Fuite des sens

David Charlier

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— On a retrouvé Lecorbier ! Dans le même état que les autres !

Le cri résonnait en longs rouleaux dans les couloirs jusqu’au bureau de Stéphane Roche qui se leva d’un bond pour ouvrir la porte et stopper son équipier d’un geste. Franck Tournus était bouleversé. Depuis trois semaines que l’enquête leur avait été confiée, les deux flics n’avaient pas eu d’avancées réelles.

Ils ne parvenaient pas à comprendre pourquoi des hommes étaient enlevés, disparaissaient pendant trois à quatre jours, puis réapparaissaient mystérieusement les neurones à plat. Chacun d’entre eux ressemblait à un légume lobotomisé et les enquêteurs ne voulaient même pas imaginer les traitements qu’ils avaient subis. Même la victimologie leur échappait. D’abord un œnologue réputé, puis un critique gastronomique, avant que ce soit un cambrioleur bien connu de leurs services. Ludovic Lecorbier, un sniper des commandos de marine était le dernier en date. Franck expliqua qu’on venait de le retrouver dans le parc Georges Brassens, au bord du 15ème arrondissement.

— Calme-toi, Franck ! lui intima Roche. Laisse-moi une minute, on y va ! Où l’ont-ils emmené ?

— A la Clinique Montsouris, c’est la plus près des lieux et aussi ce qu’il y a de plus adapté pour le moment. J’ai eu le psy de permanence au téléphone, il nous attend.

En rejoignant leur véhicule, Roche se souvint des circonstances dans lesquelles cette affaire avait échoué sur leur bureau. Fraîchement promu Capitaine, sa hiérarchie lui avait confié le cas du kidnapping de Gilles De Richet pour inaugurer son poste. L’homme, « nez » réputé dans le milieu des professionnels du vin avait disparu après avoir assisté à une comédie dans la capitale. Des témoins avaient évoqué un fourgon de couleur blanche qui s’était approché rapidement de lui à la sortie du théâtre. Un homme cagoulé en était sorti et avait menacé De Richet d’une arme pour qu’il monte à l’arrière du véhicule. Après trois jours de vaines recherches, il était réapparu sur le parvis de Notre-Dame, une écume blanche aux lèvres, les yeux dans le vague. Roche n’avait rien pu tirer de lui lors de l’interrogatoire. Devenu apathique et délirant par phases successives, l’œnologue n’avait toujours pas prononcé une phrase cohérente. Il végétait depuis dans un asile, sous la surveillance de psys pour qui son cas restait un mystère. Le flic pensait à un cas isolé quand la nouvelle d’un deuxième enlèvement dans des circonstances similaires lui était parvenue. Depuis, il avait assisté, impuissant, à deux autres retours de victimes transformées en zombis. Et aujourd’hui, un quatrième homme l’attendait dans une chambre impersonnelle d’hôpital. Un miracle qu’ils aient pu trouver un lien entre ces affaires dans le fichier de recensement des crimes.

Ils arrivaient aux portes de l’établissement, élégant et de facture récente. Les sirènes qui vrillaient l’air autour de leur Renault leur firent gagner du temps quand il fallut trouver un endroit où se garer. Quelques minutes plus tard, ils étaient introduits dans le bureau cossu du Docteur Béranger qui s’était occupé de Lecorbier. Le psy était un homme qui transpirait la sympathie, la passion pour son job et la compétence. Derrière le quarantenaire, grand et souriant, Roche devina le sportif accompli sous la poignée de main qu’il reçut. Il les invita à s’installer dans deux fauteuils en cuir en face de son bureau.

— Merci de nous recevoir, Docteur. Je suis le Capitaine Roche, et voici le Lieutenant Tournus que vous avez eu au téléphone tout à l’heure. Comment va Monsieur Lecorbier ?

— Physiquement, ça va. Très bien même… Mais on ne peut pas en dire autant psychologiquement. Franchement, je ne sais pas ce qu’il a subi mais il est entièrement détruit. La dernière fois que j’ai vu quelque chose dans le genre, c’était sur le front Tchétchène quand j’étais médecin à l’armée. Je ne peux même pas me prononcer sur un retour à la normale, mais je n’ai guère d’espoir pour une rémission rapide.

— Il comprend ce qu’on lui dit, au moins ?

— Même pas. Il reste prostré dans un coin et hurle dès qu’on s’approche de lui, qu’il entende un bruit ou que la lumière de la chambre s’allume. Venez avec moi. Le plus simple, c’est que vous le voyiez par vous-même.

Instantanément, il se leva et guida les hommes à travers l’hôpital jusqu’à une aile réservée aux cas les plus difficiles, dans les sous-sols de l’immeuble. A leur arrivée, un vigile quitta sa chaise, prêt à bondir, mais se détendit quand il reconnut Béranger. Après que ce dernier lui ait donné le numéro de chambre, le garde s’empara d’un trousseau de clés et les précéda à travers une série de portes blindées. Tournus ne cacha pas son malaise.

— Vous l’enfermez comme s’il venait de tuer une famille à mains nues ?

— Par précaution uniquement, répondit le psy d’une voix neutre. A l’heure actuelle, l’ensemble des examens n'est pas terminé et on ne sait pas de quoi il est capable. Il est possible qu’il soit dangereux pour lui comme pour les autres. Dans le doute, je préfère le protéger.

Le garde bifurqua dans un couloir et s’arrêta devant une porte semblable à celle d’une cellule de prison. Il fit jouer la serrure d’un tour de clé et s’effaça pour les laisser entrer. La pièce était capitonnée et ne comportait aucune fenêtre sur l’extérieur. Une forme se tenait recroquevillée dans un angle en se balançant lentement d’avant en arrière. Lecorbier n’avait plus rien à voir avec l’homme souriant et déterminé que les deux flics avaient vu sur les photos du dossier. Quand il aperçut les trois hommes qui pénétraient dans son antre, il se renfonça un peu plus dans le coin, se mit à hurler comme un animal aux abois et se frappa vigoureusement le crâne à coups de poings. Aussitôt, le vigile bouscula Roche et Tournus pour le maitriser pendant que deux infirmiers arrivaient en brandissant une seringue. Après une piqure de tranquillisants, l’homme se relâcha jusqu’à s’affaler contre le capitonnage, les yeux mouillés de larmes. Même s’ils avaient été avertis, Roche et Tournus étaient sous le choc. Lecorbier était encore dans un plus triste état que les premières victimes. Tournus soupira longuement avant de rompre le silence qui s’était installé.

— Celui qui est derrière ça a amélioré sa technique. Regarde comment il l’a arrangé, il est encore plus irrécupérable que les trois premiers.

— Oui, et quelque chose me dit qu’il ne va pas en rester là. En attendant, on ne sera pas vraiment utiles ici. On s’arrache !

— Attendez ! les retint Béranger.

Les deux hommes se retournèrent pour regarder le docteur d’un air las. Nullement décontenancé, ce dernier les prit par l’épaule pour les ramener dans le couloir. Il dépassa le vigile qui refermait déjà la porte blindée et se planta face à eux, sous la lumière vive d’une ampoule nue.

— J’en sais pas plus que ce que j’ai vu dans cette chambre sur le dingue qui a fait ça. Et je suis convaincu qu’il aurait plus sa place ici que ce pauvre gars. Je vous ai entendu parler d’autres victimes tout à l’heure. Pour en arriver à un résultat comme celui-ci, il faut des connaissances en psychiatrie que je suis loin de revendiquer. Celui que vous recherchez a trouvé un protocole scientifique que je ne connais pas. Peut-être n’en a-t-il même pas lui-même conscience. Quoiqu’il en soit, je pense que je connais quelqu’un qui peut vous aider à y voir plus clair.

— Qui ça ? demanda Roche.

— Mon ancien professeur, lorsque j’étais étudiant : Louis Ferrière. C’est une sommité dans le milieu et je suis presque persuadé qu’il pourra comprendre ce qui s’est passé. Et peut-être même sauver ces victimes. Mais je m’avance peut-être et c’est lui qui vous le confirmera. Venez avec moi dans mon bureau, je vais vous donner ses coordonnées.

— Ok ! Après tout, on n’a rien à perdre à le consulter trancha le flic.

