FILS DE STUP
jcyves
L'angoisse ressentie par sa mère à sa première crise ne l'avait dès lors plus quittée et augmentait à chaque nouvel événement. A peine fut elle rassurée par le diagnostic posé qu'aussitôt la crainte de l'opération survenait. Elle devait de plus s' occuper du frère de Rémi, lequel intégra, dès cette époque et malgré son jeune âge, en quoi consistait son rôle d'aîné: il passait en second.
Elle régla les contingences matérielles liées à l'hospitalisation si éloignée de la maison en fonction de l'emploi du temps de son mari. Il occupait un emploi de serveur dans un restaurant de la bourgade voisine et ne bénéficiait que d'un seul jour de repos hebdomadaire, hors week-end et jamais le même de surcroît. En outre, il suivait des cours du soir depuis plusieurs mois dans le but de se réorienter professionnellement afin de travailler moins et gagner plus, ce qui n'était pas incompatible alors. La fatigue et le stress avaient eu raison de la bonne humeur qu'il affichait au début de leur mariage deux ans plus tôt et elle avait parfois l'impression d'avoir épousé un étranger, surtout au moment où, alors que Rémi hurlait en pleine nuit au comble de la douleur sans qu'elle puisse l'apaiser, il surenchérissait depuis la chambre parentale :
« c'est un petit con, il va nous emmerder toute notre vie".
Rémi, entre deux spasmes, intégrait lui aussi. Un long mois s'écoula ainsi, qui sembla durer une éternité. Mais la date fatidique, entourée au stylo à bille rouge sur la page du calendrier suspendu par un clou au mur du vestibule, ornementée de la photo d'un petit chaton noir dans un panier, finit par apparaître. Demain c'est le grand jour, départ pour Lyon. Tout était parfaitement prévu, mais la crainte sourde qui lui gâchait son bonheur de jeune mère depuis bientôt deux mois, atteignait son paroxysme. Elle plaçait tout son espoir dans la délivrance à venir et dans le même temps redoutait ce moment. Elle aurait sans hésiter donné sa propre destinée en échange de la vie sauve pour son petit. La nuit égrena ses heures sombres et c'était presque un répit de devoir se lever pour apaiser son bébé en crise.
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Ce matin là le professeur était plus nerveux qu'à l'accoutumée. Cet émérite chirurgien reconnu par ses pairs était d'ordinaire si calme et sûr de son art qu'il ne paraissait jamais avoir la moindre hésitation lors d'une opération, aussi délicate fut elle. Toute son équipe l'admirait et lui était entièrement dévouée. Mais cette fois, alors qu'il se lavait soigneusement les mains avant d'entrer dans le bloc, sa décision se faisait attendre. Le calcul qui obstrue le rein gauche de son petit patient mesure à peine moins d'un tiers que l'organe, lui même très petit. L'intervention va être longue. Il poussa la porte du bloc avec ses coudes, les mains en l'air et remuant les doigts pour les ajuster parfaitement au latex de ses gants, comme dans la comptine des marionnettes.
"Bonjour à tous. Anesthésie standard plus une dose de penthotal supplémentaire. "
Une fraction de seconde tous les regards de son staff se tournèrent vers lui et celui de l'anesthésiste le fixait ostensiblement. Il ne cilla pas, son subalterne baissa les yeux et se concentra sur la préparation du cocktail. Analgésiques morphiniques, myorelaxants et double dose de barbituriques en intraveineuse. Drôle d'expérience pour un débutant dans la vie pensât-il. L'infirmière lui indiqua d'un signe de tête que le cathéter était posé dans le petit bras du nourrisson, il introduisit la seringue et poussa à fond le piston. Bonne nuit le petit.
