Flacon d'amertume, pinte de regrets.

era-din

Il était tard ce soir là. Trop tard. Comme à son habitude, il était dans cet état léthargique, entre la fatigue, l'excitation, la volonté de s'endormir pour des jours durant, où de se réveiller tôt, trop tôt. De toute manière, le sommeil ne viendrait pas à lui ce soir là. Il le savait au fond de lui-même car quelque chose qu'il pensait disparu venait de réapparaître au cœur de son âme. Cette volonté irrépressible d'écrire, de frapper ces touches innocentes, de gratter ce papier trop vierge à ses yeux. Quelqu'un venait de rallumer cette flamme éteinte. Juste une étincelle, pas plus. Mais c'était suffisant. Cette petite flamme, faible, timide, elle était bien là.


Rapidement, trop rapidement, il se rappela que l'exercice n'était pas aussi facile qu'il le pensait. La relecture de ses vieux textes le plongeait dans un état étrange, entre la nostalgie de cette époque et l'énervement de ne plus savoir imiter son lui d'antan. Comment arrivait-il à écrire ? Comment pouvait-il créer ? Il ne savait plus. Tout était flou, trop flou. Il passa sa main dans sa barbe en laissant échapper un soupir qui sembla emplir la pièce tant le silence de la nuit pesait sur son esprit. Il voulait briser ce silence. Coûte que coûte. Mais il ne trouvait pas les mots. Il ne savait plus comment faire.  Ses paupières battaient de plus en plus doucement comme pour essayer de le convaincre d'aller au lit. Elles étaient lourdes, trop lourdes. Mais il ne voulait pas les fermer. Il ne pouvait pas les fermer. Son esprit se refusait tellement à l'idée de se rendre au sommeil qu'il n'avait même plus la sensation de contrôler ses membres. Ses doigts s'affolaient tout seuls, il ne savait plus trop ce qu'il faisait, cela remontait à longtemps... Trop longtemps.

C'est dans cet état proche d'une transe, dans cet état où il ne contrôlait plus rien qu'il se prit à penser. Il inspira, prêt à soupirer, mais n'autorisa jamais l'air à se libérer. Lui même se sentait soudainement emprisonné. La réponse était là. Depuis tout ce temps devant ses yeux, évidente, trop évidente. La réalité le réveilla quelque peu, la réalisation était dure, l'acceptation rude. Mais il devait s'y résigner. Il devait accepter sa situation, ou alors se rendre au sommeil. C'est alors qu'il se mit à ouvrir une page blanche pour commencer à écrire sur son passé, à écrire sur comment il arrivait à écrire, il y a longtemps, trop longtemps.

La majeure partie de son texte était inutile. Une discussion sans intérêt avec lui-même, comme pour se convaincre qu'il était plus ou moins intéressant. Le lecteur s'ennuierait sans aucun doute. Mais au fil de son écrit, il se rendit compte de ce qui se passait, de ce qui manquait. Il se dit alors qu'il pouvait encore laisser ses doigts s'exprimer seuls, avant d'enfin révéler au lecteur ce qui se passait. Puis il se souvint soudainement que son écriture semblait s'accommoder de lettres à de belles anonymes. Alors il entreprit d'en écrire une, laissant parler son cœur avant tout.

"Toi.

Voilà.. Des années maintenant. Je ne sais même plus vraiment où tu es maintenant. Je ne saurais le dire avec précision, et j'en ai honte. Tu avais une place centrale dans ma vie, et je ne te l'ai jamais dit. Tu avais une signification primordiale pour moi, et je ne te l'ai jamais dit. Tu représentais quelque chose de spécial pour moi, et je ne te l'ai jamais dit. Si seulement j'avais eu une grande gueule. Si seulement j'avais osé tout foutre en l'air. Peut-être n'aurais-je pas aussi honte aujourd'hui. Peut-être saurais-je où tu es précisément aujourd'hui. Et peut-être serais-je encore en train d'écrire sur toi aujourd'hui. C'est presque ironique. Quelqu'un de si important pour moi, et pourtant tu ne l'as jamais su. Je me demande même si tu l'as soupçonné un jour. Où que tu sois, si tu lis ce texte, je te le dis maintenant. Il est un peu tard alors que tu n'es plus près de moi, mais cette nuit est longue et mon passé me force à le fixer droit dans les yeux. Alors Toi, tu me manques. Toi, tu rendais ma vie un peu plus belle. Toi, je te considère comme une des personnes les plus précieuses en ce monde. Mais toi, tu ne l'a jamais su. Mais toi, tu ne le sauras jamais."

Il était tard cette nuit-là, trop tard. Il fallait se réveiller tôt, trop tôt. C'était arrivé rapidement, trop rapidement. Tout était flou, trop flou. Ses paupières sont lourdes, trop lourdes.C'était évident, trop évident. C'était il y a longtemps, trop longtemps. Son esprit se figea. Ses doigts aussi. Cette lettre qu'il venait d'écrire il aurait du l'envoyer il y a bien longtemps. Il réalisa tristement que l'un de ses textes préférés resterait inachevé. Il réalisa malheureusement que sa muse était partie.

Il était tard, trop tard.

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