Fin

k-ramel

Chancelante, je parcours les couloirs sombres encore sous le coup de cette veillée que la pénombre permanente et l’horreur se déroulant à l’extérieur, prolonge de façon insoutenable.

Je ressasse sans trouver d’échappatoire.

"Comment le monde a-t-il pu basculer sans préavis ?"

Les évènements des dernières semaines me reviennent. Le couvre feu et les sirènes, la destruction des satellites de communication… la solitude et l’enfermement. Le manque de nourriture grandissant et la coupure de l’eau, la puanteur de la rue qui pénètre à travers les volets.

Une odeur indéfinie car regarder dehors serait risquer l‘exécution. La crainte suffit à justifier notre claustration.

Les sirènes avaient hurlé deux jours entiers et l’instinct de survie avait dicté le reste.

Je ne croisais plus les voisins et chacun ne semblait compter que sur lui-même sans plus nourrir d’espoir en des jours meilleurs.

C’était la fin des temps, de leur temps, de mon temps et la petite allait succombé avant moi.

La fièvre n’avait pas cessé de monter et le manque d’hygiène allait avoir raison de ses dernières défenses. La pourriture avait envahi son corps et son haleine fétide était l’annonce de son départ.

La maison était grande, me permettant d'organiser un roulement, condamnant les pièces devenues nauséabondes au fil des semaines, trompant l’ennui et faisant face à la moisissure qui prenait peu à peu ses quartiers dans des pièces éternellement closes.

Ils avaient dit que l’air vicié qui avait envahi les rues était porteur de mort.

A la lumière des bougies, je vois la pâleur de ma peau et mes côtes se dessiner sur mes flancs.

Après le retrait des eaux, les étages de la maison étaient peu à peu devenus invivables, l’odeur montante y était insoutenable.

Il avait fallu se résoudre à ramasser les boues du rez-de-chaussée et à évacuer les eaux piégées à la cave.

La petite déjà très faible s’était bornée à actionner la pompe placée dans l’escalier de la cave au gré des coupures de courant du vieux générateur qui rendra l’âme non sans avoir, au préalable, vidé la cave jusqu’à la dernière goutte. L’eau devenue si précieuse fut récupérée dans des bassines pour remplir les baignoires et les éviers de la maison.

J’ai épongé la boue couvrant le sol et commencé notre installation. Un vieux divan lit jeté dans l’escalier et péniblement poussé contre le mur, le stock de bougies et les couvertures.

La lourde masse de la remise me permis d’entamer le mur donnant dans la cave des voisins, depuis longtemps exilés et j’y découvris des boîtes de conserves passablement rouillées que je recueillis comme un trésor.

Les boîtes gonflées et difformes sont percées pour en laisser échapper les gaz.

Leur contenu est longuement bouilli et nous mangeons inconscientes du danger.

Cette nuit, le froid s’engouffrant par le trou béant du mur et les bruits sourds s’en échappant m’ordonnèrent de descendre le lourd bahut de l’entrée pour condamner l’ouverture.

Je l’ai démonté dans le hall et remonté à la cave.

La petite reste couchée jour et nuit, mais un fin sourire éclaire encore son petit visage sale et livide.

Des grattements sont audibles derrière le bahut et ils nous empêchent de dormir. Je me blottit contre la petite et j’entonne une chanson au creux de son oreille. Nous retrouvons le sommeil.

Les jours se confondent aux nuits et la petite ne sourit plus. Depuis le soupirail, nous n’entendons plus de pas dans la rue.

Dans les premiers jours de la crise, les gens fuyaient et foulaient le trottoir en courant et en criant, puis ce furent les pas cadencés des forces armées en scaphandres qui déambulèrent pour faire respecter le couvre-feu. Et maintenant plus rien, un lourd silence.

La pluie battante reste notre source d’eau consommable. Bouillie et refroidie. Nous utilisons les eaux pompées pour faire un bref brin de toilette quotidien.

Dans la pénombre, j’ai aperçu de petits yeux scrutant le ras du sol. Redressée en sursaut, j’ai fondu sur un rat couinant dont j’ai croqué la tête. Plongé dans l’eau bouillante je lui ai ôté les poils et nous l’avons mangé de bon appétit.

"Mais par où avait-il pu entrer dans la cave ?"

A quatre pattes, j’ausculte le sol et une fine entrée d'air attire mon attention. La sale bête était à l’origine des bruits du bahut. Elle avait gratté le fond du meuble pour finir dans la casserole.

La petite tousse et se dit dérangée par sa propre odeur, sa peau est jaune et le fond de ses yeux aussi.

Il lui faut des forces.

J’ouvre une boîte de conserve que j'enferme solidement dans le bahut et je taille une ouverture à hauteur d’homme.

L’odeur à vite fait d’attirer d’autres rongeurs que je pêche à la fourche.

A suivre…

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