Filer droit

isalabelle

Conduire sa chienne de vie comme un bolide, en voilà une idée séduisante quand on est plantée là au carrefour. Rouler à tombeau ouvert en faisant juste gaffe à éviter la panne sèche. L'ado moyen, lui, il pense bien qu'il suffit d'avoir un tigre dans le moteur pour démarrer sur les chapeaux de roue alors pourquoi pas moi? Oui mais voilà, l'illusion survit jusqu'à ce jour encrassé où l'on intègre le circuit. La vie active, la vraie. Ce virage serré qui, bien négocié, nous fait illico nous ranger des bagnoles. Je l'ai découvert à mes dépens en acceptant mon premier job : finis les dérapages incontrôlés, envolées les virées en bord de mer compteur bloqué à cent cinquante aux heures de pointe, terminées les soirées trop arrosées s'échouant si affinités, à deux, cabrés sur la première carrosserie garée à proximité. J'ai freiné mon rythme. Allure de croisière, mains à dix heures dix, ceinture.

Puis, seconde chicane : le mariage et l'installation périlleuse du siège enfant sur cette sympathique banquette arrière qui s'étonne du coup de changer aussi rapidement d'utilité. J'ai fait le plein d'inconséquences dans mes jeunes années. Dorénavant, les chevaux dégagent de sous le capot. Je peux, non, je dois mener une vie plus calme, pépère, bridée, safety first.

Mais n'ai-je pourtant pas une autoroute devant moi? Mes plus belles années ne m'attendraient-elles pas sur le paddock? Mais stop! Arrête de regarder dans le rétro Blondie. Embraye sur autre chose, maintenant! Ca roule, mais que faire là, tout de suite? Quelle voie prendre? Je jauge les différentes options, je dois choisir le bon créneau....merde, c'est que j'ai la pression là, c'est nouveau. Tout ça ne doit pourtant pas être bien compliqué, il suffit de ne pas se braquer finalement.

Bon visiblement, j'ai du coffre. Equipée de série même comme ils disaient au lycée. La chanson alors? « Pas très sérieux » trancherait papa. J'y ai bien pensé pourtant, au début, pendant ma bienheureuse période de rodage, teenager ronronnante bercée par la bande FM crachée par l'autoradio. J'ai dû louper la sortie. Et puis j'aurais l'impression de me sentir comme la cinquième roue du carrosse à ces auditions, à ces castings qui vomissent des petites jeunettes, jupes courtes métallisées et oeil de « biche-prise-dans-les-phares ». Une voie de garage, « dead-end, » demi-tour.

Quoi d'autre alors ma grande? Réfléchis. Pense pour une fois, bon sang! Ta transmission est fatiguée dis-donc, ça patine sévère là. Ca devrait rouler maintenant pourtant. Tu vas souffler tes 33 bougies quand même, le compteur tourne. Oui. Mais non, rien à faire, je cale. Mes sens sont en berne, les voyants sont au rouge.

Bon, je crois que je vais sagement rester sur ma file alors. Finalement, il faut croire que j'ai le levier bien en main. Ecrire, c'est bien ça, non? Si je vais dans le mur, si je chute, au moins je saurai pourquoi . Allez, c'est décidé, je recharge les batteries et me (re)gonfle à bloc. Si j'en fais pas des caisses, ça devrait tenir la route.

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