plus de temps. L'eau achève d'emporter les ruines de sa présence en de petites gouttes cristallines qui roulent, coulent et s'écrasent. Elles s'agrègent en un ruisseau d'eau souillée que le siphon aspire. La serviette est douce. Elle se regarde dans la glace. Ses yeux cernés de noir. La bouche tordue. Elle essaye de sourire. Ca sonne faux. En bas de son cou, le suçon vire au jaune. Bientôt il aura disparu. Sur son nez, une mèche de cheveux a déposé une minuscule perle d'eau, bijou translucide qu'elle chasse du bout de l'index. Elle se maquille, histoire de. Elle laisse ses cheveux sécher comme bon leur semble, elle a toujours fait comme ça. Elle retire les draps du lit pour les laver. Elle ouvre les volets et se souvient que c'est la nuit. Samedi soir. Elle va aller danser. Elle enfile une robe, noire, au-dessus des genoux, et se laisse happer par la nuit.
- Tu ne veux pas m'embrasser ?
- Non, je ne veux pas.
- Pourquoi ?
- Parce que je suis amoureuse.
- De qui ?
- D'un fantôme.
Il ne comprend pas. Comment pourrait-il. Il a juste envie de l'embrasser, elle refuse. C'est étrange, tout de même. Ils ont dansé collés, ils ont bu, ils ont parlé. Elle l'invite chez elle… Et rien. Elle le regarde, ça fait bien dix minutes qu'elle le regarde. Et rien. Et voilà. C'est tout.
Le train entre en gare. Elle saisit son sac et s'élance. Elle s'assoit au milieu du wagon. Elle farfouille dans son sac, trouve son livre. Elle ne sait plus trop à quelle page elle s'est arrêtée, alors elle reprend un peu au hasard. Un homme arrive. Il s'installe face à elle. Elle lève à peine les yeux pour le saluer d'un léger sourire. Il sort un journal de son attaché-case et plonge dans les grandes feuilles encombrées d'encre noire. Ses doigts volent, habiles funambules. Il a l'habitude. Elle l'observe à la dérobée. Grand, brun, mal rasé, les yeux gris. Plus vieux qu'elle.
- Vous avez vu le film ?
Il plie son journal, et lui sourit.
- Le film ?
- Adapté du livre que vous lisez.
- Ah ! Euh… Oui. En fait c'est le film qui m'a donné envie de lire le livre.
- Très bonne adaptation, j'en conviens. Vous descendez à Paris ?
- Oui.
- Vous êtes parisienne ?
- Non.
- En tout cas, vous n'êtes pas bavarde.
- Je peux l'être.
- Ca viendrait donc de moi ?
- Non, c'est votre cravate qui me perturbe.
- Ma cravate ? Quelle cravate ?
- Celle que vous n'avez pas, justement. Ca vous irait bien, une cravate.
