Fête foraine
My Martin
Tous les ans en septembre, la fête foraine s'installe sur le boulevard, jusqu'au feu d'artifice qui clôture la saison estivale et annonce la rentrée des classes. Bientôt l'automne, les marrons sur le boulevard.
Boulevard, plutôt une promenade, la ville s'étend sur un plateau qui domine le piémont. La table d'orientation en lave émaillée indique les noms des montagnes, au niveau du monument des trois Maréchaux de la Grande Guerre, Joseph Joffre, Ferdinand Foch et Joseph Gallieni.
Sculpteur toulousain Georges Guiraud (1901 - 1989). Maréchaux restaurés, car nuitamment décapités.
Du collège au square,
les grands manèges -chenille, auto-tampons, grande roue, ...-, car de ce côté, la promenade s'incurve, s'élargit pour former une place.
Un stand, estrade, les lutteurs. Noms de légende, le Bourreau de Béthune, l'Ange Blanc. Le Blanc, le Noir. Le Gentil qui respecte les règles, le Méchant -traître, coups bas- qui provoque le public. Capes, cagoules. Costauds, ventres en avant.
Démonstration, le catcheur soulève un gros poids en fonte, pinçant le bord entre pouce et index. Le banquiste défie le public, met en doute leur force. "Un amateur ? Qui veut monter, combattre ?" Récompense à la clé.
Un certain risque avec les jeunes locaux, rompus aux travaux des champs, terre de rugby. Durs à la peine, durs aux coups. Plus larges que hauts. Il arrive que le catcheur termine, épaules collées au sol. Vrai, faux ?
Revanche, on va voir ce qu'on va voir, le banquiste revient sur l'estrade, surexcité, les badauds se pressent à la caisse.
Les auto-tampons -spots de lumière vive, musique à la mode-, lieu de rencontre des filles et des garçons, qui tuent le temps, adossés aux barrières métalliques au bord de la piste.
Un stand, les motards tournent à l'intérieur d'un cylindre en bois, les spectateurs tout en haut, "attention à vos mains". Les motos se croisent, décrivent des figures complexes, vrombissent au ras du bord supérieur. Vacarme, spectateurs étourdis par les vapeurs d'essence et de térébenthine.
La grande roue
La chenille, lumières tournantes, musique à fond. Un jeune beau comme un dieu, cheveux au vent, torse nu, vérifie les tickets sur la piste inclinée du manège. Serge Gainsbourg
... "L'ami Caouette
Me fait la tête
Qu'a Caouette ?
... M'sieur Hannibal
Me mine le moral
Qu'a Hannibal ?" ...
Stands de tir
Loteries
Une loterie, face à la rue venant du centre-ville, descendante. Beau stand, lumières, profusion de lots coûteux et une attraction merveilleuse : au centre tout en haut, une marionnette hybride -chimère miniature- qui a pour tête, la jeune tête du fils de la maison, passée dans le trou du rideau de scène.
Comment anime-t-il la marionnette -costume noir, chemise blanche, nœud papillon-, bras et jambes ? Allongé à l'horizontale, tête levée à angle droit ? Debout derrière les étagères des lots ? De temps en temps, apostrophé par le banquiste, il danse et chante en play-back pour relancer l'intérêt du public. Sinon il croise ses courtes jambes de marionnette, trépigne, se gratte l'oreille ou le nez, arrange sa mèche. Fascinant.
Les années passent, de fête en fête, le visage perd en enfance et gagne en maturité.
Madame Irma dit la bonne aventure. L'automate figure une gitane maigre, qui tire les cartes. Foulard rouge sur la tête, vêtements chamarrés, visage de plastique figé, yeux charbonneux, lèvres carmin. Une pièce, les bras raides passent lentement sur les tarots, un papier tombe dans le réceptacle. Le brouillard des jours futurs se dissipe, l'avenir est révélé.
Une caravane cosy, cercle de jeu sur roues, plafond bas, lumière vive, quelques passionnés épaule contre épaule, tension palpable. Danger, parallèle à la fête. Jeu d'argent, mené par la croupière madrée. "Faites vos jeux, Messieurs, rien ne va plus". Cartes ou roulette ? Je ne me souviens plus.
Confiserie Mignon, crêpes, gaufres, barbe à papa, pommes d'Amour sur un bâtonnet enrobées de caramel rouge, amandes grillées, berlingots nougatines. Le confiseur étale la pâte odorante sur un plaque de marbre, l'étire plusieurs fois en la suspendant à un crochet. Puis il coupe la pâte en berlingots avec des ciseaux.
Clac, clac.
La Tête sans Corps. Le corps se concentre dans un appendice en virgule dessous, une sorte de "haricot" qui contient les organes vitaux. Estrade, boniment, on entre. Semi-pénombre, la lumière filtre entre les planches. Bruits, rires, conversations à l'extérieur. La Tête est vivante posée sur une table, les yeux bougent. Rien dessous. Le "haricot" est invisible, par pudeur.
Pêche aux canards jaunes pour les petits. Poussés par le courant de l'eau, les canards font leur parcours ou se regroupent, hésitant un moment avant de repartir en tournée.
Les anneaux. Des objets sur des socles. On lance l'anneau, s'il encercle le socle à plat, gagné. On gagne notamment des "têtes des nègres ou de négresses" en céramique.
Visages énigmatiques.
Racisme d'un pays qui a bâti sa prospérité sur la prédation, saignant l'Afrique par l'esclavage (1685, Code noir par Jean-Baptiste Colbert).
"Trophées", parfois gagnés par hasard, dans un placard au garage.
Au bout de la promenade, une baraque de strip-tease. Ces mots anglais sur la fête foraine, fenêtres vers l'interdit.
Estrade, la banquiste vante les beautés cachées à l'intérieur, qui se dévoilent périodiquement. Pour ce dévoilement, un amateur est recherché parmi l'aimable assistance. Des mains se lèvent, l'élu monte sur l'estrade. Enveloppé, chauve, bras ballants. Questions, taquineries. La banquiste explique comment il devra procéder, pas trop vite, ne pas se ruer sur la demoiselle, lui arracher ses vêtements, gestes déplacés "la Rue qui Glisse". D'une annonce à l'autre, même commentaire, même ton.
Comme la performance de Yoko Ono / mouvement Fluxus "l'art et la vie se confondent", au cours de laquelle les participants sont invités à découper sur elle ses vêtements, à l'aide de ciseaux.
Dans la baraque, moins art contemporain, plus simple.
La banquiste soulève le rideau, l'Amateur chaud bouillant patiente, à pied d'œuvre à l'intérieur.
Les clients sont invités à entrer par la gauche, -la caisse-.
De l'extérieur, on entend des bruits amortis, sobres applaudissements. Les hommes, parfois accompagnés de leurs femmes, ressortent par la droite.
L'après-midi hors fête, stands fermés. Les femmes vont et viennent, caravane à l'arrière, balaient l'estrade, fument une cigarette.
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De l'émotion à l'état pur...et une simple question..........quel sera mon futur. 0)?
· Il y a presque 4 ans ·flodeau