Femme Etrangère

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"Femme Etrangère" est un scénario de film de long métrage.

Le texte est  présenté comme une continuité narrative non dialoguée, phase de construction d'un film.

Pour autant, comme dans un projet de roman, on peut y découvrir les personnages, l'aventure et l'amour qui les lie.

 

 

 

 

Femme Etrangère

 

 

 

 

 

 

 

 

Franck Rocca

 

 

 

FEMME ETRANGERE

Résumé

Automne, 1917.

Persuadé qu'il ne reviendra pas vivant de la bataille qui s'annonce, Matthieu de Valleraugue, jeune officier aristocrate connu pour son goût de la débauche et de la démesure, décide par esprit de provocation pour un milieu  familial austère et conventionnel, d'épouser pendant sa permission une jeune femme, Esther Olbryzky, fille d'un modeste tailleur juif, installé dans la région depuis les pogroms de 1905.

Le mariage, qui  fait scandale, est célébré à la hâte dans le luxe de la demeure familiale quelques heures avant le départ de Matthieu.

Mais de retour à la caserne, Matthieu, toujours en révolte, résiste aux ordres.

La haine qu'il éprouve pour Fabrègues, son chef, le pousse à l'abattre…

Matthieu assassin s'enfuit.

Aussitôt jugé comme déserteur, Matthieu est condamné à mort.

Traqué, affamé, révolté, Matthieu se cache, errant pendant des jours jusqu'à retrouver Esther, cette épouse qu'il connaît à peine, si jeune, naïve, qui sera la seule personne à accepter, sans poser de question, de lui venir en aide.

Esther tait sa présence, soigne ses blessures, trouve de quoi le nourrir, en secret, fidèle à ce qu'elle aime de l'esprit des juifs d'Ukraine, persécutés, un peu anarchistes…

Une protection que va bientôt découvrir Charles de Maussane, l'ami d'enfance de Matthieu, l'être cher, anti-Dreyfusard d'extrême droite et grand amateur d'art qui s'est spécialisé depuis les mutineries d'Octobre dans la chasse aux traîtres et aux mauvais soldats.

Matthieu, qui s'est toujours refusé à l'idée d'aimer une femme pour de bon, épuisé par la haine, aperçoit la beauté d'Esther.

Naissance d'un amour qui tourne au sacrifice où Esther tente tout pour sauver Matthieu, jusqu'à abandonner sa propre vie et celle de l'enfant qu'elle attend de lui.

Un sacrifice passionné pour un homme qui découvre, à jamais bouleversé, la vérité d'une femme étrangère.

1-

Hiver 1917.  

Un jeune homme, les yeux bandés, les mains liées, attend.

Devant lui, un peloton d’exécution s’organise.

Un soldat s’approche de lui, fouille la poche de sa chemise ouverte et en sort un papier chiffonné. Le soldat lit pour lui-même les quelques mots griffonnés à la hâte sur la feuille froissée.

“...Je sais, mon amour, je ne t’ai pas écoutée. Mais je suis sûr que j’ai eu raison. Un des ces jours on aura un autre monde, bien  meilleur, où les hommes vivront égaux  et libres, dans le communisme...”

Sur un geste du gradé, les soldats lèvent les canons des fusils  vers lui.

Le jeune homme hurle de toutes ses forces: 

“A bas  la guerre !” “Vive la paix !” “Désertion, partout...!”

Les visages des soldats s’inscrivent immobiles derrière les armes.

Le cri du gradé, couvre sa voix:

“Feu..!”

Les coups de feu claquent.

Le jeune homme s’écroule ensanglanté.

2-

Un  bourg des Alpes de Haute Provence,  centre de transit ferroviaire, où se croisent ceux qui reviennent des tranchées de l’Est et ceux qui partent pour le front.

Soldats entassés dans un hall de gare parmi les sacs de vivres et les caisses de munitions. Allées et venues. Bousculades. Soldats blessés qui déambulent, parfois portés sur des civières. Gazés, amputés, sont évacués.

Encadré de deux infirmiers, un homme, gravement mutilé, agonise depuis heures, allongé sur une civière au fond de la salle. Il parle sans discontinuer, serrant les dents pour oublier la douleur: “Je t’emmerde, lieutenant. Je crève et je t’emmerde. Vas donc te faire foutre! Charogne!”

Il crache au visage d’un lieutenant qui se tient là. A bout de nerfs, le lieutenant est prêt à le gifler lorsqu’un jeune sergent, Matthieu de Valleraugue, resté en retrait, retient son bras.

Les deux hommes se dévisagent: 

-Foutez-moi le camp, Valleraugue, ou c’est votre permission qui va encore sauter. Compris ?

Matthieu Valleraugue soutient le regard du lieutenant Fabrègues puis s’éloigne à l’appel des premiers noms de permissionnaires.

Une bonne soeur s’apprête à piquer l’homme afin d’atténuer sa douleur. On lui tend des ustensiles médicaux. L’homme refuse les soins. Il hurle. Il hurle qu’il hait Dieu et toutes les salopes de la terre. Il se débat. Vive l’anarchie ...!  Il est évacué.

3-

Fabrègues se dirige vers le quartier général où quelques officiers supérieurs sont réunis autour du Général Mollines. Celui-ci ne cache pas son inquiétude devant de la situation plutôt embarrassante des positions Nationales. Fort heureusement, la campagne de permission lancée par le Maréchal Pétain devrait remettre du baume au coeur dans les troupes...

Le sergent Valleraugue entre alors dans la pièce avec un pli qu’il remet directement au Général. L’officier ouvre le pli et annonce à son entourage la décision de l’Etat Major de lancer la nouvelle offensive dès que les dernières garnisons seront rentrées de permission.

Offensive ambitieuse, sans aucun doute. Perdue d’avance à en juger par les positions et le nombre d’hommes en état de combattre.

On estime les pertes...Des chiffre sortent...accablants.

La date de l’offensive restera secrète.

4-

Près des quais, on appelle les permissionnaires.

Les soldats Roquebrune et Milon répondent à l’appel puis c’est au tour du sergent  Matthieu de Valleraugue.

L’intendant  lui jette son paquetage, un gradé signe une feuille de route sous le regard lointain du lieutenant Fabrègues. Matthieu de Valleraugue est sans doute le seul à savoir qu’à la veille de la bataille qui se prépare, ses jours, comme ceux de ses camarades permissionnaires, sont désormais comptés.

Matthieu grimpe en vitesse dans le camion qui le dépose ainsi qu’un groupe de soldats  en tête d’un convoi dont on annonce le départ imminent.

Brumes matinales.

5- 

Une route de campagne. Trois jeunes filles en vélo: Marie Maugio, une fille du village, Marta Sanchez, un visage brun au type juif d’Afrique du Nord et Esther Olbryzky.

Sur leur chemin, Matthieu de Valleraugue, le soldat Milon, et le soldat Roquebrune  qui marchent vers le village.

Les gars aperçoivent les jeunes filles...les jupons taquins qui remontent le long des  jambes. Plaisanteries. On siffle. Les filles sourient.  On aime les soldats, c’est des gars courageux. Matthieu court derrière les filles, les complimente, Milon pousse leur bicyclettes pour les faire rire encore. Cris. Chutes. Rires.

Esther et Marie s’éloignent, toujours chahutées par Matthieu et Milon tandis que Roquebrune reste seul derrière avec Marta.

Il bouscule la jeune fille qui roule sur le bas côté.  Puis il se jette sur elle.

Dans le foin du chemin, il retrousse ses jupes,  arrache son

 corsage …

Elle lui crie d’arrêter. Elle hurle.

Les autres croient qu’ils jouent.

“Arrête de crier !” crie Roquebrune.

Au loin, Matthieu appelle Roquebrune: Rocco.. !? Qu’est-ce que tu fous, bordel !

Milon, brûlant de ne pas perdre les filles de vue, hurle à son tour: ramène-toi bon sang ! Nous, on se tire ! On se retrouve au village, d’accord..?

Les deux hommes s’éloignent en courant à la poursuite de Marie et Esther.

On n’entend plus que Marta qui crie dans la campagne.

Plus loin, un homme, Charles de Maussanne,  passe à cheval..

6-

Une bastide magnifique, vestige suranné du plaisir de vivre des princes d’Orange. Toiture imposante aux couleurs ocres et bleues, une architecture dix-huitième à la fois raffinée et austère, perdue dans la garrigue. Un intérieur chargé, où la tradition provençale  trouve son équilibre avec le romantisme des décorations Louis Philippe. Vastes pièces couvertes de tissus sombres, murs couverts d’huiles et d’aquarelles, lampes à pétrole et napperons...Au centre, un piano a queue.

Arrivée dans la famille.

Retrouvailles.  Mon fils..! s’écrie Hélène.

Déjeuner dans la grande salle à manger, sous le lustre ancestral.

Argenterie, porcelaine, lingerie fine...

Hélène, Jérémie,  Matthieu...Des nouvelles du front.

Charles de Maussanne, l’ami enfance est là avec quelques amis accompagnés de  leurs épouses.

Charles a été grièvement blessé quelques mois auparavant. Il lui manque un bras et il porte la cicatrice d’une vilaine blessure le long du cou.

Matthieu  raconte sa guerre. Il a l’air en pleine forme.

Charles donne un anecdote à propos des troupes sénégalaises  qu’il a fait manoeuvrer non loin d’ici,  pour l’entraînement:

“Alerte au gaz!”, criai-je. En un clin d’oeil tous les masques sont tirés de leurs boîtes et placés sur les faces grotesques des nègres.

J’avise un  sénégalais qui n’a pas mis son masque et lui demande: “Pourquoi, soldat, ne portez-vous pas votre masque ?”

“Moi y en a pas être content mettre ça sur mon tête”, répond le nègre.”

“Oui mais si toi pas mettre ça sur ton tête, toi y en a mort !”  

“Y a bon !!”, répond le nègre en s’emprisonnant avec répugnance le museau sous le masque à gaz...” 

Eclats de rire. Forts et sonores.

Putain de nègres...!

7-

Nuit.

Matthieu redécouvre sa chambre au premier étage de la demeure de ses parents: intérieur douillet, riche de souvenirs d’une vie familiale où veillent  les portraits d’enfance aussitôt rangés au fond de l’armoire.

