Fuir

awne

Un cri du coeur.

Fuir. Partir loin du monde qui m'entoure et me ronge. Quitter cet endroit empli de moqueries et de médisances. M'enfuir de la réalité.

Je traverse les routes, parcours les forêts. Je m'en vais, loin de chez moi. Loin des faux et des mirages qu'on me fait miroiter depuis mon enfance. Marre d'apercevoir des lâches lécher les bottes des plus riches pour sortir de la misère. Ras le bol de voir des faux-culs critiquer une multitude de gens pour leur faire des câlins après.

Je veux être loin de tout ça. Dans un environnement sain où le bonheur ne se caractérise pas avec des billets verts ou des connaissances bien placées dans l'échelon social défini sur des critères dégradants. J'aimerais juste trouver quelque chose ou quelqu'un sur cette planète qui n'est pas comme ça.

Ma fugue m'a mené dans des endroits reculés que personne ne semble connaître. Comme si j'étais arrivée aux confins du monde. Ou bien que je me trouvais dans un lieu stérilisé de toute bassesse humaine. J'observe les plaines qui s'étendent face à moi du haut de mon mètre soixante. C'est majestueux. Ces champs regorgeant de fleurs aux infinies variations de couleurs me procurent des frissons de toute part. Telle une enfant insouciante et bien loin de la réalité du monde, je me mets à courir parmi les coquelicots, les dahlias et les fushias. La nature et moi ne faisons qu'un. Plus rien de ce qui existe ici bas n'a de sens dorénavant. Il n'y a plus que moi, ces parterres de fleurs, et la quiétude harmonieuse des lieux. Grisée par cette communion avec Dame Nature, je me mets à faire des choses invraisemblables : adieu horribles tissus nés de la conception d'inepties de la société, bonjour peau de bébé. Je déambule, nue comme si je sortais du ventre de ma mère parmi les végétaux tout aussi nus et découverts que moi. A bout de souffle par ma course avec le zéphyr, je m'étends dans l'herbe bien verte et tendre qui chatouille gracieusement la peau ambrée de mon corps. Je me mets à rêver d'une vie insouciante au côté du berceau de l'humanité qui m'a accueilli à bras ouverts, la fille perdue que j'étais.

Mes cheveux blonds se mêlent au blé alentours. On ne parvient plus à me discerner de la nature. Je reprends mon petit bout de chemin parmi les fleurs aux couleurs arc-en-ciel. Je distingue quelques abeilles, virevoltant de ça de là, butinant à droite et à gauche avant de repartir dans leur foyer sur le grand chêne pour y produire leur succulent miel. Des grillons surgissent de nulle part et crissent tout autour de moi, accompagnés bientôt par les sauterelles et leurs bonds. Je continue ma marche, m'enfonçant de plus en plus dans cette immense verdure, loin de tous les problèmes du monde réel.

Mon parcours m'emmène devant l'orée d'un bois de pins. Je ne sais si y entrer dedans est une bonne idée, surtout dans l'état dans lequel je suis. J'hésite une, puis deux secondes. Je m'apprête à rebrousser chemin lorsqu'un petit murmure se fait entendre. Je me retourne, vive et alerte et demeure là, surprise. Un feu-follet. Juste sous mes yeux. La minuscule boule de gaz bleutée se met à bouger vivement et s'enfuit. Seul l'écho de son murmure reste présent devant cette entrée où je me tiens. Désormais intriguée et curieuse, je pénètre dans la forêt sombre où seule la lumière parvient à entrer grâce aux quelques raies entres les branchages.

J'avance indécise, sur plusieurs mètres. A bout de souffle, en nage et définitivement perdue, je me pose sur un tronc abattu par terre. J'observe les alentours, le souffle coupé. Jusque là, je n'avais pas vraiment pris attention au décor, tant j'étais obsédée à trouver le feu-follet. Mais là…

Tout était majestueux. Entre les pins aux multiples senteurs, les fleurs des bois qui semblaient lécher mes pieds et les yeux rieurs des écureuils, je me trouvais dans un cadre exceptionnel. Je décide d'avancer, moins apeurée par l'environnement que tout à l'heure. Je me concentre sur les bruits et la voix de la nature. C'est alors que de doux sons s'offrent à moi : le bruissement des feuilles, le murmure du vent s'engouffrant dans les creux de l'arbre, les cris des divers animaux arpentant les lieux, le bruit de l'herbe sur lequel on met ses pieds, le craquement des branches, le doux clapotis de l'eau…

