Françoise
saul-t-river
Françoise et moi avons profité des quelques heures qu'il me restait à passer à Chicago pour flâner sur la jetée Navy Pier. Tournant le dos aux buildings, nous avons discuté de nos vies respectives et des années écoulées sans que nous nous soyons revus. Pourtant, Dieu sait que j'abhorrais ces sujets-là.
Alors je lui ai décrit les collines boisées de l'Oregon ; l'haleine blanche des Wapitis, aux premières lueurs de l'aube ; et j'aurais voulu tout lui expliquer, tout lui faire comprendre:
-Cela procure un sentiment de plénitude que tu n'imagines pas... Tu devrais passer me voir à Portland. Quand tu en auras le temps.
Elle s'est tournée vers moi et a murmuré: -Sal...
Elle a dit Sal en me saisissant le bras de la façon la plus maternelle qui soit. Et je n'ai pas voulu la laisser poursuivre. Je pressentais que ça n'allait pas me plaire.
Sans reprendre mon souffle, je lui ai dépeint le Japanese Garden. Les branches froufroutantes des rhododendrons en fleurs, en avant des érables.
-Les carpes koï parcourent la mare comme des âmes inquiètes. On dirait des fantômes.
Il aurait certainement fallu que je ne cesse jamais de parler. Je me disais qu'après tout, elle en oublierait peut-être les choses épaisses qu'elle avait sur le cœur, et pourtant je savais bien à quel point les femmes tiennent à leurs idées.
Un ferry bleu qui venait d'accoster a déversé sur le quai une interminable procession de touristes. Je les ai regardés s'échapper sans plus rien trouver à dire.
Quand je me suis tu, elle m'a dévisagé tendrement puis a confessé qu'elle était désolée, tellement désolée. Qu'elle avait eu tort de vouloir me revoir. Elle avait pensé que ça nous ferait du bien, mais elle avait eu tort...
-Qu'est ce que tu veux dire...
Elle s'est abstenue de répondre.
Je savais très bien ce qu'elle voulait dire.
Tout autour de nous, il y avait des couleurs, il y avait la grande roue étincelante, et les manèges, et les cabines rouges de la grande roue qui montaient et montaient vers le ciel pur, au milieu des rires. J'aurais voulu ne jamais les voir redescendre. Il y avait maintenant, le silence, entre nous, et le vent venu du lac, et j'ai porté ma main en visière pour observer le vol gracieux des mouettes.
-Je vais rentrer. A-t-elle suggéré.
Je n'ai rien répondu. J'ai songé à Joey et c'était comme si Françoise était déjà partie. Et j'aurais dû éprouver du remord. Elle me regardait de ses yeux un peu fatigués, et bleus et j'aurais dû la retenir. Faire preuve d'humanité... Elle a esquissé un geste de la main puis s'en est retournée vers sa vie sans moi, au côté d'un homme qu'elle n'aimait pas vraiment. Je n'ai pas bougé.
J'ai pénétré dans la touffeur huileuse d'une taverne Billy Goat en songeant à Joey. Puis me suis installé contre le mur, et j'ai commandé un Burger. J'avais éclipsé le souvenir de Françoise, déjà, et je me sentais bien. Et j'étais détestable.
Comme convenu, Joey m'attendait devant la Camry. J'avais laissé la voiture dans un parking public sur North Rush Street. Quand je suis arrivé à sa hauteur, Joey a voulu m'embrasser et j'ai détourné la tête.
-Partons...
Yes it is !
· Il y a presque 12 ans ·smilling-cocoon
Merci Corinne. Je prends note de ce que vous me dites.
· Il y a presque 12 ans ·saul-t-river
Atmosphère lourde de non dits...Je te suis.Peut-être pourrais tu m'envoyer tes textes par le biais de partager en bas du texte, ça éviterait que je manque la suite.Merci.
· Il y a presque 12 ans ·corinne-antorel
Je vous remercie.
· Il y a presque 12 ans ·saul-t-river