Parmi les affaires que Matthieu jette en vrac sur son lit, une photographie: deux jeunes hommes assis côte à côte, en costume militaire, se tenant amicalement par l’épaule.

On reconnaît le sourire de Matthieu mais aussi le visage encore adolescent du jeune homme révolté, hurlant sa conviction pacifiste avant d’être passé par les armes. (seq n°1)

Dans le souvenir de Matthieu, les images reviennent:

Un Lieutenant dirige une vingtaine d’hommes qui forment le peloton d’exécution: on reconnaît le Lieutenant Fabrègues. Parmi les hommes, on découvre Matthieu qui tient son arme en joue.

Fabrègues hurle: Feu !

Matthieu, comme les autres, fait feu.

L’horreur se lit encore dans ses yeux.

8-

Nuit. Un modeste appartement situé à l’arrière d’une boutique de couture.

L’atelier d’Yvan Olbryzky, toujours dans la pénombre, est organisé autour d’une planche à repasser couverte de linge, une grosse machine à coudre Singer et un portrait de Sémiovna, la femme d’Yvan, lorsqu’elle avait 20 ans. Ressemblance étonnante avec Esther.

Un mannequin et quelques étagères où sont posés les chemises, les jupes et les patrons.

La solitude. Et l’affection d’Esther pour son père.

Esther parle de Matthieu. Le fils Valleraugue a encore fait des siennes, paraît-il. Elle avoue comme une attirance pour ce voyou, connu pour sa luxure quotidienne.

Yvan poursuit son travail à la lumière de la lampe à gaz.

9-

Jérémie de Valleraugue et le Commandant d’Estrées, vieil ami de la famille, font face aux soldats Milon et Roquebrune dans le grand salon de la demeure des Valleraugue, tandis que Matthieu se tient à l’écart dans le fond de la pièce.

“Décidément, attaque d’Estrées, Matthieu, on peut dire que tu  reste à la hauteur de ta réputation... Un débauché! Marta est incapable de prononcer un mot depuis qu’un groupe de permissionnaires lui est passé dessus. Ça ne te dis rien ?”

Milon et Roquebrune se taisent en regardant Matthieu.

Roquebrune accuse Matthieu de l’avoir entraîné. Milon n’a rien vu.

D’Estrées précise que ce “genre d’écart” est d’autant plus sévèrement puni qu’il est commis sous l’uniforme.

Mathieu regarde Roquebrune qui se tait.

10-

L’ombre du lavoir. Fraîcheur.

Esther et Marie, un peu court vêtues, font leur lessive quotidienne. Sous les robes légères, les manches retroussées, on devine les peaux mates et fines des jeunes femmes.

Matthieu les observe.

Marie poursuit sa lessive sans prêter attention à lui tandis qu’Esther le surveille du coin de l’oeil tout en étalant son linge sur la pierre.

Il vient plus près d’Esther.

Il ôte sa chemise.

Elle est pieds nus. Sous sa robe humide on distingue la forme de son corps. Ils échangent un regard.

Puis Matthieu plonge la tête sous l’eau de la fontaine...

11-

Dans la campagne, Sandro Sanchez, le père de Marta, un homme rugueux, accroché à la poussière de son champ, aperçoit Matthieu qui longe le chemin des oliviers.

Matthieu vient vers lui. L’homme interrompt son travail.

Il attrape sa pioche bien solidement à la main.

Il laisse Matthieu approcher.

-Qu’est-ce que tu veux ? C’est chez moi, ici. Fous le camp.

Il lève sa pioche.

-Fous-moi le camp de là, d’accord ?!

Mathieu fixe son regard.

-Je voulais savoir pour Marta.

-J’ai rien à te dire. Tu n’es qu’une ordure.

12-

Un  grand champ, en plein soleil, encadré d’oliviers.

Marie et Esther étendent les draps qu’elles viennent de laver.

Marie, un brin coquine, râle contre ce soleil qui pique la peau. Comme des gamines, les deux jeunes femmes  s’aspergent de l’eau de la citerne installée  en contrebas .

Marie, apercevant  Matthieu qui approche se couvre aussitôt d’un linge qu’elle tient en boule contre sa poitrine.

-Espèce de cochon, t’étais encore venu rôder par ici pour te rincer l’oeil, hein, salopard ?  Ne touche pas à ça (désignant le corsage d’Esther qu’il ramasse dans un panier), tu vas le salir ! Pousse-toi de là avec  tes sales mains empoisonnées...!

Mattieu sourit. Esther aussi.

Un brin de charme maniéré auquel Matthieu répond à son tour d’une plaisanterie:

-Savez-vous, mesdemoiselles que j’ai décidé de devenir fidèle ?

Eclats de rire des deux filles. “Devenir...!”

-Moquez-vous , c’est ça...  c’est la vérité. La guerre et toutes ses horreurs m’ont beaucoup changé, croyez-moi...Blessé deux fois, déjà...

-Pas au petit oiseau, j’espère... rit  Marie ! Tu nous prends pour des gourdes ou quoi ?

-Fidèle ? demande Esther, mais à qui ?

Il s’approche d’Esther tandis que Marie s’ éloigne vers  la rivière avec son linge.

-Tu sais que je vais bientôt me marier?

Elle se trouble  au contact de Matthieu qui la regarde dans les yeux.

-Ben dis-donc. On aurait jamais cru.

-C’est comme ça.

-Et c’est pour quand ?

-Avant mon départ.

-Si vite ? Tu dois être très amoureux. (elle se rembrunit, un peu jalouse) On peut savoir qui est l’heureuse élue ?

-Bien sûr.

-C’est qui ?

-Toi.

-Salaud! Salaud! Tu changeras donc jamais, hein? Elle le frappe de toutes ses forces sur la poitrine. Cochon!

Il rit aux éclats.

-D’accord ?

-Jamais de la vie!

Elle s’enfuit rejoindre Marie.

-Tu me le payeras...!

-Qu’est-ce que tu risques, hurle-t-il, je ne suis pas le plus beau?

-Sûrement  pas !

13-

“Bravo pour la petite Marta! Toute la ville en parle...!

Les permissionnaires de Pétain! A la une des gazettes! Tu parles d’un chic. Bon sang, faut-il donc que tu sois toujours dans tous les sales coups ?”

Matthieu laisse tranquillement se vider la colère de son père, puis, dans un silence enfin retrouvé:

-A propos, j’ai une très bonne nouvelle pour vous: j’ai décidé de me marier.

Hélène manque de s’évanouir en demandant avec qui.

Matthieu répond tranquillement:

-J’ai décidé d’épouser Esther Olbryzky. Vraiment, cette fille me plaît.

Silence consterné.

-D’ailleurs on est déjà fiancés.

-Tu plaisantes...!?

Matthieu ajoute:

-J’ai décidé d’épouser la juive Esther Olbryzky. Cette fille est très belle ...

-La fille du russe ? Ce vieux juif ? C’est une blague ?

-Non.

-Tu n’as rien trouvé d’autre à faire comme  connerie ?

-Ce sera un très beau mariage...Elle vous plaira, j’en suis sûr...J’ai décidé que la cérémonie aurait lieu le plus tôt possible, avant mon départ. Voilà.

Il se tourne vers sa mère:

-Qu’en penses-tu maman: un Valleraugue épouse la fille de son chemisier, c’est pas national ça ?

-Tu es devenu fou !! hurle Hélène, hystérique.

-Le seul ennui, je te comprends, c’est qu’elle est juive...

conclut-il.

13-

L’idée fait son chemin.

Une maison si belle et si distinguée...Esther annonce à ses amies la demande officielle de Matthieu de Valleraugue...

Un brin fière. Un brin intriguée. Un mariage...déjà.

Les filles plaisantent, font part de leurs expériences, s’amusant de ce que les champs ne se divisent pas toujours comme on le voudrait et qu’il faut bien parfois avoir de la raison pour préparer son avenir. Après tout, on s’en débrouille toujours, des hommes...!

-Au fait, pour la religion tu fais comment ? demande Marie.

-Chez nous pas de problème. On est juifs mais plutôt athée, genre ni Dieu ni maître ...

Ciel !!!

14-

“Un beau mariage....Tout en blanc !” soupire Esther, rêveuse, en regardant  son vieux père par en dessous.

Yvan, qui est  recroquevillé sur son travail, toujours éclairé par  cette faible lumière venant de sa lampe à gaz, lève le nez.

-Mais il faut bien réfléchir! ajoute-t-elle...

Le soir, avant de s’endormir, un mot d’Yvan, chuchoté à l’oreille de sa fille:

-Méfie-toi des bourgeois, ma fille...!

15- 

Un mariage où l’hypocrisie est reine. Tout est faux. La bonne société du département est réunie. Chacun papote. Matthieu est très à l’aise, affichant un désintérêt total pour cette mascarade, se moquant des uns et des autres, insolent. Esther, elle, est totalement perdue, vivant tout cela comme dans un rêve.

-Monsieur Matthieu de Valleraugue, désirez-vous prendre pour épouse mademoiselle Esther Olbryzky, ici présente ?

Matthieu observe Esther. Dans cette robe blanche, elle fait terriblement jeune fille de bonne famille...  Il jette un oeil sur le visage rougeaud du maire. Puis sourit à Esther.

-Oui.

Mademoiselle Esther Olbryzky, désirez-vous prendre pour époux monsieur Matthieu de Valleraugue, ici présent ?

Elle observe le maire, puis la ligne que forme la famille Valleraugue, réunie au grand complet derrière elle, au premier rang. Plus loin Yvan, son père, un peu à l’écart. Un regard échangé avec cet homme qu’elle aime tant...

-Oui.

Matthieu éclate de rire. Esther rit, elle aussi. Sans doute d’autre chose...

16-

Fête dans les jardins de la bastide des Valleraugue.

Charles de Maussanne et Matthieu , déjà un peu éméchés, échangent quelques verres.

-Qu’est-ce que tu crois ? Que j’ai fait vœu de chasteté ? Marié ou pas ça ne change rien. Rien du tout. Je m’en fous pas  mal...!

-Espèce de salopard, tu m’avais pourtant juré...

-Juré mon cul...!

-Tout de même...une juive !