Je rouvre mes yeux. Le doux clapotis de l'eau. Je me trouvais près d'un point d'eau. J'accélère le pas et débarque dans ce qui me semblait être un nouveau lieu : l'atmosphère y était encore plus exquise que précédemment. Le chant des oiseaux et le susurrement des feuillages se mêlaient avec allégresse aux gouttes d'eau qui s'échappait des rochers pour s'épandre dans la terre. Je m'approche de la rivière  afin d'étancher ma soif. J'attrape l'eau dans mes mains, et l'approche de mes lèvres. Elles l'humectent avant d'apprécier la fraîcheur de l'élément. Je me délecte de cette eau de source si pure et si revigorante. Alors que je me relève, désaltérée et prête à poursuivre mon périple dans l'inconnu, un souffle chaud passe par-dessus mon épaule. Surprise, je ne sais si je dois me retourner lentement ou rapidement. J'opte pour la deuxième solution et tombe nez à nez avec un cerf. Curieuse du comportement peu craintif de l'animal, j'approche ma main droite de son naseau. Le cerf au pelage d'or recule de quelques pas puis, avance de nouveau vers moi et met son naseau dans ma paume. Je lui caresse longuement son nez d'où s'échappe des petites volutes d'air puis remonte tout doucement mes caresses jusque sur le haut de sa tête. Le cervidé semble apprécier ma petite gâterie car, en signe de reconnaissance, il se tourne et me montre l'un de ses flancs. Déstabilisée, je comprends au bout d'un moment de réflexion qu'il m'invite à monter. Je m'exécute en lui faisant un signe de tête pour le remercier et l'enfourche, non sans mal vu ma tenue inexistante.

De la verdure à perte de vue. J'ai la sensation de courir après le temps, de le défier, lui dont j'oublie petit à petit l'existence au fur et à mesure de mon périple fantaisiste. Sur l'animal légendaire, je parcours monts et vallées intouchées de la race humaine. Il me semble perdre mes repères. L'espace, le temps, la vie moderne, tout s'échappe des nimbes de mon esprit pour s'envoler dans le lointain tels des feuilles mornes aux couleurs chatoyantes. Le cerf et moi continuons notre course sans jamais nous arrêter : j'ai l'impression de franchir les recoins de l'Univers sur son dos au pelage si changeant. D'abord or, il est ensuite devenu argent pour terminer bronze et redevenir or. Cet animal aux cornes si longues est infatigable : jamais il ne faiblit et s'arrête.

Pourtant, il arrive un moment où il stoppe net sa course et me fait glisser de son dos. Je m'exécute, songeuse : que veut-il donc me montrer ? Je crois apercevoir un sourire sur ses lèvres ainsi qu'un clignement d'yeux. Je lui fais une petite courbette et, après mon geste, il se cabre et repart comme une furie. Je suis désormais seule dans un endroit qui m'est encore plus inconnu qu'auparavant.

Je commence à avancer le long du sentier de graviers aux tons grisâtres. Mes pieds caressent les feuilles craquelées ce qui me procure d'innombrables frissons. Toutefois, au bout d'un moment, des orties se dressent devant moi et il m'est impossible de poursuivre ma route hors du chemin initial. Je m'aventure donc sur les gravats qui m'écorchent et font saigner mes pieds endoloris. Malgré de vives douleurs, je continue, certaine que ce qui m'attend au bout de ce calvaire le méritera amplement.

Sans relâche, je marche. Ne pas faire de pauses. Surtout pas. Cela sera bien plus douloureux si tu ne t'arrêtes ne serait-ce qu'un seul instant. Je vois le bout. La fin du cauchemar. Je presse le pas, euphorique à l'idée d'en terminer avec tout ça. Mais un autre caprice du destin se dresse devant moi : la route se sépare en trois morceaux. Un d'eux demeure lumineux, un second légèrement ombragé pour terminer sur le dernier à peine visible tant il est caché. J'hésite un instant puis décide finalement d'entrer dans celui qui paraît le plus dangereux mais qui est tout aussi vulnérable que les autres.

