Fantôme

nelopee

"Ghoster quelqu'un, c'est la meilleure manière de l'empêcher de passer à autre chose. Il y a une véritable violence là-dedans. On va transformer la personne aimée en un fantôme, qui va nous hanter."

L'univers a des façons particulières de nous remettre sur le chemin de souvenirs qu'on aurait préféré laisser de côté, cachés sous le tapis, pour avancer.
Tu dois te demander pourquoi tu me croises soudainement dans ton quartier. Dans ta rue. Dans tes commerces de proximité. Dans tes nouveaux bars préférés.
Maintenant tu dois m'esquiver comme les autres pétasses que tu avais soudainement boycottées.
Tu te rappelles de J. ? Comme tu avais souffert, quand elle t'avait jeté pour choisir son copain ?
Je ne sais pas si tu réalises que tu m'as fait vivre exactement le même enfer.
Et encore, J. avait au moins eu les couilles de dire les termes en t'envoyant un ultime SMS d'adieu.
Toi, tu m'as ghosté comme si nos années d'amitié n'étaient qu'un mirage qu'il était simple de balayer, sans le moindre mot. Quasi 10 ans d'amitié qui partent en fumée sans explication.
Comme tu avais pu balayer au moins 6 ou 7 anciennes amitiés auparavant.
A l'époque, j'étais persuadée que notre amitié était "au-dessus", que ce genre de choses ne pourrait jamais m'arriver.
Je n'avais pas vraiment de peine pour ces filles, même en étant confrontée à leur désarroi face à tes non-réponses, voire ta méchanceté derrière le dos.
Plusieurs personnes pouvaient venir me voir pour me demander des comptes par rapport à ton comportement. Mais j'étais ton alliée, ta binôme : j'aurais pris ta défense devant n'importe qui.
Maintenant, je me demande : est-ce que tu faisais pareil pour moi ?
Quand je vois comment tu parlais mal de C. et d'D. quand on était toutes les deux, et qu'elles soient devenues tes nouvelles amies proches aujourd'hui... Je réalise qu'il y avait bien un problème.
Ca remet en question tout ce qu'on a pu partager ensemble. Que pouvais-tu leur dire sur moi quand je n'étais pas là ? 
J'avais tellement confiance en toi auparavant que jamais cette question ne m'avait traversé l'esprit. C'était sans doute de la naïveté.
Je ne saurais pas décrire la douleur qui m'a transpercée les semaines qui ont suivi le moment où tu as complètement arrêté de me parler.
L'incompréhension. Le doute. La culpabilité. Le manque. La tristesse. La colère. En boucle.
J'en parlais avec des personnes autour de moi, mais pas grand monde ne pouvait comprendre mon état intérieur. J'étais tiraillée par toutes ces émotions contradictoires.
Tu as de la chance d'être une personnalité qui attire la sympathie des gens, même quand tu as un comportement pouvant tirer vers l'agressivité, la mesquinerie...
Tu as une énergie forte et sensible qui donne envie de te côtoyer. Et de croire en toi, envers et contre tout. 
Mais malheureusement, tes insécurités peuvent te tirer vers le bas sans que tu sois consciente de tout le potentiel gâché.
Si seulement tu pouvais te concentrer sur ton énergie positive, plutôt que sur tes émotions négatives qui te bouffent de l'intérieur et aspirent tout autour de toi...
Je voyais la personne exceptionnelle que tu étais, et ce dont tu étais capable.
Mais je ne comprenais pas certains de tes (non-)choix. Concernant tes études, ta carrière, tes passe-temps...
Pourquoi passer tes après-midis seule avec D. à te bourrer la gueule à la terrasse d'un café si tu ne pouvais plus la supporter ?
Pour me raconter ensuite tout ce qu'elle avait raté dans sa vie, sa paresse et sa passivité ?
Est-ce que c'était pour te rassurer sur ta propre inaction ?
Je savais les difficultés que tu pouvais rencontrer, ta phobie scolaire qui te mettait des bâtons dans les roues.
