Festival de Cannes
Philippe Fournier
Deux filles sur scène (1 et 2)
1 : Nous venons d'assister, dans le cadre du Festival de Cannes, à la projection du nouveau film de Marion Gropopotin, « La vie télescopique des touaregs en HLM ». Nous allons maintenant accueillir Marion Gropopotin qui va répondre aux questions que nous nous posons tous.
La fille N°2 entre.
1: Bonsoir, Marion.
2 : Bonsoir.
1 : Marion, votre film est entièrement filmé au ralenti. Est-ce un geste politique ? Et si oui, que voulez-vous dénoncer ?
2 : Les compagnies pétrolières !
1 : C'est réussi, ça flingue bien ! Votre film débute comme un film d'horreur. La grand-mère qui est assassinée avec une sauce persillade par ses petits-enfants, dont l'aîné est unijambiste et sourd-muet. Ensuite, c'est une longue course poursuite en ascenseurs. Un mélange horreur/thriller, donc. Sans dialogue, ce qui est très osé.
2 : Oui. Le dialoguiste est mort de la grippe péruvienne. C'est très rare, ça ne s'attrape que dans le parc national de Huascaran en buvant du Pisco. Lui, mon dialoguiste, il la chopée en lisant un roman de Mario Vargas Llosa.
1 : La deuxième partie du film est très intimiste. Entièrement filmée dans une buanderie, avec une machine à laver en marche. Les deux personnages principaux, la prostituée moldave et le transsexuel scientologue, parlent chacun leur tour des bains de mer et de l'inconscient dans le courrier de Freud. C'est remarquable.
2 : J'ai fait des coupures ; il y avait 12 lettres de Freud en plus.
1 : Là, les comédiens sont filmés en gros plans.
2 : Oui, la buanderie était trop petite pour les plans larges. On a essayé de mettre un hamac avec le caméraman dedans, mais il avait le vertige.
1 : Ah, c'est un film choc ! Le jury du Festival de Cannes va l'apprécier, c'est sûr. Le public sera peut-être un peu dérouté.
2 : Le public n'est pas membre du jury !
1 : Evidemment... La prostituée moldave ne s'exprime qu'en moldave. C'est un peu gênant parfois. Surtout qu'il n'y a aucun sous-titre.
2 : Ce n'est pas du moldave, c'est moitié javanais moitié serbe. On n'a pas pu avoir une prostituée moldave. Celle que nous voulions ne travaillait que chez elle.
1 : Je comprends. C'est toujours très délicat. Autrement, elle est très bien celle-là. Un peu âgée peut-être.
2 : 72 ans. Mais ça ne se voit pas trop. Elle porte un pull à col roulé pour cacher le double menton.
1 : Quand elle est nue, ça se voit.
2 : Oui, mais je n'ai fait que des gros plans de ses fesses.
1 : Ah, ce sont les fesses ?! On ne les voit pas en entier, elles tombent beaucoup.
2 : L'acteur qui interprète le transsexuel scientologue est formidable.
1 : Oui, il fait très bien le bègue.
2 : Il est vraiment bègue.
1 : Je ne l'avais jamais vu avant. A-t-il tourné dans d'autres films avant le votre ?
2 : Oui, il a joué dans Munich de Spielberg. Il faisait un type avec un sac à dos qui monte dans le boïng à l'aéroport d'Amsterdam. Mais il n'était pas du tout bègue dans Munich.
1 : Il s'en sort parfaitement. Ce n'était pas facile. Décrire un maillot de bain pendant 35 minutes, c'est du génie pur.
2 : Il a beaucoup travaillé. Je l'ai obligé à vivre en maillot de bain pendant six mois avant le tournage. Et sa femme aussi était en maillot de bain. Un bikini rose.
1 : La fin du film est très surprenante. Ils sortent le linge de la machine et l'étendent sur un fil. Sans un mot.
2 : Le fil, c'est du barbelé. Ça symbolise la Guerre du Vietnam.
1 : Ah c'était la Guerre du Vietnam ? Moi, j'ai pensé au tsunami.
2 : J'ai déjà réalisé un court-métrage sur le tsunami. Il a été primé au Festival des Films Muets avec de l'eau dedans.
1 : Et puis il y a simplement le mot FIN. A l'envers quand même. Une idée post-symboliste.
2 : Oui, le monteur était moldave, lui.
1 : J'ai remarqué que le critique cinéma de Télérama a applaudi durant un quart d'heure. C'est très bon signe.
2 : Je ne lis que Télérama.
1 : En résumé, votre film est explosivement gigantesque. Adieu la génération Tarantino, absorbée par les grands studios, reste les vrais artistes pauvres comme vous. Marion, je vous félicite chaleureusement pour ce chef-d'œuvre.
2 : Je vais tourner la suite à partir de jeudi prochain.
1 : La suite ?
2 : Oui, que vont-ils devenir ? C'est le sujet de mon film. Il y aura des surprises. Je peux déjà vous dire que le transsexuel scientologue va devenir médecin sans-frontières et collectionneur de méduses.
1 : Et ça se passera encore dans une buanderie ?
2 : Non ! Dans une Clio !
1 : Extraordinaire ! J'espère que ce sera une réussite totale. En attendant, je vous remercie d'avoir accepté de répondre à mes questions.
2 : Je m'en vais. Je vais projeter le film dans une prison pour violeurs récidivistes.
1 : Bonne chance, Marion !...
bien délirant, j'adore
· Il y a plus de 12 ans ·arthur-roubignolle