Il est constellé de boue, de feuilles mortes, d'épines et de hululements lointains. Je prends mon courage à deux mains et m'y enfonce dedans, me persuadant que tout ceci n'est que dans ma tête.

L'ascension me paraît durer des heures et la peine qu'elle inflige infatigable : mes plantes de pied ne cessent de crier de douleur tant elles sont déchiquetées par les ronces étalées sur la boue qui me fait tanguer dangereusement. Un mal de tête s'immisce aussi en moi dû aux bruits incessants et lourds de l'endroit mais aussi à cette sensation qu'un pivert tape sur ma tête. Mes jambes sont engourdies et mon ventre crie famine. Je suis à deux doigts d'abandonner, de finir à terre, réduite en charpie par les ronces et toutes les épreuves de ce lieu, agonisante dans d'atroces souffrances. Alors que l'espoir m'abandonne et commence habilement à disparaître de ma pensée une inattendue apparition s'offre à mes yeux mi-clos : un feu-follet. Je me redresse telle un suricate aux aguets et me met martel en tête de le suivre. Celui-ci remue, bouge de quelques mètres et bondit d'un seul coup, pour ensuite ralentir la cadence et accélérer de nouveau. Son rythme est irrégulier, saccadé. Je le suis du mieux que je peux priant pour qu'il me sauve de ce cauchemar et de la douleur qu'il me procure.

Là. D'un coup il stoppe net, fait du surplace, lâche un son plaintif et disparaît dans l'abîme. Je suis seule. Dans les ténèbres.

J'avance à tâtons, flirtant avec l'obscurité et le houx qui achève en beauté mes pieds déjà éreintés. Quand soudain, je la vois : la lumière. Le bout d'espoir qu'il me reste et me convainc de ne pas abandonner si près de mon but. Haletante, au bout de toute force physique possible ou imaginable, je tente de m'accrocher à cette mince raie d'éclat qui joue avec l'ombre à cache-cache. Je ne m'arrête pas, ne me retourne pas : je suis simplement le halo que je voie, en priant pour qu'il ne soit pas un mirage, un simple démon de mon esprit lézardé par toutes ses péripéties dantesques.

Un rayon. Un flash. Un éblouissement.

Mes yeux pleurent à ce contact si abrupt. Eux qui se voyaient déjà finir le restant de leurs jours dans cette immondice de ténèbres. Je compte plusieurs fois, j'égrène les minutes. Mes pupilles reprennent contenance, elles se réhabituent à la lumière. Et aux couleurs. Tout n'est qu'explosion de couleurs dans cet endroit. C'est comme si un arc-en-ciel avait implosé alors qu'il passait par là. Du bleu, du vert, du rouge, du jaune, du rose, du violet. Que des teintes pétillantes donnant goût à la vie. On se croirait dans l'irréel. Ou dans le pays des merveilles.

Oui, c'est ça, je suis au pays des merveilles, là où la folie amuse et ne tue pas. Loin de toute l'horreur humaine, dans l'absurdité, je suis. J'entre dans ces lieux méconnaissables et perçoit une cascade surplombant mon champ de vision qui vient tomber à mes pieds dans un lac accueillant une faune aux écailles dorées. Je m'y invite en toute aise et savoure l'eau si pure dans mes pieds. C'est si bon.

Je m'allonge dans cette eau peu profonde, et me laisse emporter par le courant. Je dérive dans la dérive de mon esprit. Je reste là, une heure, deux heures, six heures, peut-être plus même. Je sombre dans un implacable sommeil, loin de toutes les misères du monde. Dans une rêverie somme toute magique. J'aimerais ne pas m'en défaire et vivre à jamais dans ce rêve…

« Le monde est à nous, il suffit de le prendre !* »

J'ouvre les yeux. Un doux tissu m'enveloppe. Je me courbe. Il est six heures. L'heure d'aller au combat dans ce monde de fou. J'aurais tellement aimé que cela ne soit pas qu'un doux songe…

*Citation tirée du dessin animé La Belle et le Clochard de Walt Disney.
© Awne, 2016.
Image trouvée sur le site We Heart It.
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