Une heure plus tard, ils étaient de retour au bureau, avec un rendez-vous  programmé en début de soirée avec le psy. Au téléphone, il s’était montré affable et agréable. Il leur avait  avoué que sa retraite récente lui pesait et que collaborer avec la police serait une distraction particulièrement bienvenue, en plus d’être un honneur. Pour tromper l’attente, ils reprirent le dossier et passèrent quelques coups de fil pour faire le point avec leurs équipiers dépêchés un peu partout dans Paris. Aucune piste sérieuse ne se profilait à l’horizon en dehors d’une image fugitive et floue du van utilisé pour les enlèvements. Elle provenait d’une caméra de surveillance braquée sur le parking d’un loueur de voitures. On apercevait à un moment le véhicule du suspect qui passait dans la rue attenante. La bande était partie pour analyses plus approfondies, leur expliqua Deuzo qui s’en était occupé, mais sans réel espoir d’en tirer quoi que ce soit, avait-il ajouté avant de raccrocher. Roche soupira après le dernier coup de fil.

— Et voilà, lâcha-t-il. Il n’y a plus qu’à prier et attendre.

— Pas dit... Peut-être que Ferrière va nous en apprendre un peu plus.

— Je ne veux pas mettre à mal la foi de Béranger pour son ancien prof, Franck, mais pour le moment je ne vois pas en quoi il peut nous aider. Le mec qu’on cherche est tellement tordu qu’il doit forcément sortir du cadre habituel de ses cours.

— Va savoir… En attendant, ça te branche de sortir manger un morceau avant d’aller au rencard ? On a encore une bonne heure et demie à tuer, ajouta-t-il en regardant sa montre.

— Ok, ça marche ! Et puis, sortir un peu de ce placard me changera les idées. On bouge chez Marcel se taper une bavette !

Un quart d’heure plus tard, ils savouraient leur plat tout en vidant une bière. Tournus finissait la sienne quand il repoussa soudain l’assiette et se pencha sur la table.

— Bon, alors Capitaine… C’est quoi ton sentiment sur l’affaire ?

Roche fit la moue et posa ses couverts en fixant Tournus dans les yeux. Après deux secondes de silence, il haussa les épaules, but une gorgée et lui répondit avec ironie.

— Tu décroches jamais du boulot, toi ?

— Tu préfères que l’on parle de la mère de Florence ?

Le coup était bas. Tout le monde dans la brigade connaissait les rapports très tendus entre Stéphane et sa belle-mère. Et bien entendu, son coéquipier en savait forcément plus. Le prédécesseur de Tournus, qui était aussi le supérieur du tout nouveau Capitaine, l’avait déjà averti sur les dangers que provoquait leur métier sur les rapports familiaux. Roche ne l’avait avoué à personne, mais il était passé quelques fois tout près du divorce avec sa femme. Il n’était plus si convaincu de parvenir à finir sa carrière à la PJ. Même ses débuts dans une caserne de CRS lui paraissaient plus faciles. Ces pensées lui parurent soudain désagréables et il en voulut à Franck de les avoir incitées. Il posa son verre dans un bruit sec et se pencha à son tour en direction de Tournus, un rictus aux lèvres.

— Je vais te dire, Franck… Tu es un bel emmerdeur, trop curieux pour être franc, et si tu veux durer dans ce boulot, je te conseille de mieux choisir tes sujets de conversation avec ton supérieur.

— Mais, je déconnais juste… Excuse-moi…

L’air embarrassé du jeune flic le fit éclater de rire. Il lui donna une bourrade et se redressa, fier de son effet.

— Laisse tomber! Je suis chatouilleux sur le sujet, mais pas au point de péter une durite à chaque fois qu’on m’en parle. Je voulais te titiller un peu. Non, plus sérieusement, ajouta-t-il en effaçant son sourire, quelque chose me chiffonne dans cette affaire.

— Quoi donc ?

— Je ne vois pas où et comment il choisit ses victimes. J’ai chargé Deuzo d’interroger tous leurs proches pour connaitre leurs habitudes, savoir où ils sortent, où ils mangent, où ils vont faire du sport. Je lui ai demandé de tout m’éplucher : leurs relevés de compte, leurs cartes de fidélité… Et rien ! On n’a aucun lieu de passage en commun. A peine ont-ils un jour pissé dans les mêmes chiottes…

— Quelque chose a dû nous échapper, je pense. Ils ont forcément un point commun, je ne vois pas autrement. Ou alors, ce serait l’un des rares à ne pas entrer dans le cadre d’une victimologie classique.

— Et c’est là qu’est le problème. Je tourne et retourne tout ça en rond dans ma tête depuis des jours.

Les méninges en ébullition, ils finirent de manger en silence et quittèrent le restaurant en toute hâte pour regagner leur voiture. Il était temps pour eux d’emprunter le périph’ pour rejoindre les banlieues chics de Paris et la maison du professeur Ferrière. La circulation était fluide, et ils arrivèrent sans encombres jusqu’au domaine du psychiatre. Cossue et majestueuse, l’habitation aux façades de pierre datait du XIXème, apprécia Roche. Une grille en fer forgé en protégeait l’accès. Après s’être présentés à l’interphone, elle s’écarta dans un feulement discret. Les jardins étaient entretenus avec soin et ils aperçurent, en remontant l’allée menant au perron, une Jaguar flambant neuve devant la porte d’un garage.

— Il est plein aux as, remarqua Tournus. Quand tu vois ça, tu te dis que tu as loupé ta vocation en devenant fonctionnaire.

— C’est clair. Béranger me disait tout à l’heure qu’il a écrit plusieurs bouquins et qu’il intervenait régulièrement à la télé dans le passé. Ajoute à ça les cours et surtout la notoriété qu’il a acquise auprès des people et tu comprends mieux…

— Les people ?

— Oui… Apparemment, il y a plus de vingt ans en arrière, il s’est occupé avec succès d’un chanteur à la mode qui n’arrivait pas à surmonter les bobos de la vie et le type a donné le mot à tout le monde. Les consultations se sont alors enchaînées pour le prof. Et puis, tu sais, même les VIP peuvent faire une dépression.

— Oui, d’accord… Mais comment se fait-il que son nom ne nous dise rien dans ce cas ?

— De ce que j’en sais, avant d’être en retraite, il travaillait à l’étranger. Et aussi tout simplement parce que ses patients veulent rester discrets. Tu imagines le politique en vue faire un discours optimiste en pleine crise et aller en thérapie juste après pour sa déprime ? Si les gens voyaient ça, la crédibilité du type tomberait à plat. Et puis, bien souvent, on ne retient pas les noms des médecins qui les soignent lorsqu’ils partent en désintox ou après un pétage de plombs.

— Mouais, tu n’as peut-être pas tort, conclut Tournus. C’est lui, là ?

Il désignait d’un signe de la tête un homme planté sur le seuil de la maison et qui leur indiquait de la main une place libre pour garer leur voiture. Il se tenait voûté par le poids des ans tout en réussissant le défi difficile de garder sa dignité d’antan. Tout en lui respirait la détermination et le dynamisme. Ses yeux brillaient d’une vivacité d’esprit que son apparence démentait. En coupant le moteur, Roche se remémora le respect qui perçait dans les propos de Béranger quand il avait évoqué son mentor.

— Oui, ce doit être lui, répondit-il enfin à son adjoint. Dépêche-toi de sortir, il nous attend.

Ils gravirent rapidement les marches pour rejoindre le vieil homme. Celui-ci les toisa des pieds à la tête, mais sans animosité particulière. Ils se présentèrent rapidement. Sa voix était chaude et empreinte de sagesse.

— Bonsoir Messieurs. Je suis le Professeur Ferrière. Béranger m’a appelé tout à l’heure et m’a parlé de vous et de votre affaire. J’ai aussi reçu le dossier que vous m’avez fait parvenir, ajouta-t-il en brandissant une fine chemise rouge. Et je peux vous dire déjà plusieurs choses. Mais entrez, je manque à tous mes devoirs. De plus, à mon âge, et avec les artères que j’ai, on a tout de suite plus froid que des jeunes hommes comme vous.

Sans les laisser ajouter quoi que ce soit, il avait déjà disparu dans l'ouverture et abandonné son manteau sur un guéridon quand ils firent leur entrée. Il les précéda dans une pièce de lecture à faire pâlir d’envie le Directeur de la Bibliothèque Nationale. Des rayonnages en bois précieux couraient sur toute la périphérie des murs, du sol au plafond. Ils étaient tous encombrés de livres anciens. Roche parcourut discrètement les tranches du regard : beaucoup de livres de psychologie, des romans classiques, d’autres plus contemporains, des essais de sociologie,… En se retournant, Ferrière l’interrompit dans son exploration.

— Pas mal, n’est-ce pas ? J’ai rassemblé ces volumes au cours de ma vie, et je peux vous garantir que nombre de mes confrères ou de mes anciens étudiants, comme Béranger, viennent encore de temps en temps consulter l’un d’entre eux. Vous voyez réunie ici la majeure partie des fondamentaux de ma discipline. Mais je bavarde et vous n’êtes pas venus pour ça.

