femmes au miroir

lanimelle

femmes au miroir

-          C'est un miroir ?

-          oui regarde dedans

La femme blonde s'avança face au reflet

-          je ne me reconnais pas dit-elle

-          tu ne te reconnais pas parce que c'est comme ca qu'il te voit

-          pourquoi ?

-          on ne sait pas toujours pourquoi, on ne nous voit pas vraiment comme on nous voit. On ne sait pas grand-chose souvent. On le sens mais quand on touche la vérité des choses on ne peut pas vraiment dire que c'est réel

-          la réalité est moche

-          la réalité est propre à chacun, tes os, tes muscles, ton talon et la plante de tes pieds sont vrais mais le reste ? les pensées, celle qui vit derrière la muraille de ton corps, celle là, on peut l'habiller, lui mettre des jupons parfois ou des masques de monstre. Tu ne peux pas intervenir la dessus, personne ne le peut.

-          Je ne veux pas vivre avec ce reflet, il faut le casser, il faut mettre des coups de poings dedans !

-          Il y a d'autres issus, d'autres issus que de casser ce qui peut revenir

La blonde ne bouge plus, figée dans le vide, absorbée par l'horreur de son image. Elle n'a pas d'issus, ne voit rien d'autre que les mâchoires du présent qui perforent ses chaires

L'horreur est là, en face, impossible de reculer.

-          Décale tes yeux, fait un petit effort, cesse de te regarder dans les yeux. Agit. Quelques centimètres à gauche, fait basculer tes billes d'ébène.  Déplace tes iris et regarde derrière ton visage

La femme blonde resta comme ca quelques instants, le temps n'existait plus, à la voir on aurait dit que c'était elle toute entière qui n'existait plus

La voix derrière continua

-          Quelques centimètres, l'effort est considérable je le sais, l'effort est nécessaire, il ne peut pas en être autrement, ton cœur bat, je vois ta poitrine bouger, il est dessous, vivant. Quelques centimètres ce n'est rien, pense à ce que tu as déjà traversé

« traversé », ce fut le mot déclic, la femme blonde comme envoutée contourna son reflet. J'avais maintenant ses yeux dans les miens. Je les prenais et les serrais fort, comme un noyé que l'on retient par le cou

-          Si tu ne t'entoures plus de gens qui te voient comme ca, l'horreur ne reviendra pas, l'horreur n'est pas ce que l'on te montre, l'horreur c'est que tu acceptes qu'on te méprise et t'humilie, l'horreur c'est de ne pas réagir face à ça. Les portes sont faites pour être ouvertes mais elles ont aussi des clés pour qu'on les referment à double tours

La blonde se mit à regarder vers le sol, j'ai perdu à cet instant la connexion , surement que le poids de mes mots l'ont assommé suffisamment, surement que l'errance dans laquelle je la voyais marcher se collerait à elle longtemps mais quelque part je l'avais sauvée d'elle-même, quelque part sur terre les papillons se font tuer à l'insecticide, les rêves doivent être haut pour que personne ne les détruisent, les rêves et la réalité sont des siamois reliés par les cotes, l'un ne vas pas sans l'autre, ils se nourrissent ensemble de la même viande avariée et du sel des larmes lourdes qui ruissellent à l'intérieur

Je ne l'ai jamais revu, elle n'est jamais revenue. J'ai entendu dire qu'elle ne regardait plus personne dans les yeux de peur de se revoir, de peur sans doute de la récidive douloureuse d'être morte dans les yeux de l'aimé.

 

L'animelle

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