Filles connectées

Christian Lemoine

Les fiançailles sanglantes de la terre et des chairs sacrifiées, dans ces tranchées d'humeurs et de folie, ne présageaient rien des micro-processeurs ni d'une maladie scandaleuse à venir. L'aube impériale des colonisateurs, nourrie des fleurs et peurs d'une révolution, ne préludait pas les foules des populaces ouvrières, grouillantes en des masures tassées sous l'ombre enfumée des usines. Un roi vieillissant, croupissant en sa lente déchéance sous l'œil incrédule d'une descendance tige à tige tranchée, n'imaginait pas la tête tombée du dernier de sa lignée.

Années et siècles. Car ce siècle, pas plus que ceux qui l'ont précédé, ne devinera jamais son devenir. Non plus que ce jour. Non plus que cette année.

Filles connectées de nos années. Une planète lourde, au pas ralenti des inerties, roule sous vos pieds sans empreintes. Vos années sont de pulsions subites, de fracassants éclairs où se dissolvent déjà par obsolescence programmée vos adolescences fulgurantes. La course fluide de vos mains sur les circuits des réseaux chavire dans son inconséquence, tandis qu'en d'autres géographies saccagées, des semblants de vers humains fouissent des terres où ils s'engloutissent, pour des grains microscopiques à valeur de trésor. Ainsi craquent les anfractuosités. Ainsi se fissurent les interstices. Ainsi croulent les brèches. Par où sourd, insidieux, le cours impavide de la corruption des choses. Et l'immarcescible, en sa glorieuse réputation, ne cesse de s'ignorer imaginaire, sans connexion avec l'éternel, refusant de considérer l'empire absolu de la finitude.

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