— En effet, intervint Roche, soulagé de recentrer si vite la conversation sur l’objet de sa visite.

Les trois hommes s’installèrent dans des fauteuils en cuir qui encerclaient une table basse sur laquelle reposaient des verres et une carafe de scotch. Ferrière leur en servit une large rasade pendant que Roche lui exposait les grandes lignes des enlèvements et du mystère qui entourait le retour des victimes. Le professeur les surprit par son intense concentration pendant qu’il écoutait. Son visage fermé n’avait plus rien à voir avec celui plus décontracté qu’il leur avait offert en les accueillant. Le front plissé, les lèvres soudées et les yeux étrécis, Louis Ferrière était campé dans son fauteuil, le menton dans une main, son verre d’alcool dans l’autre. Lorsque Roche eut fini, il se redressa et contempla le plafond pensivement. Un silence pesant était tombé sur la pièce et les deux enquêteurs étaient impatients de connaître son avis. Ferrière soupira soudain et avala son whisky d’un trait avant de regarder gravement ses visiteurs.

— Ce que vous me dites là est incroyable, Capitaine. Et ça me rappelle étrangement les conséquences d’une expérience déjà menée dans le passé… Mais je ne suis pas sûr… Attendez !

Il se leva brusquement et farfouilla parmi les volumes, en sortant quelques-uns d’entre eux uns qu’il feuilleta rapidement avant de les reposer en jurant. Enfin, il laissa échapper une exclamation de triomphe et revint s’installer auprès d’eux.

— Voilà ! C’est ce que je cherchais ! L’un d’entre vous a-t-il déjà entendu parler de privations sensorielles ?

— Non, pas que je sache, répondit Tournus.

— Pour moi non plus, ajouta Roche. Il s’agit de quoi ?

— De tortures imaginées et mises au point par la CIA, au cours des années cinquante. Et Donald Hebb en a été le précurseur. Écoutez ça, dit-il en se penchant sur le livre. En 1951, six étudiants volontaires ont été conditionnés de telle sorte qu’on leur a supprimé autant que possible toute sollicitation sensorielle. Après quelques jours de ce régime, ils ont tous été victimes d’hallucinations et de régressions mentales. Le but était de trouver des tortures moins violentes que celles utilisées jusqu’alors. Il semble, dans ces conditions, que le cerveau à défaut de pouvoir assimiler des informations concrètes, faute de stimulations, ait été peu à peu submergé par ses propres productions spontanées pour leur imposer des visions. Plus récemment, un psychologue, Ian Robbins, a voulu retenter le tout, malgré les interdictions évidentes liées à l’éthique. Et le tout sous les caméras de la BBC. Les volontaires sont sortis éprouvés par l’épreuve et ne sont pas prêts de recommencer l’expérience. Et dernièrement, les prisonniers de Guantanamo auraient aussi subi des tortures dans le genre. Pas la peine de vous dire que la CIA n’a pas arrangé son image avec tout ça. Heureusement pour les victimes, le processus est réversible.

— Ce qui n’est pas le cas pour les miennes, intervint Stéphane. Depuis trois semaines que l’on a retrouvé le premier, aucune amélioration n’a été constatée.

— J’allais y venir… C’est ça qui est étonnant dans votre cas. A ma connaissance, et bien que les symptômes que m’a décrits Béranger soient similaires, je n’ai jamais entendu parler du caractère, disons, définitif que ces tortures ont eu sur l’esprit de ces malheureux.

Tournus se dandina d’impatience sur son fauteuil. Il avala sa boisson et reposa le verre sur la table basse.

— On a affaire à quoi, à votre avis ?

Le visage de Ferrière devint grave. L’atmosphère dans la pièce semblait avoir pris une densité considérable.

— A un génie de la psychiatrie, lâcha-t-il enfin. Vous recherchez un homme qui a réussi là où la CIA a tout juste ouvert les portes d’un domaine encore mal connu. Hebb aurait repoussé par la suite les limites de ses expérimentations en toute clandestinité mais à chaque fois le but qu’il poursuivait n’était pas le même que dans votre cas. Les Américains recherchaient des informations ou des aveux. Non, votre homme est dangereux, beaucoup plus dangereux…

— Plus dangereux ? Je ne comprends pas vraiment…

— Il recherche la destruction, pas du renseignement. D’après ce que vous m’avez raconté tout à l’heure et ce que j’ai lu dans votre dossier cet après-midi, je suis persuadé qu’il veut détruire toute parcelle de raison chez les gens qu’il enlève.

— Mais pourquoi ?

— ça, ce sera à vous de le découvrir quand vous mettrez la main dessus. Peut-être un traumatisme qu’il a lui-même subi, des pulsions longtemps refoulées et qui explosent aujourd’hui. Il y a forcément un déclencheur, un événement qui ouvert les vannes de sa folie.

— Vous êtes connu dans votre milieu. Vous voyez un nom qui pourrait correspondre ? Ou un début d’idée sur le personnage ?

— Pas immédiatement, non. Et pourtant, j’y ai réfléchi. Je vais passer plusieurs coups de fil demain matin auprès de mes collègues et de certains de mes anciens étudiants. Un homme comme celui-ci a dû se remarquer. Je pense qu’il doit être d’une intelligence supérieure, voire exceptionnelle. Mettre au point un plan pareil demande pas mal d’acquis en termes de stratégie. Il aimait sûrement remettre en cause les grands fondamentaux de la discipline, peut-être a-t-il même été rappelé à l’ordre à plusieurs reprises.

— Pour ma part, je juge qu’il doit avoir entre quarante et cinquante ans et qu’il doit être sportif, ajouta Roche. Pour neutraliser un commando dans la force de l’âge, il faut plutôt être aguerri aux techniques de combat. Ou avoir un complice…

— Je ne le pense pas, répondit Ferrière. Et vous non plus… Il est solitaire et croit remplir une mission ou réparer une injustice dont il se sent victime.

— Avec tout ça, et ce qu’il vous reviendrait après, vous devriez trouver un nom rapidement, ajouta Roche.

— Je l’espère, Capitaine.

— Moi aussi, Professeur… Moi aussi. Tenez-nous au courant, vous avez nos numéros.

Les deux flics prirent congé du vieil homme et refirent le trajet inverse sans un mot, chacun perdu dans ses pensées. Roche se disait qu’ils cherchaient une aiguille dans une meule de foin. La société actuelle et les maux en grand nombre de nos contemporains ne parvenaient plus à tous trouver une réponse parmi les milliers de psychiatres, psychologues et autres thérapeutes qui étaient disséminés sur le territoire. Trouver l’un d’entre eux au milieu de ce fouillis risquait de prendre énormément de temps ; trop de temps au regard du nombre de victimes et à la fréquence avec laquelle ce cinglé les renouvelait.

En empruntant le hall désert de son immeuble, Roche se prit à espérer tout de même. Le début de profil qu’ils avaient établi avec le professeur permettrait d’éliminer une bonne partie des noms sur la liste et de resserrer l’étau autour de leur suspect. Il prit l’ascenseur et soupira quand il vit l’heure tardive sur son téléphone portable. Florence et les gosses devaient être couchés depuis un moment. Épuisé et énervé par sa journée, il avait envie de boire un café et de fumer une cigarette. Pourtant, il dût remettre son projet à plus tard quand il sentit dès qu’il passa la porte que quelque chose n’allait pas. Il abandonna ses clés sur le guéridon qui ornait le couloir et le traversa à pas de loup, son arme dégainée. La porte fermée de la cuisine laissait filtrer une faible lueur par les interstices. Comme à l’exercice, il inspecta prudemment les autres pièces, se rassura en voyant les formes familières et apaisantes de ses enfants endormis sous les couettes, et frissonna quand il remarqua l’absence de sa femme dans leur lit.

Le sang lui battait aux tempes. Il revit en un instant les nombreuses scènes de crime qui avaient jalonné sa carrière et imagina le pire. L’appartement était silencieux et sombre. Il posa la main sur la poignée de la porte de cuisine, compta mentalement jusqu’à trois, l’ouvrit brutalement en pointant son Sig-Sauer à l’intérieur, et se figea sur place. Sa femme était assise contre l’îlot central de la pièce, une tasse de thé à la main qu’elle laissa s’échapper sur le sol quand il fit irruption. Florence le regardait comme s’il était le bourreau d’un film d’horreur et hurla d’effroi, avant de se ressaisir sous l’effet de la colère.

— Putain ! Mais t’es devenu malade ou quoi ? lui jeta-t-elle. J’ai bien cru que mon cœur allait s’arrêter.

— Crie pas comme ça, tu vas réveiller les gosses, répondit-il en rengainant son arme.