Matthieu, soudain très agressif, fait face à Maussane, dans les yeux:

-Ferme-ça, d’accord? Les juifs puent, c’est vrai. Mais moins que toi et toute cette saloperie. Dans quinze jours je serai au front. On va tous y crever, au front, d’accord? Alors, laisse-moi foutre le camp en beauté! Rien que pour le plaisir de les faire chier!

Merde !

Maussanne éclate de rire:

-Pauvre con !

17-

Nuit de noce.

Esther en chemise de nuit. Contre jour. Près de la coiffeuse. Matthieu l’observe.

-Déshabille toi.... Qu’est-ce que tu attends ?

Elle refuse.

Il s’approche.

Plus près.

Il défait sèchement l’attache de son corsage. La poitrine de la jeune femme se dénude.

Il voudrait la caresser mais renonce.

Elle pleure.

Elle est terrorisée.

Il lui dit: “Fiche le camp.”

18-

Une nuit au bordel avec Maussanne. Matthieu s’enivre. Rit fort. Charles aussi. Même avec un seul bras, et une seule couille, je bande encore, pas vrai, beauté? La pute rit. Matthieu est saoul.

Une fille lui demande: “alors ça fait comment un “oui” devant monsieur le maire? Bon papa ? Hein, dis... C’est comment ? Elle est pas mal roulée la juive!”

-Ta gueule...! répond Matthieu.

19-

Petit déjeuner confortable dans la salle à manger des Valleraugue où Matthieu est plus odieux que jamais, épinglant à loisir la lâcheté des bourgeois, leur compromission, l’abandon des valeurs morales...

Jérémie le traite de dandy dépravé.

Hélène, Jérémie, Esther... sous le regard des domestiques.

20-

Fin de la permission. Retour à la caserne. Comme une délivrance. Matthieu s’en va. Ouf ! De l’air ...!

On parle des mauvais soldats. Mutineries et autres pacifisteries. Maussanne est fier de l’orgueil des Français, de l’exemplarité des punitions. Il embrasse Matthieu son ami avant de partir.

21-

Retour à la garnison.

Matthieu est accueilli par le Colonel Mollines.

-Félicitations, Sergent Valleraugue. Vous voilà désormais père de famille...Ou presque !

Il se rembrunit aussitôt après avoir charrié Matthieu avec tout l’humour que la garnison lui connaît:

-Des gars de votre espèce ne méritent pas la chance qu’ils ont...

On commente l’offensive de Nivelle côté Chemin des dames: une boucherie.

22-

Les batiments militaires plongés dans la nuit. Silence.

Un main. Un hachoir. Les douches du dortoir. Un cri. Une giclée de sang sur des carreaux blancs.

Un homme vient de se mutiler deux doigts de la main droite. L’homme hurle. Un compagnon lui saute dessus pour étouffer son cri.

-T’es dingue ! Mais qu’est-ce qui t’as pris, bordel?

-Je veux pas y retourner, t’entends ? Je veux pas! Je préfère crever tout de suite! Tout de suite !! Merde!!

Il vomit.

Puis il s’évanouit.

Matthieu aide à faire un garrot. On allonge l’homme sur sa paillasse jusqu’à demain.

Au fond de la chambrée, le gémissement délirant d’un blessé qui cauchemarde.

Matthieu  ne trouve pas  le sommeil.

23-

“Déridons le front”.

Le colonel  Mollines adore le sport.  “Il faut des loisirs aussi”, clame-t-il.  “Et surtout pas pas de défaitisme.”

Un championnat de boxe française est organisé dans la cour de la caserne.

Le lieutenant Fabrègues, soldat peu aimé mais bon boxeur, cherche son “challenger”. C’est le moment d’en profiter pour tous ceux  qui ont des comptes à régler.

Mais Fabrègues propose un enjeu en privé: celui qui le mettra K.O. sera volontaire pour diriger le peloton d’éxécution si par hasard le lâche qui s’est mutilé est condamné...

Une mauvaise tête toute trouvée pour ouvrir le bal: Matthieu.

“Toi, Valleraugue, avec ta tête de mule, on vas bien voir si tu fais le poids....depuis le temps que tu me cherches.”

Combat à l’ancienne. Ring improvisé.. Short et chaussures de cuir. Gants. Coups secs. Bien portés. Matthieu encaisse. Il rend bien. Violent. Coup pour coup. Encouragements du public.

Mais Fabrègues sort un crochet au foie, doublé d’un autre au menton et Matthieu se retrouve au sol. Fabrègues lui remet deux directs. Matthieu s’accroche, cogne de plus en plus sec, jusqu’à prendre le dessus à son tour. Un coup, deux coups. Fabrègues est sonné. Matthieu sent qu’il prend le dessus. Il insiste, est prêt à l’emporter lorsque Fabrègues le provoque:

-Vas-y! Cogne! Qu’est-ce que tu attends ?

Matthieu, refusant l’enjeu fixé par Fabrègues, renonce à poursuivre. Le combat tourne à l’horreur.

Matthieu ne porte plus ses coups tandis que Fabrègues en profite pour se ruer sur lui. Une pluie de coups très violents. Valleraugue s’écroule, le visage en sang. Sonné. Complètement démoli.

-Tu l’as bien cherché, Valleraugue, dit l’un des soldats. Fabrègues lève les bras fièrement en signe de victoire.

Servi.

24-

Mini Conseil de guerre. Improvisé dans une petite salle de mairie sous un drapeau bleu blanc rouge.

-Soldat Dubosc, selon le rapport du Capitaine Carpeaux vous vous seriez sectionné deux doigts de la main droite à l’aide d’un hachoir de cuisine, c’est bien cela ?

-Oui, mon colonel.

(On reconnaît l’homme vu précédemment. Il est maintenant installé seul sur une chaise, devant une ligne de gradés.)

Dans quel but avez-vous commis ce geste ?

-Je ne souhaite pas retourner au front, mon colonel.

- Bien.

-Savez-vous ce que vous risquez, Soldat Dubosc ?

-Oui, mon Colonel.

-Emmenez cet homme.

Délibération du tribunal. Punition exemplaire. Exécution?

Fabrègues, comme prévu, est chargé de désigner des volontaires pour composer le peloton qui appliquera la sentence non encore prononcée.

Et Fabrègues, dans un cynisme exemplaire, désigne  Matthieu de Valleraugue, la forte tête...

Matthieu à l’écart de la caserne, occupé à la réparation d’un véhicule miltaire, refuse. Empoignade. Insultes. Fabrègues le provoque, ravivant le souvenir de ce jeune soldat  -un traître, un déserteur- qu’il avait bien fallu exécuter...Ce jour là, Valleraugue n’avait été si délicat...

Hors de lui, Matthieu se rue sur son lieutenant, comme fou. 

Cette fois, les deux hommes combattent pour de bon. Seul à seul. Une lutte acharnée où Matthieu puise une force impressionnante dans la haine qui l’anime. Aveuglé par la révolte, Matthieu cogne et cogne encore jusqu’à ce que Fabrègues s’écroule. Milon, seul compagnon de Matthieu, assiste impuissant à la bagarre.

Fabrègues ne bouge plus.

Matthieu regarde Milon qui cherche à comprendre, désorienté en observant le corps inanimé de Fabrègues.

Ils se regardent....

Du côté de la caserne, on sonne le rassemblement.

Face à eux, le visage bleui de Fabrègues, couvert de sang. Un officier. Mort.

Devant eux, la campagne est là. Plate.

Matthieu, comme dans un état second, ramasse ses affaires.

Au loin, un détachement d’une dizaine d’hommes se dirige vers eux.

Matthieu saisit son sac et se met à courir droit devant. Sans réfléchir.

Milon hurle, effrayé: Valleraugue !Attends! Attends-moi ! Ou tu vas !? Merde !!

25-

Soleil sur la campagne. Deux hommes, déguenillés marchent vers la rivière. Matthieu, défait sa chemise et se lave, en surveillant de l’œil les alentours. Lui et Milon  sont désormais des délinquants.. Condamnés à mort. C’est le sort qu’on réserve aux déserteurs. Milon accuse Matthieu d’être une tête brûlée. Matthieu lui répond que s’il veut partir au front, c’est quand il veut.

26-

Compte rendu de la mort du Lieutenant Fabrègues au quartier général. Deux hommes sont portés disparus: le Sergent Matthieu de Valleraugue et le soldat Milon. Le colonel  Mollines demeure circonspect. De Valleraugue....un salopard ?

27-

Soir. Milon a faim. Et froid. Et Peur.

Matthieu résiste. Milon n’en peut plus de marcher. Un troupe d’une dizaine de soldats arrive. Une moto suivie d’un camion. Matthieu se jette sur le bas côté, entraînant Milon avec lui. Il roulent dans l’herbe sous les arbres qui dominent les gorges du fleuve. Milon a peur. A envie de faire demi-tour. D’aller se rendre. D’appeler. Il commence à crier. Matthieu étouffe son cri. Il se débat. Criant. Appelant. Hurlant qu’il veut se rendre, qu’on ne lui fasse pas de mal, surtout pas de mal. Juste revoir Magali...Matthieu lui cogne dessus, une fois, deux fois... Milon est comme fou, hystérisé par la peur.

Les soldats s’arrêtent. L’un d’eux a entendu des voix, venant des fourrés. Il avance.

Il aperçoit  une silhouette dans les herbes. Un uniforme. Il fait feu aussitôt.

Matthieu s’écroule. Milon voudrait s’enfuir mais Matthieu l’arrête d’un coup sec derrière la nuque, avec le plat d’une pierre. Milon s’évanouit. Matthieu l’entraîne avec lui derrière le rocher en contrebas. Il le plaque contre lui le long de la paroi, en aplomb sur le vide.

Le soldat avance toujours dans cette direction lorsque le lieutenant l’appelle:

Meynades ! Reviens! C’est encore un lièvre que t’as du louper, connard! Ramène-toi, on va rater la soupe!

Après un dernier coup d’oeil, le soldat rebrousse chemin. Il rejoint son groupe et s’éloigne avec lui.

Matthieu réprime une envie nerveuse de pleurer.

Un coup d’oeil sur sa jambe gauche qui n’est plus qu’une plaie qui saigne abondamment.

28-

Matthieu est endormi. Milon se réveille. Il se lève, observe le soir autour de lui, s’approche de Matthieu dont la jambe, nouée d’une chemise, continue de saigner. Sans un bruit, il glisse la main vers son fusil. Il l’attrape puis le colle vite contre lui.

