Flo'rever

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Ma petite Flo,

Ma petite aventurière,

 

Une petite lettre, des petits mots, une envie d'écrire ou de t'écrire.

 

…Vingt ans que l'on se connait, pour arrondir, si je ne me trompe pas. Tu imagines ? Oui, je sais, toi aussi tu trouves ça dingue… tout ce chemin parcouru, tous ces souvenirs, toutes ces anecdotes. On pourrait passer des heures à se souvenir, autour d'une bière ou deux. Ou trois. Sans oublier le Malbec. Et pour finir la Chartreuse, tant qu'à faire. Et promis, je te laisserai gagner au poker la prochaine fois… oui, je me moque, je te taquine, tu me bats toujours...

 

Je ne sais pas pourquoi j'ai envie d'écrire sur toi, sur nous, peut-être parce que tu me manques et que je sens que ce n'est pas trop la forme, en ce moment, avec les petits « monstres » que tu essaies d'instruire.

 

Mais bientôt tu reprendras l'avion. Mais bientôt tu suivras ta voie, et je te soutiens de toutes mes forces, si tu savais. Qu'importe ce que veut nous faire croire la pression sociale. Qu'importe cette fichue ligne blanche qu'il faut suivre. Tu cours dans les champs fleuris aux alentours, et je te suis, et nous chasserons les papillons pendant qu'ils marcheront en file indienne, les autres, les gens, le reste du monde. Laissons les tous sauter dans le même précipice, les uns après les autres, parce que l'un en aura eu l'idée. Le monde veut nous broyer et nous vomir sur une jolie case blanche ou noire, cela dépend du jeu. Mais c'est pas pour nous, tout ça. Non. Pas pour nous…

 

Quand j'y repense. C'est assez fou. Quand je pense qu'en sixième, tu as failli changer de classe. Je m'en rappelle encore même si c'est vague. On avait commencé à discuter, et quand j'ai su que tu allais peut-être partir… j'ai croisé fort les doigts, pardon, pour que tu restes dans ma classe. Mais comme on se le remémore souvent, notre rencontre à proprement parler, on ne s'en souvient pas. Tout ce dont je me rappelle de la rentrée, c'était des parents au fond de la classe, d'un professeur qui parlait de je ne sais quoi, d'une classe d'inconnus et de mes larmes secrètes et interdites, assise là, contre la fenêtre au fond à gauche. Ensuite, non, je n'arrive pas plus à me rappeler de notre rapprochement. Sans doute la hiérarchie, on n'était pas très bien placées alors…

 

...Il n'empêche, sans toi, cela aurait été si différent. Je crois que je serais tombée et la foule m'aurait piétinée.

 

Je veillais ton bus par la fenêtre le matin, je ne sais plus si je te l'avais avoué des années plus tard. Quand je voyais son scintillement en haut, à gauche, depuis le balcon, au milieu de la montagne, je savais qu'il était l'heure de partir. Et j'arrivais à la grande place en même temps que ton bus. Tout comme la cantine. Je pouvais rentrer chez moi chaque midi, mais non. J'avais inventé une excuse, je me rappelle. Mais si j'avais opté pour la cantine, c'était pour rester ensemble. Profiter de chaque moment, chaque instant. Vous me disiez, avec la petite blondinette, que je devrais rentrer chez moi puisque je n'habitais pas loin, et moi, je n'osais pas vous dire que non, que je préférais mille fois être avec vous…

 

Je me rappelle qu'on jouait aux cartes, parfois, mais à quel jeu ? Et la bibliothèque, tu te souviens ? Et le prof de sport ? Et les cours d'histoire où l'on communiquait de nos places respectives avec les mains, adolescentes idiotes que nous étions, par exemple pour regarder je ne sais quelle image du livre… tu dois avoir oublié, ou tu te rappelles ? Et les cours de mathématiques, ce professeur qui nous terrorisait, qui allait jouer au tennis à côté de chez moi après les cours, pendant que je faisais mes devoirs ? Je pourrais en citer encore beaucoup, des indices de souvenirs. Les élèves populaires sur leurs bancs réservés à chaque récréation. La sortie de classe à Toulouse où l'on a réellement cru que le panaché du distributeur en bas de l'hôtel nous avait rendues pompettes…

 

L'internat, tu sais, ce sont les plus belles années ou, disons, soirées de l'année. J'étais paniquée quand j'ai vu que, question d'options, nous n'étions pas dans la même classe. Je me suis effondrée. J'avais opté pour arts plastiques et toi espagnol… et oui, quand j'y repense, c'est là que tout a commencé pour toi. (sourire) Je ne sais pas si alors tu t'en doutais, ou non, mais après tout, on peut se dire que ton avenir s'est scellé, oui, quand tu as décidé de prendre cette option…

 

L'internat… je ne peux m'empêcher de sourire bêtement quand j'y repense. Surtout quand je me rappelle toutes les conneries que l'on y a faites. Ce devait être l'âge. Le Seigneur des Anneaux nous obsédait. Tu te souviens ? Les posters, les cartes, les films qui sortaient, les livres qu'on avait lus, l'envie de se barrer en Nouvelle-Zélande… d'ailleurs, ça te dis, on ira un jour là où vivent les Hobbits ?