— Parce qu’en plus, tu voudrais que je reste stoïque ? Je me lève parce que j’arrive pas à dormir, à force d’attendre mon fantôme de mari et quand je décide de boire tranquillement une tisane pour me détendre, je manque de me faire tuer par le mari en question qui déboule comme un GI à une heure du matin.

— Excuse-moi, j’ai cru qu’il y avait un problème. C’est vrai aussi que j’aurais dû te prévenir que je rentrais tard. Je suis sur une enquête difficile en ce moment.

— Comme d’habitude, soupira-t-elle. Marre de vivre avec un flic.

Renfrognée, elle se leva pour attraper une éponge et ramasser les débris de la tasse ainsi que son contenu qui s’était répandu en une large flaque sur le lino. Roche aurait voulu la prendre par l’épaule pour la rassurer, comme à leurs débuts, mais il n’en eut pas le courage. Elle semblait lasse depuis plusieurs semaines, ce qu’elle lui faisait largement comprendre. Il se sentait vide et une déferlante de culpabilité le submergea quand il vit des larmes percer dans les yeux de Florence. En jetant les morceaux à la poubelle, le dos tourné pour ne pas affronter son regard, elle lui parla d’une voix blanche.

— Stéph’, je veux la vérité… Tu rentres de plus en plus tard, je te croise plus que je ne vis avec toi. Les enfants me demandent en permanence quand ils vont se coucher si tu viendras leur dire bonsoir…

— Flo, je…

— Non, laisse-moi parler ! le coupa-t-elle. J’en ai marre de vivre dans le doute et de me demander tout le temps ce que tu peux bien faire et le genre d’affaire qui te retient toutes les nuits. Tu as quelqu’un, c’est ça ?

Sans répondre, il s’affala sur un des tabourets de bar posés contre le marbre de l’îlot et se servit un verre d’eau qu’il avala d’une traite. La question et les peurs de sa femme le bouleversaient autant qu’elles le blessaient. De mémoire, il n’avait pas souvenir d’avoir été aussi amoureux d’une femme que Florence et n’imaginait pas une seconde entretenir une liaison comme nombre de ses collègues pouvaient le faire. Il prit conscience en regardant le visage ravagé de celle-ci qu’il avait délaissé sa famille pour pire qu’une vulgaire maîtresse. Son boulot représentait depuis des années l’une de ses priorités principales, sans qu’il ait remarqué la souffrance qu’il imposait à ses proches. Les yeux campés sur le fond du verre qu’il tenait enserré entre ses mains, il répondit d’un ton monocorde.

— Depuis plusieurs semaines, j’assiste impuissant à l’enlèvement de gens qui n’ont rien demandé à personne. Ils disparaissent de la circulation pendant quelques jours, puis réapparaissent mystérieusement. Complètement cinglés… Et je ne sais pas pourquoi… Quand le ministre secoue le cocotier et que mes chefs me convoquent pour savoir ce qu’ils doivent lui répondre, je ne sais plus quoi dire pour gagner du temps. Ce matin, je suis allé voir la dernière victime à la clinique. Il s’agissait d’un tireur d’élite de l’armée, un dur, un vrai. Et ce que j’ai vu est un légume qui hurle de terreur quand on l’approche et se pisse dessus si on allume la lumière. Et c’est comme ça depuis que je fais ce métier. Je ne dors pas la nuit quand je pense aux tueurs, aux violeurs et autres tarés qui rodent à la recherche d’une proie. Pour un que je coffre, dix autres courent encore. Ce soir, j’étais chez un professeur de psychiatrie à la retraite pour l’entendre me raconter des tortures qui valent bien celles que l’on pratiquait au Moyen-Âge. Alors oui, je suis peut-être absent en ce moment… Je broie du noir et des images pas très joyeuses me traversent la tête, sans aucun doute. Je suis peut-être pas le père et le mari qu’il faudrait que je sois, ou que tu voudrais avoir. Mais je sais une chose…

Il abandonna le verre, se leva et marcha doucement vers elle en plantant ses yeux dans les siens.

— Ce que j’ai ressenti la première fois que je t’ai vue est toujours aussi vivant en moi. Tu es plus qu’un point de repère ou un guide pour moi. Je bénis chaque matin la chance que j’ai de me réveiller à tes côtés, comme si je ne le méritais pas. Tu me demandes si j’ai quelqu’un d’autre ? Quel intérêt puis-je trouver à une autre si j’ai ce qu’il y a de mieux et de plus parfait à la maison ? Sois rassurée sur ce point…

Il prit avec douceur ses mains dans les siennes.

— Je t’aime comme au premier jour. Tu m’es plus qu’indispensable pour vivre et survivre et tu n’imagines pas la portée de ce que vous m’offrez avec les enfants quand je passe cette porte le soir. Ton sourire et tes yeux refoulent loin dans mon esprit les saloperies que je vois dans mon boulot. Excuse-moi encore de t’avoir fait peur…

Florence était bouleversée. Ses joues étaient désormais trempées de larmes qui venaient s’échouer dans les replis de sa chemise de nuit.

— Pourquoi tu ne m’as jamais parlé comme ça, jusqu’à présent ? souffla-t-elle.

— Je ne sais pas… Peut-être parce que les mecs sont trop abrutis pour ouvrir leur cœur avant qu’il y ait un problème. Viens, dit-il en l’entraînant vers lui. Allons nous coucher…

Stéphane éteignit au passage la lumière de la cuisine et l’entraîna dans le couloir. Florence se laissa guider jusqu’au lit où ils firent l’amour avec passion pendant une partie de la nuit. Quand enfin, elle s’endormit dans ses bras, il se détendit et oublia les horreurs auxquelles son métier l’exposait.

Le lendemain matin, le soleil n’était pas encore levé qu’il se réveilla à cause de l’odeur du café que Florence lui préparait dans la cuisine. Il traversa la chambre en titubant de fatigue et la rejoignit pour lui déposer un baiser sur le front. Elle lui remplissait un mug en surveillant le grille-pain du coin de l’œil. Lorsqu’il commença à manger quelques minutes plus tard, elle s’assit en face de lui en le dévorant du regard.

— Tu pars tôt ce matin ? lui dit-elle enfin.

— Oui, je vais pas tarder. Je dois refaire le point avec Franck sur notre affaire.

— Tu n’as pas oublié qu’il faut que tu amènes ma mère chez le psy tout de même ?

— Si, complètement ! répondit-il d’une voix où perçait l’irritation. Je ne sais pas si je peux, je dois vraiment…

— Et ça y est ! Tu recommences ! Ton boulot avant tout, et rien à foutre de nous ou de ta famille. Tu vas encore te barrer sans même voir les enfants ! Quant à ma mère, je…

— Oui, parlons-en de ta mère ! cria-t-il. Elle change de mec comme de chemise et dépense des fortunes en thérapies diverses après les avoir jetés et c’est toujours moi qui me la coltine pour l’emmener là-bas. Oh, et puis j’en ai marre ! J’appelle Franck, je repousse la réunion et je l’amène. A ce soir !

En colère après elle, surtout après la nuit qu’ils venaient de passer, il partit en claquant la porte sans lui adresser un regard. Pour se calmer sur le trajet, il attrapa son téléphone portable et composa le numéro de son adjoint. Tournus avait la voix excitée malgré l’heure matinale.

— Franck, c’est Stéph’ !

— Mon Capitaine préféré ! Ben dis donc, t’es tombé du lit toi ! Il est pas encore sept heures, mais tu tombes à pic. On a un nouvel enlèvement. On vient tout juste de l’apprendre, j’allais t’appeler. Ce coup-ci, c’est Jean-Michel Lacroix, le couturier. C’est la merde ici, tout le monde est sur les nerfs. Tu arrives ?

— Non, je suis retardé. J’ai une course à faire, ne m’attends pas avant dix heures. D’ici là, prépare-moi un topo sur la victime. On en parle dès que j’arrive.

