Fin août
Séverine Capeille
Ce qu’on peut changer en deux mois, je n’en reviens pas. On dirait que le reste de l’année, le temps n’agit pas. A chaque fois que je reviens de colonie, tout le monde le dit : j’ai grandi. La phrase et l’intonation sont toujours les mêmes : « Mais qu’est-ce que tu as grandiiiii ! », avec une prolongation de la voyelle finale qui résonne comme une menace aigüe. Mais cette fois-ci, c’est fini. J’arrête. J’ai assez donné dans la chanson de Hugues Auffray. J’ai dit à papa que je n’y retournerai pas, que je veux rester petit.
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J’ai pris la brosse à dents dans la salle de bain ? Je ne sais plus… La serviette de plage qui séchait sur le balcon, ça je suis sûr, mais la brosse à dents… Faut dire qu’on part toujours au dernier moment. Ouais, c’est pénible à la fin. Les gars ne sont pas organisés. La veille du départ, c’est la cuite obligée, on vomit et on dort habillé. Alors forcément… La brosse à dents… C’est l’accessoire insignifiant. Mais pas pour moi. Moi, j’ai lu Sartre. Je sais ce qu’est le « huis-clos » avec Gustave, Andy et Gégé. Je sais que ma brosse à dents, c’est ma dignité.
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Chacun fait ce qu’il peut pour bousculer les habitudes. Moi, cet été, j’ai pris l’alphabet à l’envers. Ca me semblait une bonne idée. Je suis parti de Zéro et je suis remonté jusqu’à l’Arrivée. J’ai imaginé que j’étais sur une plage. J’étais photographe. Une fille est passée et j’ai Zoomé. Début de l’histoire. Coucher de soleil. Et puis, comme dans une pub pour le loto, j’ai vu une voiture s’éloigner. Fin du générique sur l’A7. Depuis, je tourne en rond comme un Zombie.
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J’ai laissé au moins vingt messages. Rien. Je ne comprends pas. Si elle ne veut pas me parler, il faut qu’elle le dise ! Quelle lâcheté… On dirait qu’elle m’en veut. Mais de quoi ? Les vacances sont faites pour dé-cro-cher, je me tue à lui répéter. Décrocher, merde. Bon, elle ne pouvait pas venir. Qu’est-ce que j’aurais dû faire ? Annuler le voyage ? Elle est gonflée… J’ai bien fait de partir. J’avais besoin de souffler. Et puis, j’adore avoir la peau bronzée. Je me trouve beau. Je compose son numéro… Elle laisse encore sonner. Finira-t-elle par décrocher ?
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Je ne me sens pas reposé. Mais alors, pas reposé du tout. En fait, je suis crevé. Crevé et ruiné. C’est qu’il fallait suivre le rythme… Les balades la journée, les restos et les boites de nuit en soirée. Je ne me suis pas ennuyé, j’ai passé mon temps à dépenser pour ne pas penser. Ce qu’il faut mettre d’euros pour avoir l’air léger… Enfin, voilà, c’est fait. Je n’ai rien dans le frigo mais j’ai de belles photos. Je me demande d’ailleurs à qui je vais les montrer. Je me sens un peu plus seul qu’avant, depuis que je suis rentré.
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Je pense que ce séjour nous a fait du bien. On en avait besoin. Elle croyait que je ne l’aimais plus, mais là, elle a bien vu… Nous avons tout visité, tout essayé, tout goûté. Nous avons même fait l’amour sur la plage, un soir, après des cocktails colorés. Elle ne peut plus douter. Non, elle ne peut plus… D’ailleurs, elle ne pose plus de questions, elle ne demande plus rien. Je devrais me réjouir… Pourtant, c’est bête, il y a un détail qui me revient… Je ne me souviens plus depuis quand je n’ai pas entendu son rire.
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A mon âge, on sait fermer les bagages. On a tellement fait et défait de valises, avec ou sans roulettes, de sacs, avec ou sans bandoulières, qu’on n’a plus besoin de s’assoir dessus pour venir à bout de la fermeture éclair. Piètre consolation par rapport à tout ce qu’il m’est désormais impossible de faire… La lucidité se paye au prix de bagages refermés. J’ai replié l’humour, enroulé l’ironie, et j’en suis à plisser le cynisme de septembre. Question de technique. Je prends mon temps. A mon âge, ce n’est pas le départ, mais le retour qui est important.