Milon s’éloigne après un regard en direction de Matthieu qui dort toujours.

29-

Milon parvient au sommet de la falaise qui domine les gorges du fleuve. Magnifique  paysage, au coucher du soleil...

Milon tient  son fusil bien près de lui. Une nature paisible s’étale sous ses yeux. Il contemple un moment le spectacle puis...il dirige le canon du fusil  vers lui. Il arme.

Il hurle: Feu !

Il  a tiré.

Une détonation qui résonne un moment dans la campagne.

30-

Matthieu se réveille en sursaut.  Milon...!? Milon ?

Matthieu cherche son compagnon, à pas silencieux, jusqu’au fleuve. Milon... !?

Puis le visage ensanglanté de Milon apparaît.

31-

L’heure du  thé chez Hélène de Valleraugue.

Un moment charmant, musical, où Charles de Maussanne, accompagné par Hélène au piano, interprète brillamment un lied de Schubert: “Nacht und Traüme” (“Nuit et rêves”)

 

Sainte nuit, tu descends sur terre;

Et avec toi descendent les rêves,

Comme ton clair de lune dans les chambres,

Ils défilent dans la calme poitrine des hommes.

C’est avec joie qu’ils les contemplent

Et s’écrient à la pointe du jour:

Reviens, ô sainte nuit!

Doux rêves revenez!

(Matthaüs von Collin)

Que l’Allemagne est charmante, parfois...

Tant de finesse, de culture et si bons commerçants...

Esther se tient en retrait, dans le fond de la pièce.

On commente l’actualité. Lénine et les bolcheviks ont pris le Palais d’Hiver. L’échec de l’offensive de Nivelle et les premiers succès de Pétain. Quel brave homme ce Maréchal. Si doux envers les hommes. Moins sévère que Nivelle, dit Hélène, tandis que Jérémie acquiesce. Mais Charles de Maussanne souligne le risque de mollesse incarné par le Maréchal. “Un guerrier est un guerrier”, dit-il, pas de quartier.  La guerre n’est pas faite de permissionnaires., Elle est faite de soldats...! A propos de soldat: on est sans nouvelle de Matthieu depuis plusieurs jours. Il semblerait qu’il soit porté disparu.

Hélène s’inquiète. Matthieu aurait-il été tué ? Charles dit qu’on a pas retrouvé son cadavre...

Esther reste muette.

32-

Le village. La campagne. Déserte.

Yvan travaille dans la pénombre de son atelier à la confection des chemises de soies que lui a commandées Hélène pour son mari. 

-Tu vas te gâcher les yeux, papa....

Esther s’installe près de lui et rembobine machinalement une pelote de fil:

-On dit que Matthieu a été porté disparu...Qu’il est peut-être mort. Tu crois qu’il est mort, toi? Ou bien blessé quelque part...

Silence du père qui observe sa fille du coin de sa lunette. Elle semble avoir peur, elle aussi.

(Peur qu’il soit mort comme peur qu’il soit en vie...? Peur d’Yvan aussi qui voit la vie de sa fille passer à côté d’elle...)

33-

L’étang. Soleil et brume. Marie Maugio rince son linge au lavoir. Toujours accompagnée d’Esther, son amie. Apparaît Maussanne. Souriant, il approche des femmes, les regarde d’un peu plus près. Elles sont belles, jeunes, les poitrines frémissantes sous les décolletés. A la faveur de la fraîcheur du matin, Maussanne fait des avances, un peu grossier.  Esther menace de lui coller une baffe. Il part en riant.

34-

Les deux filles papotent sur le chemin du retour: les hommes...         -Ce Maussanne est fou ! Un vrai malade !

Des confidences:

-C’est vrai que c’est dur tous ces mois sans rien du tout, même pas la moitié d’une caresse...

Esther pouffe.

-Pas de nouvelles de Pierre, dit Marie. Un mari tout neuf..! Parti depuis six semaines. Au front. On dit que ça va mal...que les soldats se mutinent...qu’on fusille les déserteurs rien que pour l’exemple....

-On dit que Matthieu a fait des conneries ? Tu m’étonnes... C’est bien son habitude...!

Se faisant un curieuse, presque grivoise:

-Au fait, comment ça se passe avec lui ...Vous avez couché ?

Esther ne répond rien.

Marie touche son ventre et dit qu’elle est peut-être enceinte...

35-

Esther est chaque jour plus seule dans la demeure des Valleraugue. Jérémie l’observe en coin tandis qu’Hélène affiche pour elle tout son mépris. Esther est  d’évidence plus proche des domestiques que des Valleraugue.

-Tu ne sauras donc jamais te comporter en fille de famille, ma pauvre enfant!

Envie de fuir. Attente. Résignation. Des pensées pour Matthieu aussitôt chassées.

- N’oublie pas que tu n’es là que pour la bonne règle....Quand  tout sera calmé, ce sera autre chose.

36-

Soir dans un salon feutré où l’on parle à demi-mot. Maussanne  reçoit le commandant d’Estrées. Le Commandant -on sent l’Action Française à plein nez- fait un état de la situation. L’ennemi est aussi à l’intérieur: pacifistes, juifs, et bolcheviks organisent la défaite. Commentaire sur l’action nécessaire des civils de bonne volonté: surveiller les parts de viande qu’on achète, les femmes qui accouchent, les labours dans les campagnes, les allées et venues des hommes. En un mot: faire la chasse aux traîtres, aux marxistes, aux anarchistes.  Attraper les déserteurs, les juger et les fusiller pour l’exemple...devant chez eux. Un programme qui convient parfaitement à Maussanne qui en bave de ne plus pouvoir combattre depuis sa réforme... Et puis…surveiller les femmes sans hommes, quel plaisir...!

37-

Un collet de braconnier délicatement posé dans le creux d’un fourré, puis le visage de Mathieu qui retient son souffle. Il attend.

Sa jambe le fait de plus en plus souffrir.

Silence.

Une allumette humide s’enflamme péniblement  pour un petit un feu qui donne un peu plus loin quelques braises dans un trou.

Puis une perdrix s’étrangle dans le piège qu’il a patiemment tendu.

38-

La nuit. Chaleur. La bastide des Valleraugue. Silence. Des pas. Une silhouette dans l’ombre. La chambre de Jérémie Valleraugue. Une bougie qui se termine. Jérémie lit. La chambre voisine, Hélène de Valleraugue ronfle bruyamment.

Le couloir à l’étage. Une chambre. Esther. Endormie, allongée à demi nue sur son lit. Une fenêtre entr’ouverte laisse passer un peu d’air.

Des pas qui s’arrêtent. Jérémie se lève, écoute un moment le silence. Il souffle la bougie et se couche.

La silhouette s’éloigne.

39-

Un drap blanc gorgé d’eau claque violemment contre la pierre du lavoir où Marie essore son linge lorsque Maussanne apparaît:

-Alors comme ça, on dit qu’une saloperie de sanglier t’a égorgé une chienne, cette nuit ?

Marie lève le nez et acquiesce, en larmes, visiblement émue d’avoir perdu sa seule compagnie.

Maussanne s’approche d’elle, mimant de parler bas:

-On m’a dit aussi que tu dors avec rien en  dessous, même pas une petite culotte. Rien que la peau sur le drap...?

-Qu’est-ce que ça peut te foutre ..?!

-Je te comprends. Avec cette chaleur...Ça te manque, pas vrai?

-Maussanne, tu n’es qu’une saloperie...une sale bête immonde..!   Maussanne rit. Il s’approche plus près:

-Si des fois c’était un homme qui venait te chatouiller par la dessous, ma  petite  chatte, crois-moi que j’aurai vite fait de le harponner et de le renvoyer à son régiment. Compris ?

-Fous-le camp !

40-

Nuit. La ferme isolée de Marie Maugio. La jeune femme est seule dans la maison. La même silhouette progresse dans la pénombre.

La silhouette avance dans la maison jusqu’à la chambre de Marie. La porte s’entrouvre. Marie est endormie, nue sur son lit  à moitié défait.

41-

Un cri.

Les porte de la chambre d’Esther s’ouvre brutalement.

Hélène apparaît en larmes, hystérique.

Elle hurle, sans se contenir, devant ce qu’elle vient d’apprendre:  on a retrouvé le cadavre de Matthieu dans le fond du ravin de Sainte Eulalie...! Matthieu! Ce n’est pas vrai, n’est-ce pas ? Ce n’est pas vrai..!!

Elle tient à la main une feuille de papier dactylographiée venant de l’Etat Major: on a retrouvé les papiers militaires du  Sergent Valleraugue sur le corps à moitié déchiqueté d’un soldat  fuyard. Un corps méconnaissable, sans doute à la suite de l’explosion d’une grenade offensive. Les militaires indiquent qu’il s’agit de Matthieu de Valleraugue. Son complice, lui, serait toujours en fuite...

42-

Nuit. Bastide des Valleraugue. Des pas. Couloir de l’étage. La chambre d’Esther. Esther lit près de la fenêtre, à la lueur de la bougie. Une silhouette approche dans son dos. Silence. Une main épaisse lui attrape violemment le visage tandis que la lame sale  d’un couteau de combat vient glisser sur la peau fine de sa gorge. Cri étouffé. Les yeux apeurés d’Esther découvrent brutalement le visage crasseux d’un homme méconnaissable: Matthieu. Chevelu.  Barbu. Ensanglanté. Blessé.

-Surtout ne crie pas...C’est moi, Matthieu, d’accord ?

Nerveux, fiévreux, comme terrorisé. Il pue, dans ses vieilles guenilles couvertes de sang séché. Il agit vite. Elle tremble de peur. Elle réprime un oui de la tête lorsqu’il relâche légèrement la pression de la lame de son couteau sur sa gorge. Elle saigne légèrement.

43-

Nuit. Matthieu entraîne Esther à l’écart de la bastide des Valleraugue, sur le chemin de la montagne.

Il avance la pointe de son couteau plus près de son visage:

-Jure de ne rien dire à personne.

Esther tremble. Elle a froid. Et peur aussi.

-Oui...oui...

Il s’adresse à elle lui parlant de très près:

-Jure !

-Je le jure.

-Je n’hésiterai pas, compris ? Tu es la seule à me savoir en vie...