— Ok. Attends ! J’ai un truc à te dire. On a découvert quelque chose sur…

Mais Roche n’écoutait déjà plus et avait raccroché. Il était sur les nerfs depuis sa prise de bec avec Florence dès le saut du lit. Surtout si les événements se précipitaient au boulot. Un point d’irritation lui comprimait l’estomac pendant qu’il se remémorait la conversation, à moins qu’il ne s’agisse aussi de culpabilité. Son orgueil lui aurait interdit de le reconnaître, mais il n’était pas si fier de ce qu’il avait fait. Alors qu’il arrivait devant la maison de sa belle-mère, plantée dans une rue calme de banlieue, l’idée de quitter le Quai des Orfèvres à moyen terme revenait le tarauder. Il profiterait beaucoup plus des enfants s’il occupait un poste moins exposé, imaginait-il. Après un bref coup de klaxon, sa belle-mère sortit et monta dans la voiture. Elle l’abreuva pendant le trajet des plaintes habituelles autour de ses relations avec les hommes. Depuis son divorce, elle se comportait comme une cougar, ces femmes d’âge mur qui croquaient les jeunes mâles. Le problème est qu’elle en changeait régulièrement tout en se plaignant en permanence du vide dans sa vie. A chaque trajet, il devait supporter ses incessantes jérémiades. Seuls variaient les prénoms des types incriminés. Le plus difficile à avaler pour lui était qu’elle avait son permis, mais elle avait convaincu sa fille qu’elle était incapable d’y aller seule. Stéphane était ainsi la victime toute désignée pour se joindre à elle à chacun de ses rendez-vous. En réalité, elle commençait souvent sa thérapie avec lui sur les longues cinquante minutes que durait l’aller jusqu’au cabinet de Lucie Sabathier. Il en voulait à Florence qui avait flairé le sale coup et s’était défilée pour lui refiler la patate chaude.

En se garant plus tard devant l’habitation qui abritait également les locaux où la psy recevait les patients, Roche eut l’idée de joindre l’utile au désagréable. Quitte à servir de chauffeur, se dit-il, autant ne pas être venu pour rien. Il remarqua qu’il n’y avait que deux personnes dans la salle d’attente.

— Attendez-moi ici, Sylvie, lui dit-il en l’installant sur une chaise. Prenez un magazine pour passer le temps, je reviens.

— Mais où allez-vous, bon sang ?

— Pas très loin, un ou deux coups de fil à passer. Je ne serai pas long.

Il retourna à l’accueil, où la secrétaire de Lucie Sabathier tapait à l’ordinateur. Elle lui adressa un sourire engageant quand il s’approcha de son bureau, dans l’attente de savoir ce qu’il désirait.

— Je voudrais voir le docteur en tête-à-tête, s’il vous plait.

— Vous voulez un rendez-vous à quelle date ? demanda-t-elle en ouvrant un épais agenda noir.

— Non, je désire lui parler maintenant, entre deux rendez-vous, si cela ne vous ennuie pas.

— Vous savez, je ne sais pas si c’est possible, répondit-elle en faisant la moue. Son carnet est plein jusqu’à ce soir, et je crains qu’elle n’ait pas une seule minute à vous accorder.

Le sourire forcé et dédaigneux qu’elle lui adressa lui tapa rapidement sur les nerfs. Il exhiba sa carte de police qu’il posa sur le clavier de son ordinateur et adopta un ton péremptoire.

— Je suis sur une enquête difficile et j’ai besoin de parler au Docteur Sabathier maintenant, à titre de consultante. Une fois que le patient dont elle s’occupe sortira de son bureau, vous lui direz que le Capitaine Roche de la Police Judiciaire veut s’entretenir avec elle pour une affaire de la plus haute importance. Ça ne prendra que quelques minutes si vous coopérez gentiment, ou plusieurs heures au Quai des Orfèvres dans le cas contraire. A vous de choisir en fonction des priorités de son agenda.

La jeune femme avait cette fois-ci perdu tout sourire. Elle s’empara de la carte tricolore d’une main fébrile, puis s’échappa par une porte d’où elle revint quelques minutes plus tard, la mine défaite. Roche était à la limite de l’abus d’autorité, mais il n’était pas d’humeur à négocier avec qui que ce soit.

— Elle va vous recevoir, annonça-t-elle d’une voix blanche.

Et effectivement, quelques instants plus tard, une porte capitonnée de cuir s’ouvrit sur la silhouette généreuse de Lucie Sabathier. Si celle-ci souffrait d’un surpoids certain, son visage rond avait ce quelque chose d’indéfinissable qui mettait instantanément les gens en confiance, qualité précieuse dans son activité. La psychologue s’était d’ailleurs forgé au fil des ans une réputation qui dépassait les limites de la capitale. Malgré l’intrusion du flic dans son planning, elle restait détendue en apparence et lui indiqua son bureau de la main pour l’inviter à entrer. Malgré les nombreuses consultations de sa belle-mère, Roche n’avait jamais eu l’occasion d’y pénétrer ; et jusqu’à ce jour, il n’avait échangé que quelques amabilités d’usage avec la psy. Elle s’installa derrière un bureau moderne en acier inoxydable et surmonté d’un plateau vitré. Il prit place à son tour de l’autre côté et ouvrit la bouche, mais elle ne lui laissa pas l’initiative de la parole.

— Alors, Capitaine… Qu’y a-t-il de si urgent pour que vous foutiez la trouille à Stéphanie ? La pauvre a démarré ici il y a deux semaines et c’est une jeune fille très impressionnable. Je vous vois depuis de longs mois accompagner votre belle-mère et il me semble même beaucoup vous connaître tellement elle m’a parlé de vous. La confrontation brutale était à mon avis inutile…

— Je sais… Désolé de vous avoir bousculée mais j’ai un problème épineux à résoudre et je cherche tout élément qui pourrait m’aider.

— Il s’agit de l’affaire concernant ces pauvres hommes rendus complètement fous ?

Stéphane ne cacha pas sa surprise.

— Mais comment le savez-vous ?

— Vous croyez que les psy ne lisent pas les journaux ? En plus, votre visage est apparu dans plusieurs articles, lança-t-elle en accentuant son sourire.

— Non, ce n’est pas ça, je… Enfin, au moins, je ne vais pas perdre de temps à vous expliquer de quoi il s’agit. Je cherche surtout à en savoir plus sur les expériences d’un certain Donald Febb ou Creb, un truc du genre…

Le visage de Sabathier s’était rembruni. Elle se cala dans son fauteuil en soupirant.

— Il s’agit de Donald Hebb, pas Febb. Vous pensez à la privation sensorielle ? Vous croyez que c’est ça qui arrive à ces pauvres diables ? Vous tenez cette hypothèse de qui ?

— Du Professeur Louis Ferrière, je l’ai rencontré hier soir.

A l’évocation du nom, un pauvre sourire se dessina sur le contour des lèvres de la psy. Ses yeux étaient teintés d’un éclat particulier qui évoquait la nostalgie à Roche.

— Ce vieux Ferrière… souffla-t-elle. Il vit toujours dans sa grande maison avec sa collection de bolides ? J’ai entendu dire que la retraite lui pesait, il a dû être ravi de vous recevoir. Avant que vous me posiez la question, oui, nous nous connaissons. Je n’ai pas toujours occupé un petit cabinet de banlieue, vous savez. J’ai travaillé avec lui dans le passé pour diverses thèses. J’étais une de ses étudiantes à l’époque où je tenais dans un pantalon taille 36. Soyez sans crainte, je vous le dis de suite, vous avez fait appel au meilleur dans sa partie.

— C’est ce que j’avais cru comprendre aussi. Il m’a été chaudement recommandé par un de vos confrères. Et sur Hebb, que pouvez-vous me dire ?

— J’y viens… Je connais le protocole par cœur. Louis vous a parlé de Robbins ?

— Oui. Celui qui a reproduit les expériences de 1951 pour la télé.

— On peut le résumer comme ça, répondit-elle, songeuse. Même si la réalité en est assez loin.

— Comment ça ? demanda-t-il en fronçant les sourcils.

— En fait, Robbins ne s’était pas contenté de reproduire le protocole d’expérimentation. Il l’a amélioré pour approfondir le sujet et les résultats de l’expérience menée hors-caméras sont allés bien au-delà de ce qui était prévu. Mais tout ce n’est pas déroulé comme l’équipe s’y attendait. L’un des volontaires est mort brutalement d’un arrêt cardiaque en pleine phase de test. Soumis à trop de contraintes, il semblerait que son cœur se soit emballé anormalement. A l’époque, le fiasco a été caché à tout le monde pour éviter un scandale qui aurait dépassé les limites de l’Angleterre. Surtout que les ministères de la défense français et anglais étaient les financeurs principaux de l’opération. Un médecin a conclu à une mort naturelle et les installations ont été démantelées dans le plus grand secret. Aujourd’hui, et à ma connaissance, il n’existe plus une seule trace de cette catastrophe.

Roche était incrédule. Il pensait recueillir l’avis d’une professionnelle sur son affaire et il se retrouvait à écouter la confession d’une expérience horrible. Bien qu’il se doutât de la réponse, il osa une question.

