Fugue

cheetah

Elle n'est pas en ré-mineur ou de mineure incomprise et boutonneuse. Deux parents les pieds sur terre mais l'esprit ailleurs, entendant bien profiter de leur jeunesse, de la dentition encore naissante de leur bout-d'chou. Voyager, découvrir le monde, laisser pour quelques mois ou quelques années de côté le matérialisme qui les caractérisait pourtant. Fuguer c'est quitter avec un espoir de retour, fuir ce serait plus définitif, plus brutal, impardonnable en soi. La famille et les amis ont versé quelques larmes, pas trop heureusement pour nos petits coeurs mais assez pour nous faire comprendre qu'on compte. Qu'ils ne s'en fassent pas, nos valises ne seront jamais totalement défaites là-bas, la France restera à jamais notre terre. Nos racines et nos gènes ancrés dans ce sol de graves de la région bordelaise, cet air marin piqué de senteurs de pin et de bruyère. Je vous fait la promesse solennelle et ridicule à la fois de continuer à cuisiner. De chercher par monts et par vaux le pignon de pin, le magret ou le foie de canard. J'irai jusqu'à lui farcir la gorge de grains de maïs moi-même à la basse-cour locale c'est pour dire! Produits de la mer et légumes ne devraient pas manquer, pour la viande on verra bien. Côté épices ce sera un régal, on se rapproche tout de même de la plus grande métropole à diaspora asiatique (34% des habitants de la région autour de Vancouver) du continent nord-américain. Mettre sur pied en territoire canadien une nouvelle aventure à trois, construire à partir de quasiment rien quelque chose qui on l'espère sera assez solide pour tenir les douze mois de notre visa. Élaborer des plans, vivre local, se faire des amis, faire en sorte que les deux femmes qui m'accompagnent en repartent bilingues ou tout du moins qu'elles le comprennent (oui Chiara je parle de toi, là). De mon père, j'aurai hérité cet amour des livres, de Mark Twain à Paul Auster. Bon, Papa, je te l'avoue, je n'irai pas faire mon Jeremiah Johnson au fond des bois ni Jack London dans le yukon (Oh tiens, une rime pauvre!). Trappeur très peu pour ma pomme - allitération involontaire mais ô combien postillonnante; mais guide d'un jour ou d'un mois pour touristes en mal de sapins se reflétant dans des lacs noirs pourquoi pas. C'est donc la fleur au fusil que je me dirige au-delà des eaux tumultueuses de l'Atlantique, vers un océan que je ne vais pas tarder à côtoyer, un Pacifique dont on m'a dit tant de merveilles. Ses eaux glacées vont border nos nuits, bercer nos balades et chatouiller notre curiosité, ça va sans dire. Qui dirait non à une promenade en kayak de mer aux côtés des orques? Bref, tels des Livingstone des temps modernes, nous nous en allons, balluchons d'ogre sur l'épaule, explorer le Nouveau Monde.
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