Il a une femme, pas d'enfants. Sa femme il ne l'aime plus vraiment, mais il ne veut pas la quitter, il ne supporte pas la solitude. Elle non plus, mais n'est-on pas toujours seul, en vrai ? Si, bien sûr, mais souvent l'illusion d'être deux suffit. Le problème, c'est quand elle décide de se barrer, l'illusion. Enfin bon. Pourquoi elle va à Paris ? Parce que. Elle en a marre, de sa ville à elle. De sa vie à elle. Ca lui a pris, comme ça, ce matin, sur un coup de tête, elle a fermé à clé la porte de son appartement, puis elle est partie, avec quelques affaires et un peu d'argent. Elle vient d'avoir vingt ans. Elle a toujours cru qu'elle aimerait avoir vingt ans, que ça serait comme une étape déterminante. Elle se sent toujours pareille, immature et perdue. Toujours aussi seule. Elle n'a pas d'homme dans sa vie. Elle n'a plus d'homme dans sa vie. Il est parti. Il lui reste des légionnaires, apparitions nocturnes que la lumière du matin désagrège. Elle était amoureuse. Tellement amoureuse qu'elle a l'impression qu'il s'est barré avec son cœur, ce con là. Ou alors qu'il l'a tellement pourri que personne ne pourra plus y loger, trop insalubre. Et lui ? La même chose en différent. Il s'accroche au souvenir de la femme qu'il a aimée et qu'il n'aime plus. Il la regarde et c'est comme s'il regardait une vieille photo, un souvenir lointain. Tel geste lui rappelle un détail, une attitude qui le faisait fondre. Telle intonation éveille en lui des sensations disparues. Images fugaces de leurs corps qui se mêlent. Il aurait dû la quitter avant d'en arriver là. Parce qu'il l'aimait sincèrement. Il a l'impression de l'avoir trahie, et maintenant c'est trop tard. Elle est comme une habitude, tenace. Il n'est plus heureux avec elle, mais ne s'imagine pas vivre sans elle. Un peu comme la cigarette. Son contact le détruit doucement de l'intérieur mais il est dépendant, alors voilà. Résigné. A trente-quatre ans, c'est con. Et c'est confortable.
- Tu vas t'en aller ? Je veux dire… Quand le train va entrer en gare, tu vas ranger ton journal dans ton attaché-case, remettre ton grand manteau sur ta chemise sans cravate et partir avec un « merci c'était bien agréable » ?
- Je ne sais pas, oui. Peut-être. Qu'est-ce que tu voudrais que je fasse ?
- Je ne sais pas. Autre chose.
Elle l'a aidé à choisir une cravate. Elle avait raison, ça lui va bien. Ils ont mangé dans un petit restaurant, ils ont bu du vin. Pas mal de vin. Ils sont joyeux. Elle coure. Il marche vite, il la suit en souriant. Si jeune. Il a envie de la serrer dans ses bras, de la faire tourner en l'air, comme une gamine, mais pas que. Il a envie de la faire tourner en l'air et de lui faire l'amour.
- On fait quoi ?
- J'ai envie de danser.
- Je ne sais pas danser.
- Tu mens, tout le monde sait danser. Le plus important, c'est de bouger les mains et les pieds. Le reste du corps suit.
- Je n'ai pas envie de danser. J'ai envie de me poser, de boire encore un peu, de fumer.
- Tu fumes ?
- Non, ça sonnait bien.
- On se pose où ?
- Dans mon hôtel.
- Il est où ton hôtel ?
- En fait je n'ai réservé nulle part, on a que l'embarras du choix.
- Ah…
- Viens, je sais.
Il l'entraîne à sa suite. Elle rit. Son rire est clair. Les longs couloirs du métro, chauds parfois, puis froid, fétides, éclairés d'une lumière crue, blanche, agressive. Les gens qui marchent, les clac clac des chaussures sur le sol. Les milliers de petits carreaux aux murs, les tags. Il est tard. Le train arrive. Ils montent. Le démarrage la déséquilibre. Il la rattrape. Elle ferme les yeux, sa tête tourne délicieusement.
- C'est comme si on était dans une machine à remonter le temps. Je n'ai jamais su gérer les démarrages du métro. J'habitais à Paris, avant, avec mon père. Quand j'étais petite, il me rattrapait. A chaque fois je manquais de tomber, mais il était toujours là. J'avais confiance. C'est un peu comme si je revenais en arrière, je suis de nouveau une petite fille qui prend le métro avec son papa. C'est comme si tu étais mon papa. J'ai confiance. Regarde, je ferme les yeux…
Il regarde, ça l'amuse. Cette femme enfant, cette jeune fille, charmante, charmeuse, qui s'abandonne à lui, insouciante, gamine et joueuse. Il jouerait bien avec elle. Mais pas comme ça.
- Ton père, il n'avait pas envie de toi…
Ses paupières restent closes. Puis le métro s'arrête. Elle ne trébuche pas. Elle attrape son bras et le tire au-dehors.
