Faiseuse de fée

luciel

C’est une de mes clientes m’a surnommée comme ça. Elle m’a regardé en souriant, de ce sourire doux de sexagénaire coquette. Ses ongles étaient fraîchement polis. Ses bouclettes savamment laquées lui donnaient un air de mouton docile. Faiseuse de fée. C’est un titre qui me plait. Bien qu’il me fasse penser aux fatales faiseuses d’anges du siècle passé…

 

Quand elles viennent me voir, la plupart des femmes se sentent un peu gênées. Mère débordée ou carriériste pressée, elles se font toute petites une fois passée la porte de l’institut. Elles ont l’air de s’excuser. S’excuser d’avoir pris du temps pour elles ou d’empiéter sur le mien. Bien sûr, il y’a toujours une ou deux reines de macadam qui pianotent sur le comptoir en attendant que l’on s’occupe d’elle. Ca fait partie du métier.

 

Je finis par les connaitre, ces femmes plus ou moins fatiguées. Celles qui s’entretiennent pour un mari qui les fait toujours rougir. Celle qui sont passées par hasard. Celles qui en ont marre de bâcler leur épilation avant la plage. Celles qui ont besoin qu’on leur parle doucement en effectuant de petits mouvements circulaires sur leurs pommettes. Je les prends par la main et elles passent entre les miennes.

Dans l’odeur de caoutchouc de la cire fondue, j’égrène les noms des principes actifs et des huiles essentielles pour les mettre à l’aise. Et alors elles papotent. Elles papotent pour oublier qu’elles sont à moitié  nues, les jambes ouvertes. Elles papotent pour oublier que je scrute et traite leurs pores engorgés. Elles papotent parce qu’elles n’ont pas été aussi vulnérable depuis leurs dernières couches culottes. Je ressens alors un sentiment étrange, mélange de maternel et de professionnel.

Quand elles sortent de l’institut, effectivement elles portent sur elle quelque chose de féérique. Plus légère, plus mutine. Une jambe satinée ou une peau plus nette leur a fait pousser une paire d’ailes translucides dans le dos. J’aime à croire que je suis une faiseuse de fée, c’est bien plus poétique qu’esthéticienne.

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