-Tu vas faire ce que je vais te dire. Tu me trouveras là-haut, au refuge, après le lac des Baugnes. Je t’attendrai ...

44-

Un face à face austère entre Esther et Hélène de Valleraugue au petit déjeuner.

Hélène, qui porte désormais le deuil de son fils, regarde Esther vêtue de sombre elle aussi. Elle se décide à rompre le silence:

-Si Matthieu est bien mort, comme ils disent, tu resteras dans cette maison  jusqu’à ce que ce que cette saleté de guerre soit finie. Après, tu partiras. Une chose: tâche jusque-là de respecter l’honneur des Valleraugue. Attends un peu avant de courir...

Esther ne répond pas.

45-

Un tiroir s’ouvre doucement. Esther en sort une clé qu’elle glisse dans sa poche.

Elle entrouvre la porte de la chambre d’Hélène. Elle avance vers la commode, ouvre un tiroir. Une boîte de bois, un couvercle qui cède pour laisser apparaître une liasse épaisse de billets de banque. Esther attrape un billet de mille francs et le glisse doucement au fond de sa poche.

Puis elle se dirige vers le cellier, pour gagner la salle des armes où Jérémie de Valleraugue tient son armurerie. Elle ouvre la porte de l’armoire qui renferme tous les fusils de chasse de Jérémie. Elle en sort un. Deux boîtes de cartouches. Elle referme l’armurerie sans un bruit. Elle range le fusil dans un sac qu’elle déplie et sort vite.

46-

Esther court dans la garrigue jusqu’à gagner la forêt d’oliviers. Elle creuse un trou bien profond, raclant le sol dur de toutes ses forces, pour faire vite, et y enterre le sac qui contient l’arme et les munitions.

47-

Esther entre dans la boutique du pharmacien. Elle achète quelques médicaments et ressort pressée.

48-

Retour chez les Valleraugue à l’heure du déjeuner. Charles de Maussanne est invité. Un repas silencieux où Maussanne regarde les mains d’Esther. Les doigts, encore un noircis par la terre se détachent sur la nappe de dentelle.

Hélène commente la disparition de Matthieu.

-Après tout, il peut- être encore en vie.... Allez savoir, dans tout ce chantier.

Hélène se surprend à espérer.

Maussanne acquiesce en faisant remarquer la toute petite mine d’Esther.

Jérémie prend place à table, venant de son bureau.

-Charles, vous m’avez emprunté un fusil ?

Esther pâlit.

-Pardonnez-moi je ne me sens pas très bien.

Elle quitte la table.

-C’est exact, Jérémie. J’ai demandé à essayer un de vos Smith et Wesson...Pure merveille.

-Je ne vous le fais pas dire...

La conversation embraye sur le Smith and Wesson sans que les deux hommes ne se doutent une seconde qu’ils ne parlent pas de la même arme.

50- Crépuscule

Esther avance à la lumière du coucher du soleil, sur le chemin de la montagne qui mène au refuge des Baugnes, là où Matthieu lui a donné rendez-vous.

Une barque pour traverser le lac. Au loin, sur l’autre rive, le refuge.

Aucun signe de vie.

Elle arrime la barque. Descend le sac, qu’elle pose lourdement sur le sol. Elle regarde autour d’elle. Personne.

Elle appelle. Matthieu...?  Matthieu...!?

L’écho de sa voix résonne un moment dans la montagne.

-La ferme! Tu  vas nous faire repérer, bon sang...! chuchote Matthieu en se précipitant sur elle.

-J’ai tout ce qu’il faut! souffle-t-elle rassurée. Elle lui tend le sac.

Il ouvre. Il en sort un fusil, deux boîtes de cartouches, un saucisson, une miche de pain frais, une bouteille de vin et un savon...

Il sourit.

Il est très pâle.

Esther observe Matthieu un moment.

-Il y a ça aussi.

Elle lui tend un petit sac qui contient ce qu’elle a acheté à la pharmacie: un flacon d’alcool, une pince à épiler...

51-

La lame effilée d’un couteau de combat dans les flammes du feu de bois près duquel Matthieu est allongé. La jambe gauche de son pantalon est retroussée. Il est en nage.

Esther avance la lame du  couteau sur le morceau de tissus collé à la peau. La blessure saigne à travers le tissus. Elle glisse la pointe chaude du couteau sur la couture du pantalon. Elle ouvre d’un coup sec. Matthieu hurle. Esther découvre la plaie.

Elle arrête son geste dans un regard pour Matthieu.

-N’aie pas peur, souffle Matthieu, continue...

Elle approche un coton imbibé d’alcool sur la plaie. Matthieu serre les dents...

Puis elle saisit la pince à épiler, passe le fil de la pince à la flamme... Elle enfonce la pince dans la chair pour tenter de tirer la balle qui y est figée. Matthieu hurle de toutes ses forces et s’évanouit.

52-

La nuit commence à tomber.

Matthieu reprend connaissance. Sa  blessure est bandée.

Esther est assise à ses côtés.

Elle se lève et commence à rassembler ses affaires.

-Il va faire nuit. Il faut que je parte.... On va finir par se demander ...

Matthieu, encore éprouvé, n’a aucun geste pour la retenir.

-Pourquoi tu es revenu ?

Matthieu ne répond pas.

Il observe Esther un moment, en silence.

-Tu n’espères pas rester ici jusqu’à la fin de la guerre, non ?

-Disons que j’avais envie de te revoir...

Elle lui sourit:

- C’est jamais terrible tes mensonges...

-Je ne te mens pas.

-Dis plutôt que tu as besoin de moi ... Au moins pour une fois je te croirai...!

Elle ramasse ses affaires et s’éloigne par le chemin qui l’a menée jusque là.

53- Nuit.

La demeure des Valleraugue est déserte, plongée dans le calme de la nuit tombée. Esther avance à pas feutrés dans le salon lorsqu’une lumière s’allume violemment . Devant elle: Hélène.

-Tu sors le soir, maintenant ?

-Oui...Non. J’avais besoin d’un peu d’air.

-Avec qui étais-tu ?

-Avec personne.

54- Jour. Près du Lavoir.

-On ne te voit plus beaucoup par ici, maintenant que tu es une femme du monde...

Esther n’apprécie guère ces taquineries:

-Il faut toujours que tu te moques de moi...Je ne suis pas une femme du monde, je ne pourrais pas !”

Marie déballe son linge sur la pierre, puis s’arrête net.

-Tu sais quoi ?

-Non.

-C’est sûr.

-Quoi ?

-Je vais avoir un bébé !

Esther se jette dans les bras de son amie.

-Un bébé ?

Les deux filles éclatent de rire.

Marie décrit les premiers symptômes: la gourmandise. Puis parfois quelques étourdissements...Un peu mal au ventre, des fois...  Mais quel bonheur !! 

Esther ne tarit pas de compliments pour Marie. Se moque d’elle à son tour, lui chatouille le ventre. Pose toutes les questions, curieuse comme une gamine :

-Et Pierre ?

-Pierre ? Il sait rien encore...! Je vais lui annoncer tout ça demain....Par lettre. Je voulais être sûre! Il va être heureux....!”

55-

La garrigue. Le soleil. Lumière écrasante.

Maussanne parcourt les champs sur son cheval, au galop.

Il croise la charrette d’un paysan: Sandro Sanchez. 

Il s’arrête, descend de cheval, histoire de bavarder. Sandro n’est pas un homme très  bavard. Réponses banales sur le temps qu’il fait. Chaleur. Attention au feu. A propos, dit Sandro, hier soir, y avait de la fumée du côté des Baugnes. On aurait dit un feu. Et puis plus rien. Un de ces bergers de malheur qui nous foutra le feu au cul, un de ces jours! Nom de nom...

Maussanne examine un moment le paysage que Sandro lui désigne. Au loin on découvre Esther qui roule en vélo sur le chemin des oliviers. Elle aperçoit Maussanne. Elle descend de vélo et se met à marcher. Puis elle s’assoit à l’ombre. Maussanne vient à sa rencontre.

Il tourne un moment autour d’elle, puis s’assoit près d’elle. Elle ne semble pas effarouchée par lui. Au contraire, elle paraît même sereine, presque bien disposée à son égard. Il se fait galant. Elle apprécie. “Maussanne n’est pas l’homme que tu crois, Esther. Il y a aussi bien autre chose. Je n’en doute pas, répond Esther.”

Maussanne lui  avoue qu’il l’a toujours trouvée belle. Esther lui demande pourquoi il ne s’est jamais marié. Maussanne sourit, cachant tant bien que mal un trouble qui se lit sur son visage comme si Esther avait réveillé sans le vouloir une douleur ancienne...Maussanne enchaîne en parlant  de Matthieu. De leur amitié, depuis l’enfance. Les même filles, les mêmes histoires. Jusqu’à cette guerre. Une blessure. Et puis ce bras. Esther écoute Maussanne avec intérêt. Il se révèle un peu plus humain, presque fragile, sensible à l’attention que lui accorde Esther....Les Valleraugue sont de braves gens, dit-il, un peu têtus parfois...Oui. répond Esther.

Puis Maussanne interroge: Fidélité? Esther répond oui.

Esther est une femme fidèle. Et si Matthieu ne revenait pas ? Peut-être pourrait-il espérer ? Si Mathieu ne revenait pas...? répond Esther.

56-

-C’est une drôle de fille, non ? Belle comme elle est... et si secrète...

-Vous n’allez pas me dire que vous commencez vous aussi à aimer les juifs, non ? plaisante Jérémie.

-Excusez-moi, répond Maussanne, mais tout de même, c’est un sacré brin de fille. On peut se parler entre hommes, Jérémie, n’est-ce pas  ?

Jérémie sourit.

-Elle m’excite ! avoue Maussanne en riant.

Jérémie hausse les épaules.

57-

-Je vieillis, que veux-tu...! répond Yvan à sa fille lorsque celle-ci, installé dans le vieux fauteuil de l’atelier, le questionne sur sa santé, comme chaque semaine lorsqu’elle vient lui rendre visite.

-Ce n’est plus comme avant...ajoute-t-il.

Esther lui parle de sa vie chez les Valleraugue. Yvan fait mine de se réjouir de cette condition. Il demande des nouvelles de Matthieu. Esther répond qu’elle n’en a aucune. Rien  de neuf.

