Frissons

Jean Marc Kerviche

L'amour des chats...


Un vieil homme, un cabas au bout de chaque main sort d'une épicerie du village en faisant tinter le carillon de la porte d'entrée. Il s'en va, marchant péniblement seul sur le chemin vers son logis. Les rues sont désertes. Il ne rencontre personne.


Il déambule le regard absent, la tête penchée vers le sol afin de s'assurer que rien ne risque d'entraver son déplacement et le faire tomber. Il continue toujours à la même allure, précautionneusement, à petits pas, s'éloignant peu à peu du centre du village, puis il s'engage dans une ruelle mal carrossée.


On a dans l'idée qu'il se dirige vers la campagne, mais soudain il oblique sur sa droite pour se diriger vers une dernière demeure isolée au bout d'une allée herbeuse, une masure aux volets rafistolés tant bien que mal avec du fil de fer et quelques pointes.


Le vieillard entre sa clé dans la serrure, la tourne par trois fois et ouvre finalement la porte non sans difficulté.


Il disparait dans un couloir obscur et on l'entend refermer soigneusement la porte derrière lui.


Il pénètre alors dans une pièce à vivre, mi cuisine, mi salle à manger. Immédiatement, le vieil homme se retrouve entouré de chats qui sortent de toute part, se frottent à lui, l'empêchent presque d'avancer tant ils se mettent dans ses jambes, mais il les traite avec douceur et amour, ne les bouscule pas et les appelle par leurs noms. Il ouvre ses sacs et sort des paquets de croquettes et des boites de conserves, Ronron, Whiskas, Sheba et autres marques du même genre. Il prépare les gamelles devant lui et dépose de larges cuillerées dans chacune d'elles, puis il dispose ces dernières dans différents endroits de la pièce pour que chacun de ses chats ne soit pas dérangé par ses congénères. Plus loin, deux chats ne peuvent se mouvoir. Ils demeurent allongés sur des coussins à même le sol.  Il leur place également de quoi se sustenter devant eux pour que ceux-ci n'aient pas à se déplacer, puis il les caresse longuement en leur parlant comme à des bébés.


On le voit revenir ensuite vers sa cuisinière pour verser ce qui reste d'une boite dans une assiette.


On réalise d'un coup avec pitié qu'il se prépare également pour lui une portion de nourriture pour chat. Mais, il se lève et ouvre une autre porte derrière laquelle apparait un autre couloir. Il quitte la pièce avec l'assiette à la main et se dirige vers un escalier qui descend à la cave.


Il l'emprunte avec précaution toujours l'assiette à la main et arrive dans un sous-sol mal éclairé.


Il allume une chandelle sur un bougeoir et ouvre une autre porte fermée à clé, puis il passe la porte et continue sa progression.


On se dit qu'il doit y avoir d'autres chats dans ce sous-sol.


Il traverse la pièce puis pose le bougeoir sur un meuble. La flamme de la bougie vacille à la limite de s'éteindre et il est handicapé par le peu d'éclairage, mais il parvint tout de même à ouvrir une autre porte munie d'un cadenas à l'extérieur. Il reprend l'assiette et le bougeoir, et entre la tête basse et le dos courbé sous un sous-bassement tout en longueur où nulle lumière du jour ne pénètre.


Sur sa droite, apparaissent éclairées par la flamme de la bougie des portes de cave en bois brut. Il avance jusqu'à la dernière et pose l'assiette au sol devant la porte close.


On imagine qu'un chat ou que la tête d'une bête maléfique va sortir dans l'espace entre le bas de la porte et le sol.


Apparaît alors une main sèche, blanche, tachée, ridée, décharnée, munie d'une alliance qui s'empare de l'assiette et la fait disparaitre.


Sans un mot, le vieil homme s'en retourne, emmenant avec lui la lumière.


Il passe la porte et referme derrière lui à clé.

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