Et le petit sapin que l'on installait toutes ensemble avant Noël, et les petits cadeaux que l'on s'offrait, cela représentait tant. Les batailles d'eau dans la salle de bain commune, que l'on avait dû nettoyer quand la surveillante nous avait surprises. On n'arrêtait pas de rire, même avec nos serpillères et notre insouciance.

Les soirées à rire, et les alertes au feu, quand il fallait descendre en pyjama dans la cour, en pleine nuit.

Oh, et nos peluches... Qu'est devenue Pipine ? Pinpin, je ne sais pas. Mais bon, comme nous les avions mariés, on dira qu'ils vivent heureux désormais… Non mais sérieux ? On avait marié des… peluches ? Je crois vraiment que l'adolescence est mystérieuse, d'autres couraient les garçons, nous on mariait des peluches… je ris en écrivant cela, déjà à l'époque, on n'était pas tout à fait dans la bonne case, à croire. Et ce pauvre monsieur du magasin de farces et attrapes… il savait, j'en suis sûre. Il savait mais il nous laissait faire.

 

Je suis désolée d'avoir quitté l'internat en début de terminale. Je m'en suis tant voulu, si tu savais. Et nos échanges froids ensuite, et cette séparation brutale. Je baissais la tête quand on se croisait dans les couloirs, c'était de ma faute, mais je ne voulais de spectateurs à ma chute. Tu m'as tant manqué. Je croyais bien t'avoir perdue pour de bon.

 

Je crois que ce fut, après des lettres lorsque j'étais en clinique, que l'amitié est revenue comme si elle n'était jamais partie. Je me suis installée quelques temps près de Chambéry, je me rappelle d'une soirée film d'horreur, la première d'une longue liste. J'avais déplacé tout votre salon pour que tu aies le plus peur possible… (oui, je sais…) Ouvert les portes, laissé du vide derrière le canapé, éteint les lumières. Et face aux créatures du film, on avait été tremblé ensemble. Tu m'avais offert une photo de nous avec un petit mot à cette époque. La photo trône toujours au salon aujourd'hui.

 

Et Lyon, quand tu venais me voir. Nos nuits blanches à grignoter devant des films d'épouvante. Et puis tu as suivi ton destin en partant en Espagne.

 

Tu es devenue une femme extraordinaire. Tes voyages n'ont fait qu'accentuer ta nature de base, car avant même de voyager, tu avais déjà le cœur sur la main. Et je suis désolée de n'avoir pu participer à ta récolte d'argent pour tes petits orphelins de Bolivie que tu as aidés lors de tes deux longues années en Amérique du Sud, j'aurais pu y mettre dix euros, pour le symbole, mais ça a dû me sortir de la tête, et bref je m'en veux.

Je participerai si tu fais une prochaine cagnotte…

 

Je sais que c'est dur en ce moment. Et tu me manques beaucoup. Mais j'avais envie d'écrire sur toi. Car tu es un modèle, souvent, pour moi. Je veux prendre exemple sur toi, moi qui serais incapable de partir dans un pays lointain, seule, comme tu le fais. Chapeau bas, puce. Je sais que tu vas partir encore une année mais je ne suis pas triste de ton départ, je suis heureuse que tu poursuives tes rêves. Promis, je ferai de même. Ne t'en fais pas, un jour tu seras fière de moi. Tous nos conseils s'appliquent à nous deux. Et je sais que l'on restera là l'une pour l'autre si problème ou souci. Mais sois rassurée, je vais aller de l'avant, moi aussi, il le faut.

 

Tu me manques. Ce petit texte, cette petite lettre, est bien dérisoire. Mais je voulais t'écrire un petit quelque chose, ressortir des placards quelques souvenirs, essayer de loin de te faire sourire lors de sa lecture.

 

Reste comme tu es, surtout.

 

Je t'aime fort,

 

PS : Et un jour, peut-être, on se retrouvera à faire des conneries dans la même maison de retraite, comme à l'époque de l'internat... oh oui, on leur en fera voir de toutes les couleurs… (clin d'œil)

 

 



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