— Mais comment connaissez-vous tout ça ? C’est impossible que ce soit connu, à vous écouter, à moins…

— … d’y avoir participé en effet. C’est à la suite de ça que nous avons décidé de tout plaquer et d’ouvrir ce cabinet. Louis Ferrière y était lui aussi. C’est lui qui m’a proposé de prendre part au projet après mes études. Ecoeuré lui aussi, il a pris définitivement sa retraite en rentrant en France. Parfois, j’entends encore les hurlements de l’homme qui s’était porté volontaire pour la mort. Et vous savez pourquoi on a fait ça, pourquoi on a suivi Robbins dans sa folie ? Pour arriver à valider sa théorie de ce qu’il appelait le « point sensoriel ». Selon lui, avant de devenir fou à lier, les sujets soumis aux privations connaissait un court instant où tous les sens étaient surdéveloppés ; comme si le manque de sollicitations les repoussaient au-delà de leurs limites. Il était convaincu que l’on pouvait figer ce moment définitivement si l’on dosait correctement les privations.

— Mais dans quel but ?

— à des fins militaires principalement. Imaginez de quoi serait capable un soldat avec un flair supérieur à celui d’un chien, capable de voir aussi loin qu’un aigle ou qu’un chat dans le noir, les possibilités d’usage sont infinies. Il rêvait de vendre sa découverte aux gouvernements les plus généreux en arnaquant nos deux financeurs. Mais je l’ai compris trop tard. J’étais jeune, idéaliste et surtout très naïve. Il en a profité… A l’époque, je ne savais même pas qui nous payait.

— Ferrière était donc là, lui aussi ?

— Oui, bien sûr… Il ne vous en a pas parlé ? Je pensais que c’était le cas, et c’est autant pour ça que pour soulager mon cœur que je vous ai tout raconté. Je ne risque pas grand chose à avouer ma faute, les preuves n’existent plus depuis des années, et de toute façon ma conscience me suffit bien pour me punir tous les jours. Etonnant que Louis n’ait pas abordé le sujet.

— Oui, et c’est bien ça le problème. Je pense que…

La porte capitonnée s’ouvrit en grinçant, interrompant brusquement le tête-à-tête. La jeune Stéphanie passa le visage timidement par le seuil.

— Docteur, pardonnez-moi de vous déranger, mais les patients s’impatientent.

— Ce qui est le comble pour un patient, non ? répondit-elle d’un ton amusé.

La psy retrouva son sourire habituel dès l’irruption de la secrétaire. Seul le masque fermé de Roche témoignait de la gravité de la conversation qui venait d’avoir lieu. Sabathier s’adressa maintenant à lui.

— Stéphanie n’a pas tort, Capitaine. Elle va vous emmener dans les appartements privés où mon mari vous recevra. Je vous rejoindrai pour la pause de midi où nous poursuivrons ce débat passionnant. Considérez que vous êtes notre invité. Cela vous convient-il ?

Le flic hésita une seconde. Trop de questions se bousculaient encore dans sa tête pour qu’il décline l’invitation, malgré son envie de foncer chez Ferrière pour le cuisiner sur ses petites expériences entre amis. Son silence sur le sujet ne lui inspirait rien de bon. Malgré cela, il accepta l’offre.

— Ok, mais ma belle-mère ?

Sabathier balaya ses dernières réticences d’un geste de la main et désigna la jeune femme du menton.

— Nous allons lui expliquer que vous êtes retenu à manger ici et nous lui commanderons un taxi pour la ramener chez elle. Je rajouterai la course sur la prochaine consultation, voilà tout.

Elle se leva, imitée par Roche.

— Capitaine, le devoir m’appelle. A tout à l’heure.

Guidé par Stéphanie, il sortit de l’espace réservé au public pour emprunter une porte sur laquelle un écriteau indiquait que l’accès était privé. Elle l’abandonna au seuil d’un séjour lumineux où un homme lisait un journal, confortablement installé dans un Voltaire dont le prix d’achat devait être supérieur à la paie de Roche. Près de lui, une tasse de café fumante reposait sur une table basse dont le plateau était en marbre rose. De loin, Roche aperçut la Une du canard qui racontait par le menu le nouvel enlèvement. Le titre volontairement accrocheur et forcément insistant sur la lenteur de la police à trouver le coupable lui fit l’effet d’un coup de poignard. En descendant les deux marches qui menaient à la pièce, il se renfrogna. L’homme s’aperçut soudain de sa présence et reposa le journal près de son café. Il enleva ses lunettes cerclées d’or pour observer le flic. Il se leva d’un bond et s’avança vers lui, la mine soucieuse. Plus grand que Roche, il portait des vêtements simples, mais de bonne facture, qui dissimulait à merveille une carrure de rugbyman. La quarantaine bien entamée, le flic était sûr que le mari de la psy passait pas mal de temps en salle. La poignée de main qu’il lui offrit était plus ferme qu’il n’aurait fallu, mais après tout, ils n’avaient pas encore été présentés.

— Ludovic Sabathier, vous avez dû vous tromper de porte, Monsieur… ?

— Capitaine. Capitaine Stéphane Roche, de la Police Judiciaire. J’étais avec votre femme tout à l’heure, elle m’a demandé de vous rejoindre et de l’attendre ici. Pardonnez-moi si ça vous parait un peu déplacé, je le comprendrais.

Sabathier se détendit subitement et sourit à Roche.

— Non, non. Ne vous inquiétez pas, c’est juste que j’étais plongé dans mon journal et que je n’ai pas pris garde à ce qui se passait autour de moi quand vous êtes arrivé… D’ailleurs, je ne vous ai pas déjà vu quelque part, Capitaine ? Votre visage ne m’est pas inconnu.

— Surement dans Le Nouveau Détective ou un truc du genre. On peut dire que le crime est un peu mon ordinaire, comme le dépressif chronique celui de votre épouse, j’imagine.

— Oui, c’est ça, s’exclama-t-il en claquant des doigts. Vous êtes celui qui s’occupe de l’affaire du type qui rend fous les gens. Incroyable !

Roche soupira. S’il commençait à être reconnu dans la rue comme une vedette, pensa-t-il, il n’était pas sorti de l’auberge. Au moins, à l’époque où Marosky, son ancien supérieur, était encore actif, c’est lui qui se chargeait du sale boulot avec la presse. Il se passerait bien de sa notoriété en l’état actuel des choses. Sabathier poursuivait son envolée d’enthousiasme.

— Mais permettez-moi de vous servir un verre à boire, mon ami. Non, non ! Ne dites rien, vous êtes en service. Prenez donc un soda, je vais vous le chercher.

Il s’éclipsa vers la cuisine, laissant Roche observer à loisir le mobilier. Une bibliothèque attirait son regard. Comme beaucoup, il pensait que l’adage « dis-moi ce que tu lis, je te dirai qui tu es » avait son fond de vérité. Il avait procédé de même chez ferrière. La voix de l’homme lui parvenait étouffée.

— Et vous ne voulez pas voir Lucie à ce sujet, tout de même ?

— Si, justement, répondit-il distraitement.

Des livres de psychologie, des copies des articles rédigés par la psy, quelques romans sentimentaux, un traité de criminologie qui détonnait un peu au milieu, et des photos sous cadre. Il s’empara de l’une d’elles qui montrait le couple sur fond de montagne. Ils souriaient à l’objectif. Des vacances au ski, imaginait-il. Cela le ramena à sa propre condition : depuis combien de temps n’étaient-ils pas partis tous les deux avec Florence ? Il ne s’en souvenait même pas. Frustré, il reposa le cadre sur l’étagère. Ses yeux parcouraient les parcelles de vie de la psy sur le papier glacé. Pas de photos de gosses. Impossibilité, problème médical ou choix de vie, impossible à dire. La voix de Sabathier le tira de ses pensées.

— De la glace, Capitaine ?

— Mmm…

— Et en quoi ma femme peut vous aider, au fait ?

— Comme consultante. Je cherche à en apprendre un peu plus sur sa discipline.

— Ah, ok.

Le sang de Roche se figea soudain. Il venait de tomber sur une photo du couple, où ils paraissaient tous les deux beaucoup plus jeunes. Ce qui le frappa était le papier qu’ils brandissaient fièrement. Il s’agissait de la remise d’un diplôme de psychologie d’après ce qu’il déchiffra sur les documents. Les paroles de Lucie lui revinrent en mémoire : « c’est à la suite de ça que NOUS avons décidé de tout plaquer et d’ouvrir ce cabinet ». Sur le moment, il avait pensé que ce « nous » incluait Ferrière. Il frissonna quand il se rendit compte de l’implication très probable du mari dans l’expérience menée en Angleterre et se retourna pour croiser le regard glacé de Sabathier qui apportait deux verres. Roche essaya de se donner une contenance.

— Vous ne m’aviez pas dit que vous étiez psy, vous aussi…

— Non, c’est vrai. Mais ça ne fait que deux minutes que nous sommes présentés. Je pensais que Lucie avait eu le temps de vous en parler. Nous nous sommes connus lorsque nous étions étudiants.