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"RAS" clôturait le compte rendu de l'acte chirurgical- "rien à soutirer" plaisantaient les internes de première année- et en effet tout s'était déroulé selon le protocole établi. L'hôte indésirable avait quitté le corps de Rémi, lui laissant en souvenir une cicatrice qui grandirait avec lui. Mais la mention en bas de page ne tenait pas compte des effets secondaires de l'anesthésie sur le cerveau du bébé, effets secondaires pas si désagréables au demeurant. Tous les circuits de la dopamine fonctionnaient à pleins tubes, les neurotransmetteurs saturaient, il était proton, nucléide, poussière d'étoile , infime brindille dans l'immensité du cosmos et dans le même temps monde à part entière lui même. Il venait d'avoir 5 mois et il était « aware » selon la terminologie du célèbre marchand d'arts martiaux belge, il avait embrassé le cul de Dieu, expression qui irritait sa mère.
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La pièce où Rémy allait demeurer le mois suivant l'opération pouvait accueillir une bonne douzaine de petits patients, mais seuls huit lits étaient occupés. Trois salles identiques se succédaient le long du couloir et la cloison qui les en séparait était vitrée à mi hauteur ce qui permettait aux deux jeunes infirmières de permanence de surveiller d'un coup d'œil les petits pensionnaires tandis qu'elles courraient d'une pièce à l'autre. Manger, être changé, être réconforté demandait des efforts vocaux démesurés et une rude compétition régnait entre les prétendants, un peu comme dans les télé-crochets musicaux : c'est à celui qui hurlait le plus fort et tenait la note plus longtemps que revenait la victoire, triomphe éphémère puisque sans cesse remis en jeu. Rémi n'excellait guère dans ce registre, il avait constamment un chat dans la gorge, et il adopta une stratégie différente qui se révéla payante : dès que son regard, rivé sur le couloir, croisait celui de l'infirmière qui passait, il se fendait d'un large sourire et gazouillait en agitant les bras. Il en conclut que pour survivre il faut savoir séduire et que la femme est l'avenir de l'homme en devenir.
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Des huit nourrissons de la chambrée Rémi était le seul qui avait la peau blanche, peau blanche qui tire sur le rose à cet âge d'ailleurs. Trois de ses petits camarades avaient la peau ébène, deux autres étaient blancs tirant sur le jaune pâle et les derniers, dont sa petite voisine, avaient le teint de vacanciers qui ont passé un mois aux Seychelles. Lors des visites des différentes familles , en particulier le week-end, la chambre se remplissait de parents , frères, sœurs, oncles, tantes, cousins et cousines, petit groupe cosmopolite et bigarré où l'on parlait plusieurs langues. On remarqua vite que le petit blanc ne recevait pas beaucoup et on y remédia : Rémi fit bientôt le tour des bras de toute l'assemblée et fut bercé avec des comptines des quatre coins du globe. La couleur et l'odeur de l'épiderme de tous ces inconnus étaient différentes mais la chaleur était la même.
La couleur que Rémy préférait se trouvait dans le lit sur sa droite, légèrement en retrait du sien si bien qu'il devait tordre le cou pour l'apercevoir, et cela conférait à sa voisine un net avantage: elle pouvait le regarder sans qu'il ne s'en rende compte. À chacune de ses contorsions, et pour peu qu'elle fût elle même éveillée, il découvrait son visage ambré fendu d'un sourire massif tourné vers lui, ses yeux noirs malicieux le fixant à travers les mèches ondulées d'une impressionnante chevelure pour un bout de chou de huit mois. Lorsqu'il croisait son regard, elle lui tirait la langue puis tournait la tête de l'autre côté. Rémi se lançait alors dans son numéro de charme avec génuflexions et chants de moineaux mais elle ne semblait plus calculer l'opéré du rein. Rémi finissait immanquablement par s'épuiser et s'endormir, et à son réveil le jeu recommençait, à sa plus grande joie.