Mais je savais aussi que tu valais tellement mieux que ce que tu donnais. C'était peut-être la discipline qui te manquait ?
Tu avais des atouts que tu ne voyais pas. C'est tellement dommage que cette dévalorisation te bloquait pour passer certaines étapes essentielles.
Prendre ses responsabilités, rester déterminé pour aller au bout de l'objectif qu'on s'est donné.
Quand j'ai compris que tu m'avais rayé de ta vie, j'ai du faire un travail de deuil.
Il y a tellement d'endroits de la ville qui me rappelait des moments de vie partagés.
Arrivant à la fin de mon bail de 3 ans, ma propriétaire a décidé de reprendre l'appartement pour son fils.
J'avais quelques mois pour déménager. Et l'univers m'a donné ce nouvel appartement, dans l'immeuble juste à côté du tien.
Comment refuser une telle opportunité ? L'appartement réunissait tous les critères demandés, et plus encore.
Dans ma malchance, j'avais de la chance.
Sauf que j'ai encore cette putain de boule au ventre à chaque fois que je passe dans ta rue. Qui est devenue aussi ma rue.
Le pire dans tout ça, c'est que ce n'est même pas toi que je crains le plus de croiser. C'est A. Sa mauvaise foi. Ses coups de sang. Son agressivité verbale et physique.
Je me souviens, ce fameux soir qui a scellé notre amitié, comment il avait lâché une insulte plein de haine à ta voisine.
La façon dont il traitait M. de pute.
Ca me tue comme il pouvait être drôle, sympathique, et puis le moment d'après, avoir un seum et une rage qui le transformait en sheitan.
Et le nombre de fois où il t'a manqué de respect depuis le début que tu le fréquentes... 7 ans.
Je me disais d'abord que tu avais du courage de rester, après toutes les montagnes russes par lesquelles tu étais passée dans ta relation.
Et nous étions toujours aux premières loges de votre relation tumultueuse.
Mais certains n'ont pas assisté à tout ce que j'ai vu par la suite. Les engueulades à répétition. Les cris. Les pleurs.
La fois où devant ce bar, à minuit, tu m'as regardé avec les yeux pleins de larmes : "est-ce que c'est moi qui suis folle ?".
Non, tu n'étais pas folle. Il avait "fait le bâtard".
C'est ce que je te disais à chaque fois: "il a fait le bâtard". Et au fond de moi, mes tripes criaient que tu ne méritais pas qu'on te traite comme ça. 
Mais il trouvait toujours un moyen pour revenir avec des demi-excuses, énoncées lorsqu'il était bourré. Tu lui pardonnais, et c'était reparti pour un tour.
La fois où tu as sonné chez moi pendant la nuit et que ma mère t'avait recueillie après qu'il t'ait "abandonné" et que tu ait perdu ton sac.
La fois où tu m'as retrouvé sur les quais, quand j'étais avec H., dégoûtée d'A. encore une fois, et que même H. t'avait réconforté.
Je ne pourrais pas toutes les compter...
H. m'avait dit après une soirée chez toi, qu'il ne trouvait pas ça normal la façon dont vous vous parliez mutuellement avec violence.
Tu lui avait lâché un "ferme ta gueule", il avait dû t'insulter aussi, et tu lui avais mis une tarte. Sur le canapé dans le salon, devant tout le monde.
J'avais minimisé sa remarque en disant qu'il n'y avait pas vraiment de mal, que c'était la façon dont vous communiquiez depuis toujours. Ca passait entre deux rires et traits d'humour. Tout le monde s'était habitué à ces scènes entre vous. 
Mais est-ce que c'était vraiment normal ? Aujourd'hui, je réalise que ça ne l'était pas.
Que ce qui te faisait rester, et batailler pour maintenir ce couple qui t'apportait plus de mal que de bien, c'était de la faiblesse plus que du courage.
Le confort et la routine de ces nombreuses années passées à subir - et à faire subir, car vous étiez deux à vous tirer vers le bas ?
L'attachement à la "bande" de mecs, dont A. était partie prenante ?
La peur de l'inconnu ?