— Excusez-moi si j’ai été brutal. Je dois être un peu fatigué.

— Je le pense aussi, vous êtes tout pâle. Vous êtes sûr que tout va bien ? Je peux vous donner un cachet ou vous appeler un médecin si vous le voulez.

— Non, vraiment, merci.

L’air soudain chargé le mettait mal à l’aise. Le psy avançait vers lui et sa stature avait quelque chose de menaçant. Il sursauta quand son téléphone se mit à sonner dans sa poche. Il s’en empara et décrocha d’une main moite.

— Allo ?

— Stéph’, c’est Franck !

Il était soulagé d’entendre la voix familière de son adjoint. Sans y prendre garde, il s’était recroquevillé dans un coin de la pièce, comme s’il voulait s’isoler pour préserver l’intimité de sa conversation, mais il sentait dans sa nuque le regard insistant de l’homme. Il murmura dans le combiné.

— Oui, quoi de neuf ?

— Tu as une drôle de voix, ça va ?

— Je ne suis pas seul, accouche !

— Ok. C’est un coup de bol pas croyable. Deuzo était toujours sur la vidéo où on voyait un peu le fourgon. Il a travaillé comme un malade, me demande pas comment, mais il a réussi à arracher un numéro d’immatriculation partiel. On a recoupé avec le fichier et on a une vingtaine de plaques qui correspondent, dont douze en région parisienne. Aucun des proprios n’est psy, mais il a sûrement trafiqué une identité. On cherche encore.

— Pas de nouvelles de Lacroix ?

— Non, aucune. Le temps presse, en comparant avec les autres enlèvements, on doit avoir à peine trente-six heures devant nous.

— Si ce n’est pas déjà trop tard.

— Clair… Autre chose, Stéph’. Ferrière m’a appelé ce matin pendant que j’étais sorti sur les lieux de l’enlèvement. Il m’a laissé un message pour dire qu’il avait quelque chose de très important à nous apprendre, au sujet d’une expérience dont il a oublié de nous parler hier soir. D’après ce qu’il a dit aussi, il pense avoir compris comment les victimes sont choisies.

Roche sentait venir la suite. Un courant glacé remonta le long de sa moelle épinière.

— Oui, et alors tu l’as eu ?

— Non, et c’est ça qui m’inquiète. J’ai laissé sonner son téléphone plusieurs fois, mais personne ne répond. Je viens d’envoyer une patrouille sur place pour s’assurer que tout va bien. Je n’aime pas trop ça, pour être honnête.

— Moi non plus, je te rejoins chez le prof dès que je peux. Pars dès maintenant pour inspecter les lieux avec l’équipe que tu as envoyée et tiens-moi au jus.

— Pas de soucis. Au fait, tu es où, là ?

— Je suis…

Les mots se perdirent dans sa gorge quand il sentit le contact froid et métallique du canon d’une arme appuyée entre ses omoplates. Sabathier s’approcha de son oreille libre pour lui chuchoter ses consignes d’une voix chuintante.

— Ne dites rien et raccrochez tout de suite ce téléphone, Capitaine.

Roche raccrocha sans mot dire et laissa le psy attraper son portable de ses mains. Il entendit ce dernier lâcher l’appareil sur le sol et le fracasser du talon. Sabathier s’éloigna de lui en le tenant en joue.

— Retournez-vous doucement et posez vos deux mains sur la tête. Quand je vous ai vu franchir la porte, j’ai bien cru faire une crise cardiaque. J’étais sûr que vous veniez m’arrêter. J’ai d’ailleurs goûté au fil des mois l’ironie du sort. Le flic chargé de l’enquête qui passait régulièrement si près de moi sans le savoir.

— C’est vous qui détenez Lacroix ?

— On ne peut rien vous cacher. A l’heure qu’il est, il est en train d’amorcer le programme que je lui ai fixé. D’ici quelques heures, il devrait connaître un nouvel état de conscience, si tout va mieux pour lui que pour ceux qui l’ont précédé.

— Vous êtes cinglé… Votre femme est dans le coup, elle aussi ? C’est l’expérience de Robbins que vous avez décidé de poursuivre après la dissolution du groupe ?

— Vous vous trompez sur le compte de ma femme, Capitaine. Et vous la surestimez beaucoup. Lucie est une personne adorable et compétente, mais beaucoup trop idéaliste pour faire ce travail. Elle ignore quels sont mes loisirs. Depuis notre retour d’Angleterre elle passe des heures dans son cabinet, comme si elle voulait contrebalancer notre échec en soignant des pauvres tarés dépressifs. Pour expier tout ça, en quelque sorte… Elle n’a jamais compris la portée de ce que l’on allait accomplir. Après des années de sommeil, j’ai décidé de reprendre le chemin là où on l’avait laissé.

— En rendant dingues des innocents ?

— La science a toujours dû sacrifier quelques cobayes pour progresser. Et rassurez-vous, j’ai pris un soin particulier dans le choix de mes volontaires. Chacun d’entre eux est spécial dans son domaine.

Le flic digéra les explications sans broncher. Puis, sans qu’il s’y attende, la lumière se fit dans son esprit. « Chacun d’eux est spécial dans son domaine », avait dit Sabathier. Sa pensée lui échappait à voix haute.

— Un œnologue réputé, le meilleur sniper connu, un couturier de génie… L’odorat, la vue, le toucher…

— Excellent Capitaine ! répondit Sabathier. Ajoutez un cambrioleur à l’ouie très développée et un critique gastronomique aux talents inégalés, et vous savez comment je fais mes sélections. Vous-même n’êtes pas là par hasard…

— Comment ça ? demanda Roche, sur la défensive. Mes cinq sens ne sont pas si affinés que ça.

Sabathier s’approcha lentement de lui, tel un chat à deux doigts de bondir sur sa proie.

—  Vous en oubliez un, le plus important de tous. Dommage que vous n’écoutiez pas les signaux qu’il vous envoie. J’ai vu que vous aviez compris, sans pouvoir interpréter la totalité des messages. Le sixième sens… Celui qui manquait à ma collection…

Brusquement, il retourna son arme pour l’attraper par le canon et il en abattit avec violence la crosse sur la tempe de Roche qui s’écroula sans connaissance sur le sol.

Une violente douleur dans le crâne qui lui vrillait le cerveau le réveilla bien plus tard, sans que Stéphane puisse dire combien de temps venait de s’écouler. Il tenta de se masser la tête mais des liens invisibles l’en empêchaient. Il ouvrit alors les paupières péniblement pour s’apercevoir qu’aucune lueur ne filtrait. Il était dans le noir absolu. Il remarqua à ce moment l’absence de sons et d’odeurs, ce qui le paniqua définitivement. Il hurla à pleins poumons, mais le cri mourut dans sa gorge. Peu après, alors qu’il luttait pour ne pas céder à la panique, un rai de lumière violente vint l’éblouir. La voix de son bourreau l’interpella.

— Alors, Capitaine, enfin réveillé ? Comment trouvez-vous mon installation ? Je manque à tous mes devoirs, je n’ai pas pris le temps de vous faire faire le tour du propriétaire, mais vous dormiez si bien que je n’ai pas eu le cœur de vous interrompre.

— Va te faire voir, sale taré…

— Oh oh ! Toujours d’attaque à ce que je vois. Gardez bien vos forces, vous allez en avoir besoin d’ici quelques minutes. De plus, je n’ai pas trop de temps, j’ai dû couper la politesse à Monsieur Lacroix qui était là bien avant vous.

— T’inquiète pas, ça ne devrait pas durer longtemps, ma belle-mère va vite donner l’alerte en ne me voyant pas revenir. J’ai dit à mon collègue au téléphone où je me trouvais et ils vont vite débouler chez toi pour retourner ta baraque.

Sabathier laissa échapper un rire sonore qui hérissa les poils de Roche. Ses yeux lançaient des éclairs de démence sur le corps du policier.

— Mais que croyez-vous, Capitaine ? A cette heure-ci, votre belle-mère est repartie chez elle, en pensant que vous l’avez abandonnée pour une urgence ; tout comme ma femme d’ailleurs. Je leur ai expliqué que vous aviez reçu un appel téléphonique et que vous étiez parti en catastrophe sans même toucher au verre que je vous avais servi. Heureusement pour moi, d’après ce que m’a dit cette formidable patiente, ce n’est pas la première fois qu’elle vous voit disparaitre sans explications. Quand à votre collègue, pas la peine de mentir, j’ai entendu votre conversation, à aucun moment vous ne lui avez dit où vous étiez. Probablement par honte ou culpabilité. Pas facile d’expliquer que l’on est occupé pour une affaire personnelle alors qu’on est sensé être en service, n’est-ce-pas ? Mais si l’on parlait un peu de tout ça, coupa-t-il en englobant la pièce du bras. Déjà, nous ne sommes pas dans ma maison, mais dans un petit pied-à-terre isolé dont j’ai hérité il y a quelques années. Je m’en suis souvenu lorsque Robbins a pris peur et a tout laissé tomber. Nous touchions presque au but et ce trouillard a préféré tout saborder que viser la gloire qui nous revenait. Pendant des années, j’ai ruminé notre échec, puis un événement récent m’a convaincu de reprendre les expériences.