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Lorsque ses parents vinrent à l'hôpital quatre jours après l'intervention, Rémi sortit bruyamment et sans prévenir de son silence habituel. Il cria avec une telle intensité que les deux infirmières, accaparées dans la chambre la plus éloignée se précipitèrent en direction des hurlements et furent surprises de le découvrir sanglotant dans les bras de sa maman, elle aussi en larmes. Elle ne parvint pas à le calmer, son père essaya sans plus de succès- ça paraissait même empirer- si bien qu'après à peine vingt minutes ils décidèrent d'écourter la visite. Sa mère, le cœur déchiré, le couvrit de baisers et remit Rémi dans son lit avant de quitter la chambre, sans oser se retourner. Son mari dû la soutenir le long du couloir et lorsqu'ils passèrent devant la pièce réservée au personnel médical, un homme en blouse blanche les stoppa :
" Excusez moi vous êtes les parents de Rémi ? Voulez vous conserver le calcul de votre fils en souvenir? ".
Il tenait dans la main un bocal rempli de liquide où flottait une petite bille jaunâtre traversée de bas en haut en son centre par un trait fin comme une aiguille d'un noir très sombre. L'homme en blouse blanche crut bon d'ajouter :
« On en voit pas souvent des comme celui-là, il ressemble à s'y méprendre à un œil de félin".
La mère de Rémi poussa un cri bref mais si puissant que tous les petits patients, surpris ou réveillés en sursaut se mirent à hurler de terreur à leur tour au moment où elle perdait connaissance dans les bras de son époux.
Lors de la deuxième visite la semaine suivante, les parents de Rémi restèrent cachés dans le couloir. Ils pouvaient ainsi le contempler à loisirs lorsqu'il était assoupi, s' accroupissant au moindre de ses mouvements, disparaissant puis réapparaissant derrière la moitié de cloison aveugle comme au petit théâtre de guignol. Deux heures s'écoulèrent ainsi mais le bonheur de voir leur fils valait bien quelques crampes.
Leur petit numéro de prestidigitation ne passa pas inaperçu aux prunelles des pupilles provisoires alités près de la scène, et sa voisine riait aux éclats à chaque apparition derrière la cloison. En suivant son regard, il découvrit la supercherie et entra dans une colère terrible. Ses parents s'enfuirent, un peu honteux, mais somme toute très heureux de la journée. Rémi déchaînait toute sa fureur depuis un quart d'heure quand il sentit un regard posé sur lui. Elle le fixait, la tête un peu penchée sur le côté et lui souriait. Rémi stoppa ses pleurs et lui sourit à son tour, agita ses bras et se mit à gazouiller.
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Après trois semaines de convalescence, il pressentit que quelque chose d'inhabituel se tramait. Le professeur, qui faisait le tour de ses petits patients au pas de deux comme tous les matins où il n'œuvrait pas au bloc, suivit d'un confrère et de l'interne de service comme un général et ses lieutenants, s'attarda sur le lit de sa voisine. Après quelques minutes de discussion les trois hommes opinèrent du chef et quittèrent la chambre d'un pas martial.
Ensuite ce fut au tour de l'infirmière de déroger aux habitudes établies: elle s'affaira derrière le lit voisin. L'élasticité de son cou fin avait des limites que Rémi avait atteintes, il ne vit pas qu'elle débranchait l'appareil qui surveillait la fréquence cardiaque de la petite. Il tenta de se retourner sur le ventre mais la douleur ressentie sur son flanc gauche le stoppa net.
Et enfin, alors qu'il s'agitait comme une tortue en détresse les parents de celle-ci entrèrent à leur tour avec une joie non dissimulée. Sa maman dépassa Rémi, se pencha sur le petit lit de sa fille et la prit dans ses bras. Et alors que tous trois repartaient en direction de la porte sous les yeux effarés de Rémi, elle pencha la tête par dessus le coude où elle s'était lovée, le fixa en souriant et lui tira la langue.
Rémy se sentit soudain à l'étroit, il étouffe, il suffoque, de l'air please, il rue et éructe, sanglote et hurle, et la vision de la moitié supérieure, des yeux inquiets jusqu'au sommet du crâne, du visage de ses parents derrière la vitre du couloir n'arrange rien.
Dès souvenirs imprimés dans la précocité.
· Il y a environ 6 ans ·Comme il y a beaucoup de bébés, j'opterai pour le diabolo fraise.
unrienlabime
Oui ça remonte !
· Il y a environ 6 ans ·jcyves