Ce fameux soir, je pense que c'était la goutte de trop. J'étais arrivée à un point où je ne pouvais plus cautionner la violence devant mes yeux.
Et ça a pété d'une manière inattendue avec l'abus d'alcool, et les révélations de la voisine sur votre cohabitation pendant le confinement où elle a eu carrément eu peur pour ta sécurité.
Et je sentais que c'était une fille qui avait la tête sur les épaules et qui ne faisait pas des histoires pour rien. J'ai vu dans ses yeux qu'elle avait réellement flippé.
Un sentiment d'impuissance m'avait terrassé parce que je ne savais rien de la situation et que je n'avais pas pu t'aider.
Et tu m'as juré qu'il ne t'avait jamais frappé...
Puis il a fait cette action où il a placé une chaise devant ta porte, pour te bloquer l'entrée de chez toi (alors qu'il squattait sans payer de loyer)...
De nouveau devant moi : l'engueulade, les cris, les pleurs...
Je crois que je n'en pouvais plus de te voir souffrir.
Parce que ça n'était pas mes valeurs, et que tu étais ma meilleure amie.
J'en ai payé le prix, apparemment. Et j'en suis venue à l'accepter. Je suis en paix avec ça.
On m'a dit que je n'aurais pas dû me mêler de vos histoires de couple.
Je ne sais pas, parce qu'au final j'y étais mêlée depuis des années. Vous avez toujours eu tendance à impliquer passivement les autres dans vos engueulades publiques. 
Je regrette d'avoir réagi par la violence parce que c'était plus rabaissant qu'autre chose, et absolument pas constructif.
Et je regrette plus que tout que tu l'ai choisi lui plutôt que moi.
Je me suis souvent demandé les raisons de ton silence. C'est ce qui m'a le plus torturé l'esprit.
Je t'ai tendu des perches pour que tu t'exprimes. J'aurais pu tout entendre, vraiment.
J'aurais préféré qu'on se crie dessus, qu'on s'insulte.
Pourquoi C. m'appelle en faisant comme si de rien était ?
Pourquoi tout le monde à l'air si sûr que tu vas me reparler, qu'il faut juste que je sois "patiente" ?
Mais ça ne marche pas comme ça, l'amitié.
On était censées pouvoir tout se dire.
Je ne vais pas attendre indéfiniment que tu daignes m'adresser la parole.
Je ne suis pas à ta disposition, tu as rompu notre contrat implicite sans préavis.
Je sais que tu as d'autres chats à fouetter en ce moment.
J'ai appris par M., qui l'a appris par D., que tu avais perdu ta maman.
Ca m'a mis une claque. J'ai eu peur. Et j'ai une très grosse peine pour toi, ton frère, ton père.
Mais mes doigts étaient incapables de taper un message de condoléance.
Ton deuil était virtuel pour moi. Encore une fois, je ne pouvais qu'imaginer ce que tu pouvais ressentir.
J'étais incapable de trouver les mots. Et de toute façon, il n'y avait pas de "bons" mots. Je savais que tu n'allais pas y répondre.
Ce qui me perturbe à présent, c'est de te savoir si loin de moi "mentalement", tout en étant si proche "physiquement".
Je sais qu'on est amenées à se recroiser. Mais si on se reparle, ça sera forcément gênant. On ne pourra jamais retrouver notre complicité.
Peut-être que nos chemins étaient destinés à se séparer. Je choisis de l'accepter.
Je ne peux pas contrôler tes actions mais je peux contrôler ma façon d'y répondre. Et je choisis la paix intérieure, toujours.
Je te souhaite sincèrement d'avoir une belle vie, parce que même si des frissons de haine me traversent encore, je ne peux pas te souhaiter du mal.
J'espère que tu arriveras à te poser les bonnes questions, à trouver le courage de te remettre en question, à assumer tes erreurs, à prendre tes responsabilités face à la vie, à travailler sur toi-même... Pour enfin faire ressortir le meilleur.
Parce qu'en faisant ce que tu m'as fait, tu m'as laissé percevoir le pire.

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