Courage, c'est juste une terre d'écueil

epic

"Better die for something than live for nothing"

Une nuit de juin 2015, sur les rochers qui font face au musée de la préhistoire de Vintimille, un groupe de fantômes aux draps d'amiante se déplace avec lenteur sous la pluie. Qu'est-ce qui a changé depuis le paléolithique, quand des hommes noirs en provenance d'Afrique se réunissaient sous la paroi de roche dans les grottes de Balzi Rossi, avant de poursuivre leur migration vers le nord de l'Europe ? A peu de choses près, rien, sinon qu'il n'y avait alors ni homo sapiens, ni Europe, ni France, ni Italie, ni frontière, ni Schengen. Encore moins des clandestins. Seulement la montagne à franchir et la mer à traverser.

Les hommes entourent un jeune africain en train d'enfiler un gilet de sauvetage orange où l'on peut lire l'inscription King Jacob. C'est le nom du bateau portugais arrivé le premier sur les lieux du naufrage qui a englouti 700 hommes, femmes et enfants, en avril dernier au large de la Libye. Il est l'un de ceux dont la mer n'a pas voulu ce jour-là. Empêtrés dans leurs ailes d'argent, ses compagnons d'infortune tentent de le dissuader par des gesticulations d'oiseaux échoués, de rejoindre la France à la nage. 

-"Better die for something than live for nothing"

Ironie du sort, il porte sous la bouée gri-gri qui l'a tenu en vie pendant deux heures avant d'être secouru, un maillot de bain de femme "Princesse Tam-tam", reconnaissable à sa large échancrure dans le dos. Il avance lentement dans la mer avec de l'eau noire jusqu'au ventre et s'encourage dans sa langue. On le croirait échappé d'un ballet de danse contemporaine de Carolyn Carlson,  pour faire un pied de nez à l'absurde de la normalité.

Soudanais chassé par la guerre au Darfour, érythréen échappé de la cité militaire de Sawa, syrien échappé aux bombardements de Assad, congolais, nigérien, irakien, kurde, afghan, réfugié politique ou économique,  rien ne pourra arrêter sa migration. Ni les caméras thermiques des douaniers, ni la police mobilisée sur le pont de Santo Ludovico qui mène à la frontière française. C'est juste une goutte d'humanité jetée sur une terre "d'écueil", par une vague d'espoir trop haute pour les miradors des Droits de l'Homme.


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