Festen

Etienne Bou

Nous sommes tous un ensemble qui se gargarise en communauté pour satisfaire son appétence stomacale. Au sein de cette nuée d'âmes affamées, j'aime à contempler les divergences d'interaction entre les individus... L'homme bruyant, la femme discrète, le couple s'agaçant, le maladroit s'excusant, l'imbus se pavanant...

Les restaurants sont à taille humaine, à grandeur épicurienne, où la masse s'amasse dans un seul et même but, satisfaire ses amères papilles. On vient là pour causer, pour se taire, pour rire ou pleurer, pour dépenser mais aussi apprécier. La table n'est peut-être pas toujours ronde mais nous y régnons en roi, elle devient notre aire de jeux pour gamins de grandes tailles. On aime à s'amuser avec la petite boule de mie, le cure-dent que l'on casse et recasse, le verre que l'on fait tourner du bout des doigts, le petit bout de nappe en papier qui s'arrache, la technique à chacun pour caler la brinquebalante table ou agaçante chaise. On guette son voisin, on scrute les murs, on tente d'écouter les serveurs, on jette un œil sur la cuisine au rythme des paupières battantes de la porte, on renifle, on analyse, on fait « mmh » quand passe un plat, escomptant l'espace d'un instant qu'ils viennent tous à notre portée.

Puis, religieusement, on prend notre petite serviette, on attaque la première bouchée, on fait semblant de s'y connaitre en tanin, on compare aisément avec ce que notre courtois égo a déjà dégusté dans une autre taverne. On lève le doigt pour apostropher, on tient son bras quand on en arrive aux guillemets et que ce serveur n'a vraisemblablement pas envie de venir nous voir. On glousse, on chuchote, on gueule, on rêve, on s'isole. Les uns célèbrent leurs premières rencontres alors que d'autres signent leurs dernières. La tradition de l'anniversaire s'y tient toujours, malgré la gêne occasionnée, la monotonie du timbre de la serveuse, la cire qui aura eu le temps de couler depuis la cuisine…

On y croise toutes les générations, du bébé hurlant au pépé grelotant. La populace dans son entièreté, avec son lot de bons et de cons.

Mais, après des années, je peux tout de même affirmer qu'une chose manque cruellement au restaurant : les sourires. On a simplement l'impression que la plupart des gens sont là pour satisfaire leur instinct de survie mais qu'ils n'y prennent aucun plaisir. Et puis c'est sans parler de la plupart des serveurs, chef et autres… Dans quelle folle société vit-on ? Par-delà les océans, on pleurerait pour ne serait-ce qu'une eau fraiche. On chanterait pour n'importe quel repas. On danserait autour d'un feu de joie.

Mais ici, rien n'est pareil, on a perdu l'âme du repas désiré.

Non, on ne mange pas monsieur, on triche !

 

Et puis viendra Frida..

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