Elle semble attristée. Son père, qui sent cette tristesse grandissante, s’approche d’elle:

-Etais-tu bien sûre de l’aimer, d’abord ce garçon? Tout cela s’est fait si vite ...

Esther regarde son père et ne répond pas.

Yvan reprend son travail.

Esther s’éloigne dans la boutique.

Une douzaine de chemises, entassée sur une étagère, prêtes à être livrées. Des pantalons, bien taillés... Esther ouvre un sac, y enfourne une paire chemises, un pantalon, sans que le vieil Yvan n’y prenne garde...

58-

Une barque, au loin, sur le lac des Baugnes, qui se perd à contre-jour dans les brumes de la montagne.

Esther  avance lentement. On distingue un  gros sac  posé à côté d’elle.

Matthieu la voit s’approcher, perdant de temps à autres sa silhouette dans les reflets de l’eau et du soleil.

“Je crois que j’ai tout ce qu’il faut! dit-elle essoufflée en posant lourdement le sac aux pieds de Matthieu..

Matthieu défait rapidement le paquet. Il en sort une miche de pain frais, et aussi un blaireau, un miroir, un rasoir, cinquante grammes de tabac, deux chemises et les pantalons pris chez Yvan.

Il regarde Esther qui reste silencieuse.

-Tout ça ? Mais comment tu as fait ?

-Je l’ai volé.

Elle sort de sa poche ce qui lui  reste de l’argent qu’elle a dérobé dans la commode d’Hélène:

-Et ça aussi.

Elle lui tend les billets.

Tu ne te rends pas compte...

Elle ne répond pas.

Il s’approche d’elle, la prend dans ses bras.

-Tu es vraiment une chic fille, Esther...

Elle lui sourit timidement.

-Je ne sais pas.

Elle  prend dans sa main le gros morceau de savon qu’elle lui a amené lors de sa précédente visite.

-Tu n’y as pas touché...Tu ne l’aimes pas?...Pour mettre une chemise propre, il faut d’abord bien se laver. C’est mon père qui m’a appris ça !

59-

Matthieu est nu.

Il se savonne vaillamment sur le bord du lac tout en évitant de frotter la blessure qui cicatrise lentement.

Il jette de temps à autres un oeil gêné en direction d’Esther qui, tout en  l’observant discrètement lui crie:

-Ne t’inquiète pas je ne regarde pas !

Il se tourne vers elle. Il est  trempé de l’eau froide du lac.

Elle n’est pas intimidée par sa nudité.

-Pourquoi tu m’as épousée si tu ne m’aimais pas ?

Il s’apprête à lui répondre mais elle l’interrompt alors qu’il passe une chemise d’Yvan.

-Elle te va bien. C’est juste ta taille.

-C’est un beau tissus...dit-il en s’approchant d’elle.

-C’est mon père qui l’a faite. Du bon travail. C’est un bon artisan, mon père. Et puis, s’il peut aider quelqu’un...

Il avance plus près d’elle. Il voudrait l’embrasser.

Elle poursuit:

-En Ukraine, c’était pareil. Les juifs s’entraident entre eux... Mon père, lui, il est un peu anarchiste...Alors, les déserteurs, il connaît....!

Elle se dégage de lui.

60-

Tambour major sur la place du village. On annonce les morts au champ d’honneur. La liste est plus longue chaque quinzaine. Partout dans les villages les hommes disparaissent, tués au front.

Marie Maugio, attentive aux citations, écoute les noms...jusqu’au moment où le sergent, annonce de sa voix rauque et monotone pour la lettre “M”:

-Marcel Marcon, de Saint-Etais, Pierre Maugio, de Baugnes, morts au combat.

Marie Maugio  s’effondre, en larmes.

Charles de Maussanne observe ses pleurs de loin.

61- Soir. Bastide des Valleraugue.

Trois personnes autour de la table: Jérémie Valleraugue, Hélène et Esther. Les domestiques passent les plats.

Jérémie commente avec tristesse la mort de Pierre Maugio.

Esther, très  pâle, garde le silence.

Hélène lui demande si elle est insensible à la mort de Pierre.

Mais Jérémie constate sa pâleur.

Esther répond par une question:

-Si Pierre est mort, pourquoi pas Matthieu ? A quoi bon continuer cette mascarade ?

62-

Tabliers gris et jupons noirs comme les vieilles femmes du village: Marie, une nature, gaie, est presque méconnaissable. Maussanne l’observe de loin: elle est seule, au beau milieu de son champ, sous le soleil,  s’acharnant à retourner la terre sèche. Son ventre a grossi.

Maussanne commente la mort de Pierre. Marie répond qu’elle aussi est bien triste et demande qu’on lui foute la paix une bonne fois pour toutes. Maussanne suppose qu’une maison comme celle-ci pour une femme seule, cela sera bien difficile. Marie rétorque que c’est son problème et qu’elle continuera jusqu’à en crever s’il le faut. Maussanne constate qu’elle a un joli ventre rond. Marie lui répond que c’est un beau ventre, un ventre d’amour, avec son homme, un ventre qui lui fera sûrement un fils, qui, un de ces jours, lui fichera sa main dans la gueule.

63-

Un chemin, dans la garrigue. Sandro Sanchez avance lentement avec sa charrette. Au loin, la silhouette d’Esther, qui rappelle celle de Marta, avance en direction la montagne. Esther aperçoit Sandro qui lui fait un signe de la main.

64-

Le lac des Baugnes, perdu dans la brume. Au loin, la faible lueur jaune d’un feu indique une présence: Matthieu.

Il observe Esther un moment. S’approche d’elle, approche  ses lèvres des siennes, laisse aller sa main sur sa poitrine....

-Laisse-moi te faire l’amour...j’ai envie de toi.

Elle sent qu’il la désire fortement. Elle aime le contact de son corps. Elle le laisse venir à elle jusqu’à découvrir la pointe de son sein.

-Envie de moi ? Ou d’une pute ?

Elle le regarde dans les yeux: 

-Qu’est-ce que tu crois ? Qu’est-ce que tu connais aux femmes, toi ? Rien. Rien que ta sale guerre et les bordels.Tu n’as jamais vraiment fait l’amour avec de l’amour. L’amour c’est autre chose...

-Ecoute moi...

Elle l’interrompt aussitôt:

-Surtout ne me dis pas je t’aime, je ne te croirai pas...

Il la prend dans ses bras.

Elle laisse glisser sa robe le long de son corps.

Elle vient vers lui à sa manière, comme elle l’avait décidé.

-Laisse-moi te caresser comme je veux... lui dit-elle.

Ils font l’amour sans pudeur, près de la rive, autour du feu que Matthieu a allumé.

Esther trouve sa liberté au contact du corps de Matthieu qui découvre sa beauté. Ils commencent à s’aimer, pour de bon comme si leur histoire commençait ce soir.

Douceur, tendresse, pour un amour violent,  tout en sensualité .

65-

Au loin, dans la montagne qui domine, Sandro Sanchez passe le chemin des douaniers. Il s’arrête un instant. Près du lac des Baugnes, il distingue nettement la lueur orangée d’un feu de bois.

66-Aube

Esther dort dans les bras de Matthieu. Un rayon de soleil qui perce derrière la montagne vient la réveiller.

Il est tard. Que va-t-elle leur dire ? Il faut partir vite, avant qu’on ne remarque son absence...

67- Jour

Bastide des Valleraugue.

Jour de paye pour les domestiques. Hélène fait ses comptes en présence d’un gendarme.

Le personnel est réuni dans l’office: Magali, la nouvelle bonne, Roger et Paulette, le couple de cuisine,  Nono,  le jardinier.

Hélène distribue une enveloppe a chacun. Nono ouvre la sienne: vide.

Il y a donc un voleur dans la maison... Qui  est-ce ? Qui a pris  les mille francs qui ont disparus de ma caisse ? demande Hélène.

Personne ne bronche. Ambiance mélodramatique parmi le personnel.

Vingt-quatre heures pour que le coupable se dénonce.

Arrive Esther. Elle monte l’escalier et gagne sa chambre sans saluer personne.

Hélène la rejoint aussitôt.

-Où étais-tu ? Peut-on savoir avec qui tu as passé la nuit ? Où as-tu encore couché ?

-Ca ne vous regarde pas. Je ne vous le dirai pas.

-C’est toi, qui a volé cet argent, n’est-ce pas ? Avoue! Pour aller te faire sauter ! C’est bien ça !?

-Taisez-vous. Ce n’est pas vrai. Laissez-moi!

-Foutez-moi la paix !

68-

-Garçon ?! Une absinthe et une menthe à l’eau, s’il vous plaît !

-Charles, savez-vous que vous avez beaucoup de charme ?”

Charles sourit.

-Sans doute.

-Je vous trouve presque tendre parfois...

-Ah oui ?

-Et même...touchant.

-Vous arrive-t-il certains jours de penser  à ma solitude ?

Le garçon revient avec les consommations. Maussanne sort un billet de mille d’une liasse de son portefeuille. Esther, d’un geste rapide  attrape un billet au vol.

-Permettez ?

Charles est surpris.

-Une envie folle... (elle parle plus doucement en s’approchant de lui) Des bas de soie... Je n’y tiens plus...C’est si fin sur la jambe...Si doux! Vous m’en direz des nouvelles...!

Charles lui sourit.

-Esther...

-C’est vrai, je l’avoue, je m’ennuie un peu parfois...C’est normal à mon âge, vous ne croyez pas ?

Elle se reprend aussitôt, faisant mine d’avoir lâché une confidence:

-Vous ne direz rien  de ce que je vous a dit, n’est-ce pas...?

Elle se fait un peu plus proche de lui.

Charles est flatté.

-Et comment va le front Russe? poursuit-elle faussement intéressée par les explications qu’il commence à donner...

Quelques notables passent avec leurs épouses devant la terrasse de l’estaminet où Esther et Maussanne sont installés. On salue Charles de Maussanne et on chuchote à propos d’Esther en passant près d’eux.

69-

Esther glisse le billet de mille francs emprunté à Maussanne dans la cassette d’Hélène. Elle profite de son absence pour subtiliser une de ses bagues anciennes en argent ciselé  et  glisser le bijou dans le sac de Magali qui s’apprête à demander son dimanche.

Elle pose le sac ouvert bien en évidence sur la table de la cuisine.

70-

Marie Maugio s’épuise au travail.

