foule

Hervé Pizon


   Le soleil brûle les tuiles en tiges de botte et une multitude endimanchée se cogne aux buvettes dressées sur la place ronde du village. Au beau milieu de cette joyeuse cohue, une main accrochée à sa robe blanche, elle se tient immobile, aussi droite que le mât arrimé à ses côtés. Un foulard fleuri enserre ses cheveux. Au vent, les drapeaux et fanions hésitent, flottent perdus dans le ciel ou tachent les enduits des façades.

   L'affluence croît sans cesse : chaque ruelle de la ville haute charrie, vers les artères principales d’abord puis en direction des tilleuls odorants, son flot de souliers neufs, pantalons de toile au pli impeccable, chevilles pressant le pas pour danser, genoux cagneux fichés sous les culottes courtes doublant les cannes de marche, rubans défaits et robes de coton.
   Interminable est l’attente épaule contre épaule, la foule se contracte en un mouvement qui la rend nerveuse. Subitement, elle a chaud, enlève foulard, chaussures. Elle sent la peau moite de son voisin toucher son bras. Un poids comprime sa poitrine, elle respire si mal. N'y tenant plus, elle renonce, se retourne et, à contre-courant, se fraie un passage dans l'immensité oppressante.
   D'un instant ombragé près du bureau de poste, ainsi allonge-t-elle enfin son souffle trop court et une goutte de sueur se dispute la nuque avec le parfum de violettes.

   A cette juste distance, les haut-parleurs crachotent moins fort ! Discours municipal, rires et fête patronale jouent en sourdine. Attirée par le tintement d'une fontaine, elle s'y rafraîchit le visage ainsi que les avant-bras. Dans la cour de la maison, la porte de la cave est béante; elle s'approche. Main contre la paroi, elle descend l’escalier. Chair de poule au contact des talons sur la pierre humide.
   Un à un, l'homme ôte ses vêtements, se lave soigneusement les pieds. A la force des bras, il se hisse d’un trait dans la cuve. En silence, elle l'observe. Debout, par un mouvement de balancier, il fait porter le poids de son corps alternativement sur chaque pied -le foulage du raisin exprime le jus-  tandis qu’elle avance dans la pénombre, la dernière marche, irrégulière, la déséquilibre, dans la chute un genou heurte le sol et un verre, entaille, la pulpe s’échappe, les grains éclatent, sang, sucre et moûts remontent le long des cuisses.

hervé pizon

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