- Tu as toujours les yeux fermés ?
- Oui.
- Ouvre-les.
- Pourquoi ?
- Parce que.
Il n'a pas l'habitude qu'on résiste à la dureté de ses yeux. Ils ne marchent plus, ils se sont arrêtés, comme ça, sans vraiment s'en rendre compte, comme si la situation l'exigeait. La situation, c'est lui et elle, ou elle et lui. Dans cette bouche de métro déserte. Il cède et se rapproche. Puis s'immobilise, net. Il sent son souffle sur ses lèvres. Deux centimètres. Il attend, qu'elle parcoure la distance. Elle se rapproche, un centimètre. Il ferme les yeux, parce qu'il est un peu ivre et que son visage, si près, devient flou. Il attend.
- Tu as perdu… murmure t-elle.
- On dirait, oui.
Il frissonne. Ca s'est sensiblement refroidi, autour. Elle est plus loin. Ils recommencent à marcher, sans échanger un mot. L'obscurité des rues et la lumière tamisée des lampadaires. Un haut bâtiment aux allures fantomatiques, une cour avec des arbres. Du caractère. Un gardien avec un uniforme rouge. La chambre 17. Un grand lit, deux places. Une télé. Une salle de bain avec une baignoire et des serviettes d'un blanc immaculé. Elle va se laver. L'eau chaude l'enivre. La buée envahit le miroir. Elle enfile le lourd peignoir. Il a mis de la musique et écoute, assis sur un fauteuil. Elle s'étend sur le lit et le regarde écouter. Il est beau. Son arrogance feinte. Il n'est pas arrogant. Pas même sur de lui. Simplement perdu, indécis et bon acteur. Elle ne sait pas s'il l'a entendue sortir. Elle veut prolonger l'instant. Il se redresse, semble sortir de sa torpeur. Il croise son regard.
- Danse…
- Non, je n'ai plus envie.
- Même pas pour moi ?
- Je ne danse jamais pour les autres.
- Avec moi, alors…
- Tu ne sais pas danser.
- C'est vrai. Je vais prendre une douche.
Quand il ressort, elle est endormie. Ses lèvres sont bleues parce qu'elle a froid. Il la prend dans ses bras et la dépose sous la couette. Il hésite à lui enlever son peignoir. Elle est sûrement nue, dessous. Il s'abstient. Il réinvestit le fauteuil, il n'ose pas dormir avec elle. Il sombre doucement dans un demi-sommeil. Il a mal au dos et se résigne à la rejoindre. Elle soupire, sans s'éveiller et se colle contre lui. Il l'enserre de son bras, et laisse la fatigue l'envahir. Il met longtemps à s'endormir. Forcément, il a envie d'elle.
Le drap blanc du lit. Son ventre. Sa respiration. Le drap blanc du lit qui se soulève, puis descend. Doucement. Au rythme de l'homme qui dort. A côté de moi. J'ai dormi, aussi. Mais je ne dors plus. Parce que l'alcool m'a désertée. Je n'ai pas envie que le sommeil me prenne. Je préfère le regarder. Il ne fait pas encore jour, c'est la nuit et pourtant la ville gronde. Paris ne dort jamais. Et moi, comment pourrais-je sombrer ? Son front est soucieux, barré de rides d'inquiétude. Il serre les dents, parfois. Les muscles de ses mâchoires se contractent sous la peau de ses joues, grisée par la barbe courte. Il a une cicatrice, sur l'épaule droite. Je ne vois pas la gauche, l'oreiller la cache. Le drap blanc du lit qui se soulève, puis descend, épouse les lignes de son corps. Je le vois sans le voir. Je n'ose pas. Je pourrais oser, il dort profondément et ne sentirait rien. Ma main se pose sur son visage. Je parcoure de l'index son front, son nez, sa bouche close, son menton. Mes doigts se perdent dans ses cheveux bruns.
C'est doux, soyeux, rassurant.