Mais elle fait bonne mine devant son amie Esther.

Elle n’hésite pas à mentir. Elle ne s’est jamais portée aussi bien. Un homme de perdu dix de retrouvé, c’est bien comme ça qu’ils disent, non ?

Elle pense à l’enfant qu’elle va avoir et s’inquiète. Son ventre tire un peu.

Promenade sous les oliviers. Esther parle de sa vie chez les Valleraugue.

Mais Esther est soudain prise d’une violente crise de vomissements. Elle s’arrête près du lavoir. Et vomit tant et plus. Marie tente de l’aider. Elle se sent très mal. Mal au ventre.

-Qu’est-ce qu’il t’arrive, demande Marie ?

-Je ne sais pas.

-Tu vas pas me dire que toi aussi, tu serais enceinte, non ?

71-

Dix. Vingt. Trente. Hélène refait ses comptes sous l’oeil sévère de son mari.

Les mille francs disparus ont curieusement réapparus dans la comptabilité de la maison Valleraugue sans que personne ne se soit dénoncé.

72-

Dimanche. Magali s’apprête à partir.

Esther bouscule volontairement Magali sur le pas de la porte. Le sac de Magali s’étale sur le sol sous les yeux d’Hélène. La bague en argent d’Hélène roule jusque sous ses pieds.

Magali est confuse.

Elle est congédiée sans autre forme de procès.

73-

Nue dans sa chambre, Esther examine son corps. Un peu changé. Légèrement différent. Elle pose la main sur son ventre.

74-

-Tu sais quoi ?

-Non. répond Marie.

-Devine.

-Je ne sais pas.

-Cherche!

-Je sais pas.

-Ce que tu peux être bête, répond Esther.

-Mais quoi donc, à la fin ?

-Moi aussi... j’attends un bébé!

Marie est stupéfaite. Elle ne sait que répondre. Elle prend Esther dans ses bras.

-Tu en es sûre ?

-Oui.

-Mais qu’est-ce que tu as fait ? Qui est-ce  ?

-Devine !

-Dis-moi.

-Maussanne.

Le visage de Marie se métamorphose:

-Fous le camp d’ici, tu entends !? Je ne veux plus jamais te revoir! Jamais ! Va-t-en ! Va-t-en! Ne reviens jamais !!

Marie part en courant vers chez elle...

Elle est bouleversée.

75-

Le vieil Yvan est alité depuis plusieurs jours. Un médecin l’ausculte. Le vieil homme a l’air bien fatigué.

Il a fait une attaque dit-on. Trop de travail, et puis...des contrariétés. Les grossistes de Sisteron l’ont accusé d’avoir voulu les escroquer parce qu’il manquait deux chemises dans une livraison. Et puis Esther...

Elle s’assoit au chevet de son père. Le vieil homme la regarde longuement, sans rien dire.

Esther échappe son regard.

Yvan demande:

-Tu mens, maintenant ? Qui t’a appris à mentir ?

-Je t’ai pas menti...je vais avoir un bébé, papa, c’est tout...

-Tu devrais avoir honte.

76-

Sandro Sanchez est en pleine conversation avec Charles de Maussanne. Sandro dit qu’il est sûr qu’il y a du monde dans la montagne. Sûrement un étranger. Pas un berger. Les bergers n’allument pas de feu la nuit. Ils dorment.

Maussanne écoute attentivement les explications de Sandro qui ajoute sur un ton mi-badin mi-complice: “il paraît que la petite Esther est grosse de vous...?”

77-

Matthieu est seul dans la montagne. Il marche le long du chemin qui domine le lac lorsqu’il voit apparaître au loin la silhouette d’un homme. Il se cache aussitôt. Il reconnaît Sandro qui approche lentement du refuge. Sandro entre dans la maisonnette.

Il y découvre quelques affaires de Matthieu: des provisions venant du village, un pantalon tout neuf, une boîte de cartouches...

Il quitte le refuge. Matthieu l’observe depuis sa cachette.

Il s’éloigne plus haut dans la montagne, sur le chemin des bergers.

Mais en contrebas sur le lac apparaît Esther qui avance lentement à bord de sa barque.

A peine a-t-elle accosté qu’une main ferme se colle sur sa bouche pour étouffer son cri. Elle est violemment  traînée jusqu’à l’abri d’un rocher.

Elle reconnaît Matthieu.

-Tais-toi. Ne dis rien. Il y  a quelqu’un...

-Tu me fais mal...

-Tais-toi! je te dis.

Matthieu scrute l’horizon, écoute le moindre bruit. A l’affût. Comme un animal traqué. Sandro a disparu. La montagne est calme. Elle ne résonne d’aucun bruit humain.

-S’il est venu jusque là, dit-il, c’est qu’il se doute de quelque chose. Il ne faut plus venir, Esther,il ne faut plus...Dailleurs, je vais partir...

Ils se dirigent vers le refuge.

-Tu ne partiras pas sans moi, n’est-ce pas ?

Matthieu parle de la guerre. Du sort qu’on réserve au mutins, la peine de mort...La fuite.

Esther répond qu’elle n’a pas peur. Elle décrit à Matthieu ses souvenirs d’enfance, avec son père,  comment les anarchistes, en Russie, sont solidaires entre eux...même les femmes.

-Tu sais quoi ?

-Non.

-Devine.

Elle  prend sa main dans la sienne et la pose sur son ventre.

-J’ai un secret .

-Ah ...?

-Devine.

-Je ne sais pas.

-Tu veux savoir ?

-Oui...

Elle sourit:

-J’attends un enfant de toi, Matthieu...

78- Bastide des Valleraugue.

Une boîte de cartouche jetée sur la grande table de l’armurerie, suivie aussitôt après d’une paire de  pantalons.

-Qu’est-ce que c’est que cette histoire, demande Jérémie à Maussanne,  vous me parliez de mon Smith et Wesson, non ?

Il désigne un grand vide dans l’armoire à fusils, là où chaque fusil a sa place.

-Où est-il ?

-Là! répond Maussanne, en désignant  une arme qu’il tient dans la main et qu’il pose aux côtés des autres dans l’armoire à fusil. Reste une place vide.

Maussanne et Jérémie se retournent alors vers Esther, dont on découvre la présence dans la pièce.

-Ou est-il ? demande Maussanne

-Quoi donc ...? demande Esther innocente

Hélène intervient:

-Menteuse et voleuse..! Tu n’as même pas honte. Tu n’es vraiment rien qu’une catin....! Et tu serais grosse, à ce qu’il paraît...? Où donc as-tu été coucher, hein ? Avec qui ?

Maussanne s’interpose.

-Permettez, si j’ai un tête à tête avec votre belle-fille, Hélène?

Maussanne, qui cherche à calmer Hélène -“à quoi bon se mettre dans des états pareils pour des broutilles”-, entraîne Esther dans la grange.

79-

Esther atterrit manu militari au milieu d’une meule de foin, au fond de la grange.

-Est-ce que tu sais ce que c’est de coucher avec moi ? Toi qui parles tant ?  Tu connais ça ?

Il défait sa ceinture.

Il poursuit:

-Alors, comme ça, je t’aurais fait un beau bébé, rien qu’a toi..? Une histoire d’amour à nous deux ? C’est bien ça ?

Esther est terrorisée. Elle ne répond pas.

-Il n’y a plus qu’a essayer, pour de bon. Histoire de ne pas te faire mentir...!

Il s’approche d’elle, commence à dégrafer son corsage. Elle se débat.

-Arrête. Arrête !! Hurle -t-elle.

-Je te dirai tout.

-J’avais besoin d’argent...je l’ai fait avec des hommes qui passaient. pour cent francs. J’aime pas les Valleraugue. Ils me détestent. Ils ne m’ont jamais aimée. J’avais envie de partir. Loin.

-Tu n’es qu’une pute.

Il contemple sa poitrine nue, qu’il a découverte de force.

-Je voulais pas faire de mal, je le jure...

-Fous le camp.

Il la jette dehors.

Il reste seul un moment. Ecœuré.

Il y avait cru.

Il avait  espéré qu’elle aurait pu vraiment l’aimer pour de bon...

80-

-Papa ?

Yvan est allongé sur son lit. Il très fatigué. Il est  tard.

-C’est pas vrai ce qu’ils disent. Je voulais que tu saches. Je t’ai jamais menti, tu sais ? Jamais.

Yvan regarde sa fille sans répondre.

Il ne la croit pas.

-Promets-moi de ne rien dire.

Il garde le silence.

-Je suis une femme, maintenant, tu sais.... Les femmes, tu sais ce que c’est...

-Que veux-tu, Esther ?

-Je voulais te parler.

-Je t’écoute...

-Jure-moi que tu ne diras rien.

-Je te le jure Esther. (Elle est très anxieuse, alors qu’Yvan est à bout de forces)

-C’est Matthieu...Je l’aime, papa.

-Valleraugue...

-Il est revenu. Il a fichu le camp du régiment. Il a bousillé son lieutenant. Il vont le tuer...

Elle lui raconte toute son histoire, dans ses moindres détails, sans se rendre compte qu’Yvan est déjà loin dans ses songes..

81-

-Papa ?

Esther s’est endormie au chevet de son père, après lui avoir parlé une bonne partie de la nuit.

-Papa ?

Yvan ne répond pas.

-Papa ??

Elle le secoue. Le secoue encore. Il ne répond plus.

Il s’est éteint dans la nuit.

82-

Un lied de Schubert, brillamment interprété par Charles de Maussanne dans le salon des Valleraugue qui affiche complet de la bonne société locale.

“Nacht und Traüme” (“Nuit et rêves”)

Sainte nuit, tu descends sur terre;

Et avec toi descendent les rêves,

Comme ton clair de lune dans les chambres,

Ils défilent dans la calme poitrine des hommes.

C’est avec joie qu’ils les contemplent

Et s’écrient à la pointe du jour:

Reviens, ô sainte nuit!

Doux rêves revenez!

 

Applaudissements.

Hélène est fière et ravie de son accompagnement. Décidément, Charles a une voix magnifique...

83-

La montagne. Déserte. Calme. Au loin, près du lac des Baugnes, un feu de bois laisse s’échapper un peu de fumée vers le ciel.

Sandro Sanchez, accompagné d’Emilio, son jeune fils, observe ce petit feu. Ils avancent en direction du refuge, sans faire de bruit.

