Fjord

Christian Lemoine

Dans la ria tranchée à la lame dans les karsts et les schistes, la lente manœuvre du ferry. Il passe. Du haut des inlandsis l'observent sans animosité des glaciers pressentant la déroute. Depuis les ponts du navire, derrière les hublots, l'image est renversée, et c'est un paysage qui glisse sous la coque immobile. Afin de feindre sous l'imposante carène l'illusion du mouvement, l'eau elle-même, entre étrave et poupe, simule un sillage. Tout est silence. Morne platitude de l'eau, entre les falaises brutales et resserrées. Depuis qu'il a pénétré les premières brasse du fjord, autour du vaisseau le temps s'est mué en éternité ; il semble que le voyage jamais ne parviendra à son terme, le fond ambigu du fjord se dérobe sans cesse, et il s'avère bientôt qu'on poursuivra sans fin cette lente glissade, jusqu'à cerner dans cette navigation l'entièreté du globe pour revenir enfin à ce point où la rive s'ouvrait pour découvrir, dans le rempart apparu inexpugnable, la tranché abrupte, sur le flot alme, saturé comme le sang indispensable des terres qu'il caresse. Mais ici, entre deux tempêtes, la mer n'est qu'un étang saumâtre.
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