Matthieu qui les a vu approcher, surveille leur progression depuis un rocher en aplomb de leur chemin.

Ils entrent dans le refuge. Sandro soulève la paillasse, retourne le tas de bois, découvre quelques restes d’un uniforme militaire déchiré, encore taché de sang, des médicaments.....

Il sort du refuge.

Aussitôt, la pointe d’un couteau s’enfonce sous sa nuque.

-Qu’est-ce que tu cherches ?

Il cherche à se retourner tandis qu’Emilio tente de s’interposer.

-Si tu bouges, je le perce, t’entends ?

Sandro reconnaît la voix de Matthieu de Valleraugue.

-Valleraugue. Salopard. Assassin. C’est toi, Marta...Pourriture! Et  tu n’as même pas eu le courage de te battre...!

Comme fou de rage, Sandro se jette sur Matthieu, malgré la menace de son arme. Un combat à mort  s’engage entre les deux

hommes sous les yeux terrorisés d’Emilio qui, à peine a-t-il fait un geste, se retrouve au tapis  d’un direct au menton.

-Fous le camp hurle Sandro, va prévenir les autres! C’est un déserteur! Un fuyard! C’est Matthieu Valleraugue!

Tandis que Matthieu tente de rattraper Emilio, Sandro se jette à nouveau sur lui...

84-

Emilio, crotté jusqu’au menton, fait irruption chez les Valleraugue. Une entrée remarquée dans le salon, les godillots boueux marquent les tapis fraîchement dépoussiérés...Emilio demande à parler à Maussanne. Les femmes se gaussent en voyant ce jeune péqueux bousculer les danseurs et les danseuses qui s’apprêtent à engager une valse de Strauss.

85-

Dans le boudoir. Maussanne écoute les explications essoufflées d’Emilio.

-Je l’ai reconnu, clame Emilio, c’est Matthieu de Valleraugue...

-Tu en es sûr ?

86-

Maussanne retourne à la soirée. Il rejoint Jérémie. On aurait vu des fuyards dans la montagne... On dit que Matthieu serait parmi eux...

Jérémie est  bouleversé.

Revoir Matthieu vivant serait à la fois une joie immense... mais aussi  la honte suprême pour la famille de Valleraugue...

Jérémie, en homme d’honneur, demande à Maussanne d’aller jusqu’au bout de sa mission...

87-

Maussanne prend la direction des opérations. Une battue s’organise. Véritable chasse à l’homme dont Maussanne est le chef, à la tête d’un dizaine de militaires de réserve. Quelques civils se joignent à eux.

Marie Maugio, sur le pas de sa porte, assiste de loin à la mise en oeuvre de l’opération. Esther se précipite chez elle.

Les deux amies ne se sont plus parlé depuis des jours.

Marie reste très distante.

Esther l’interroge. Marie répond froidement que Maussanne et ses hommes partent à la chasse aux fuyards dans la montagne.

Esther s’affole aussitôt. Elle explique à Marie la présence de Matthieu.

Marie apprend qu’Esther n’a pas cessé de lui mentir pour protéger Matthieu . Elle est enceinte de lui...

Il faut partir tout de suite. L’aider. Le prévenir...

 Marie tente de l’en dissuader. 

En vain. Esther s’éloigne déjà  en  direction de la montagne.

88-

Le lac des Baugnes. Calme.

Esther s’éloigne à bord de  la barque qui amène au refuge.

Elle appelle dans le silence: Matthieu ! Matthieu !!

Elle atteint la rive, saute sur la berge et se dirige vers la maisonnette.

Elle entre.

Un visage. Immobile. Ensanglanté.

Elle hurle.

On découvre le visage de Sandro, mort.

Elle sort du refuge. Elle  appelle encore:

-Matthieu ! Matthieu.!

Aucune réponse...

Au loin, des voix:  les hommes de Maussanne approchent du lac des Baugnes.

Esther ramasse le fusil que Sandro a abandonné près de la berge...

89-

Un éboulis qui dégringole depuis la corniche...

“C’est par ici !” crie un homme. Maussanne suit.

Les hommes se précipitent à travers les ronces.

90-

Esther court sur le chemin de la corniche.

91-

Les hommes de Maussanne suivent.

Matthieu, embusqué, a aperçu Esther.

92-

Maussanne ouvre le chemin qui longe la corniche pour aboutir au lac des Baugnes tandis que ses hommes se dispersent dans la montagne autour du lac.

Maussanne avance vers le sommet avec Emilio, le jeune fils de Sandro.

Esther l’attend. Son fusil à la main, braqué sur lui.

-Qu’est-ce que tu cherches-tu ici, Maussanne, une femme ?

Maussanne fait stopper Emilio qui fait un signe aux hommes, plus bas.

-Fiche le camp d’ici, Esther, ne m’oblige pas à te tirer dessus...

-Il n’y a personne ici, Maussanne. Personne, tu entends ?

-Laisse-moi passer, Esther, c’est inutile.

Elle arme le chien de son fusil. Emilio en fait autant. Ils est prêt à tirer.

-Laisse-moi passer, Esther, je te le demande pour la dernière fois.

Il avance vers elle.

-Tu t’imagines que j’ai peur de toi ?

Elle tire.

Maussanne est violemment touché à l’épaule. Il est prêt à tirer à son tour lorsque Matthieu apparaît:

-C’est moi, que tu veux, Maussanne, n’est-ce pas ?

-Tu n’es qu’un lâche, Matthieu.

Maussanne, dont la poitrine est déjà couverte de sang, avance vers Matthieu.

-Tu sais encore te battre, Matthieu...?

-Je t’attendais.

Maussanne se jette sur lui.

-Ordure!

93-

En contre bas, les hommes de Maussanne progressent vers le refuge. Emilio leur fait signe.

94-

Maussanne et Matthieu continuent de se battre, de toutes leurs forces.

Maussanne:

-Tue-moi, Matthieu, tu me rendras service. Je m’écoeure...

...Mais  sois un homme! Sois le plus fort! Bats-toi en soldat !”

Maussanne se jette sur lui et d’un coup de couteau, il lui érafle le visage...

95-

Matthieu et Maussanne roulent en contrebas. Matthieu, plus fort, domine Maussanne et est prêt à l’emporter lorsqu’Emilio se jette sur Esther.

Il crie:

-Encore un geste  et je la tue, Matthieu, tu entends ?

Esther se débat.

Maussanne continue de lutter. Mais Matthieu, comme pris de panique, obligé par Maussanne à poursuivre le combat jusqu’au bout,  enfonce son couteau dans la gorge de Maussanne...

Effrayé, Matthieu se précipite en direction d’Emilio.

Esther qui se débat, parvient  à lui échapper. Elle court droit devant elle, en direction du lac. Elle monte sur la barque en hurlant aux autres hommes qui montent rejoindre Maussanne:

-Il n’y a personne ! Rien ! Personne ! Rien qu’ UNE femme!! UNE FEMME...!!

Emilio ajuste son tir.

Matthieu se jette sur lui.

Trop tard.

Esther est touchée en pleine poitrine.

La barque s’éloigne lentement sur l’eau du lac des Baugnes.

Dans un silence momentané.

Puis Matthieu hurle:

-Esther !!

Il se précipite vers elle. Il découvre son corps, inerte. Dans un souffle, elle dira: “je t’aime.”

96-

Maussanne agonise. Matthieu, épuisé, revient vers la berge.

Il approche de Maussanne.

-Pourquoi ?

-Fous-le camp ! répond Maussanne, tu as encore le temps...

97-

Un groupe de soldat gagne maintenant les abords du lac des Baugnes.

Matthieu peut encore fuir. La route de la montagne est libre, passé le lac des Baugnes. Quelques pas dans l’eau glacée, une brasse ou deux...

Mais Matthieu a décidé de ne plus quitter Esther.

Les hommes crient:

-Valleraugue ! On aura ta sale peau, espèce de salaud, assassin, traître !!

-Allez vous faire foutre !! hurle Matthieu, venez donc me chercher!

Il rejoint la barque. Un coup de rame le pousse vers le milieu du lac. Le visage d’Esther, immobile, lui fait face.

Lentement, la barque, portée par le faible courant, s’éloigne à contre-jour, en direction des soldats qui arrivent...

98-

La cour d’une caserne.

Les soldats sont de revue.

Matthieu, encadré de deux soldats, pénètre dans la cour. Il est sale. Une chemise couverte de sang. Les soldats, vêtus de neuf, le regardent passer.

Un caporal leur dit: “C’est un déserteur.”

99-

Aube.

Un jeune homme, les yeux bandés, les mains liées, attend.

Devant lui, un peloton d’exécution s’organise.

Un soldat s’approche de lui et lui tend un cigarette. Le jeune homme accepte la cigarette. Une allumette craque devant ses yeux. Douce chaleur d’un petit feu de bois. On reconnaît le visage de Matthieu de Valleraugue sous le bandeau noir qui lui masque le regard.

Un lieutenant lit l’arrêté de condamnation.

Sur un geste du gradé, les soldats lèvent les canons des fusils vers lui.

Matthieu se dit à lui même:

“Au fond, je n’ai rien fait de mal....”

Les coups de feu claquent.

Matthieu se souvient d’un lied de Schubert:

“Nacht und Traüme” (“Nuit et rêves”)

Sainte nuit, tu descends sur terre;

Et avec toi descendent les rêves,

Comme ton clair de lune dans les chambres,

Ils défilent dans la calme poitrine des hommes.

C’est avec joie qu’ils les contemplent

Et s’écrient à la pointe du jour:

Reviens, ô sainte nuit!

Doux rêves revenez!

Puis tout devient noir.

Femme étrangère est un projet de film de long métrage.

S'agissant d'un scénario, sa présentation n'est pas littéraire, pour l'instant.

Cependant, vous pourrez apprécier dsans ce texte la qualité des personnages, l'aventure et l'amour qui les lie.

En deux mots, Femme étrangère, c'est l'aventure d'un grand amour pendant la première guerre mondiale, où Esther, une jeune femme d'origine modeste donnera jusqu'à sa vie pour l'homme qu'elle aime, Matthieu de Valleraugue, un jeune aristocrate français perdu comme Gatsby le magnifique...

Bonne lecture!

Franck Rocca

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