— Quel événement ?

— N’en parlons pas s’il vous plait. Concentrons-nous sur l’essentiel. J’ai bâti ce complexe de mes mains, bien meilleur que celui que nous utilisions à l’époque. Il s’agit d’une sphère étanche remplie d’une huile plus dense que l’eau. La combinaison que je vous ai enfilée vous épargne les frottements que vous auriez pu ressentir avec les éventuels clapotis. Les parois sont suffisamment épaisses pour qu’aucun son ou aucune lumière ne filtre à l’intérieur. Une ventilation silencieuse extrait toute odeur parasite. J’y ai pensé après qu’un « volontaire » ait uriné dans sa combinaison pour briser les conditions idéales. Votre corps est maintenu en suspension pour vous éviter tout contact. L’habitacle est pensé de telle manière qu’aucun son produit à l’intérieur ne puisse retentir. Différents capteurs posés sur vous me renseignent en temps réel sur vos réactions physiques. Et une caméra infrarouge me permet de vous suivre en permanence. Génial, non ?

— Le rêve, en effet… murmura Roche. Mais pourquoi, bon Dieu ? éructa-t-il soudain.

— Pour la science ! J’ai approché le moment où les sens de ces hommes explosaient au-delà des limites de leur inconscient. La prochaine étape sera de les figer et vous allez m’y aider malgré vous, Capitaine. Je veux voir jusqu’où votre sixième sens peut aller.

Sabathier avait le regard halluciné. Il ne cessait de faire les cent pas en détaillant les possibilités qu’il voyait dans ses découvertes. Roche savait que la partie était perdue pour lui. Tournus n’avait pas dû comprendre qu’il s’était fourré dans un guêpier improbable. Dire qu’il avait son suspect sous les yeux depuis des semaines. Dieu seul savait dans quelle source ce type puisait sa folie. Roche imaginait que le psy était resté trop longtemps enfermé dans des laboratoires obscurs. Ou alors, le traumatisme était plus ancien, enfoui dans les limbes de son cerveau dérangé. Il savait que nombre des confrères de Sabathier embrassaient cette profession pour soigner leurs propres névroses et il soupira bruyamment en se disant qu’il n’aurait peut-être même pas l’occasion d’en découvrir un jour l’origine. Comme s’il lisait dans ses pensées, le psy s’interrompit et redevint grave. Il se pencha vers l’ouverture du caisson, la main sur la trappe qui allait isoler Roche du monde extérieur.

— On doit y aller, maintenant. Bonne chance, Capitaine Roche. Vous allez aujourd’hui entrer dans l’histoire... ou devenir un autre homme. On le saura d’ici peu. Ah ! J’allais oublier… Ne vous inquiétez pas pour ce traitre de Ferrière. Là où je l’ai envoyé, il doit déjà méditer sur son sort avec Saint-Pierre. J’ai bien cru qu’il allait tout vous révéler l’autre soir quand je vous ai vus aller chez lui. Je m’apprêtais à le voir pour l’empêcher de parler, mais vous avez été le plus rapide. J’ai encore mon réseau, vous savez… Heureusement qu’un ancien collègue m’a parlé de sa collaboration avec la police. J’ai compris de suite ce qui se passait. Enfin bon, là il ne parlera plus et laissera enfin sa conscience lui dicter sa loi. De nous tous, c’est lui qui culpabilisait le plus. Un crétin, voilà ce qu’il était… A bientôt, Capitaine, conclut-il en rabattant la porte sur le caisson.

Celle-ci se referma dans un claquement sonore qui ne résonna même pas dans la sphère.

— Nooon ! hurla Roche.

Mais il n’entendit rien, bien qu’il fût convaincu que ses cordes vocales s’étaient mises à vibrer. Le piège s’était refermé sur lui. Un instant, il faillit laisser libre cours à la panique qui l’envahissait, mais il se concentra sur des éléments familiers pour échapper au décor oppressant. Des images de Florence, de leurs enfants tournaient en boucle dans son esprit. Il fit ensuite appel à ses souvenirs d’enfance, le rire gras de son père, les odeurs des plats que préparait sa mère dans la cuisine, ses amis imaginaires qui l’accompagnaient lorsqu’il était terrorisé par le noir. Le noir qui l’engloutissait lorsque la nuit venait, celui qui donnait naissance aux monstres venus le happer pendant son sommeil. Un peu similaire à celui qui l’enveloppait de sa caresse terrifiante à ce moment. Dès lors, son esprit divagua à nouveau sur l’absence de stimuli autour de lui. Jamais il ne s’était senti aussi seul et aussi abandonné. Sans qu’il en prenne conscience, des larmes chaudes coulaient sur ses joues, identiques à celles que sa mère tentait d’apaiser lorsqu’il avait mal. Sa mère… La pauvre était morte deux ans plus tôt après avoir perdu le combat contre le cancer qui lui rongeait le corps peu à peu. Ses pleurs redoublèrent. Puis, l’image de Fabienne, une femme et collègue qu’il avait aimée longtemps auparavant, dans une autre vie. Son visage meurtri par la mort que lui avait donnée son assassin le hanta pendant des minutes qui ressemblaient à des heures. Sa vie défila par flashes du mauvais côté de la lorgnette. Ses erreurs, ses doutes, ses échecs explosèrent dans un kaléidoscope de douleur, jusqu’à la perte de connaissance qu’il sentit pointer, et où il s’abandonna totalement, recherchant un répit temporaire.

Croyant avoir fait un cauchemar des plus sombres, Roche se réveilla plus tard en constatant avec effroi toute la réalité de celui-ci, et sans pouvoir dire depuis combien de temps il était retenu dans ce caisson de l’horreur. Il se sentait peu à peu glisser vers la folie sans pouvoir seulement freiner la descente. De rage, il se trémoussa dans tous les sens, mais son bourreau avait efficacement conçu les liens qui le maintenaient dans un carcan inextricable. Roche abandonna en gémissant faiblement. Très vite, il voulut ne plus tenter de produire un seul son de sa gorge. Ne plus entendre sa voix lui était plus insupportable que le reste. Il n’avait ni chaud, ni froid ; n’avait ni faim, ni soif. Il désirait plus que tout entendre une voix, caresser l’écorce d’un arbre, sentir le vent fouetter ses cheveux, le soleil lui chauffer doucement le visage, humer les effluves de l’herbe coupée, saisir toutes les subtilités d’un grand cru. Il se vida une nouvelle fois les poumons en un hurlement silencieux. Puis, sa tête retomba sur sa poitrine, inerte.

Le retour à la conscience fut encore plus violent que le précédent. Roche ne conservait plus qu’une parcelle d’humanité à laquelle il s’accrochait avec l’énergie du désespoir. Bientôt, il le savait, il serait dans le même état que les autres victimes depuis le début de cette affaire. Roche poserait sur les autres ce même regard vide, crierait comme une bête traquée dès qu’on s’approcherait de lui. Il repensa brièvement à la carrière du sniper retracée en quelques lignes sur une page d’un dossier dont l’utilité lui échappait déjà. Si Lecorbier, commando aguerri et entrainé aux pires conditions, n’avait pas résisté au traitement de Sabathier, pourquoi y échapperait-il ? pensa-t-il avec désespoir. La lutte était inutile, il le savait. Combattre son destin ne ferait que le faire souffrir d’avantage. En serrant les dents d’impuissance, il se mordit la lèvre jusqu’au sang. Une petite larme d’hémoglobine perla et roula sur sa langue, révélant son goût ferreux à des papilles excitées par le manque de sensations. Un pâle sourire se dessina sur son visage quand il sombra une nouvelle fois dans le néant.

Plus tard, il ressentit quelque chose de nouveau. Une sensation dérangeante qui lui brulait les rétines. Il détourna sa tête pour échapper à la source de lumière qui lui faisait si mal. Des sons insupportables lui parvenaient de toute part. Des cris, des ordres fusaient en tous sens, lui vrillant les tympans comme s’il était collé à un marteau-piqueur. Quelqu’un ouvrit la bouche pour protester et Roche sursauta quand il reconnut sa propre voix. Il avait le sentiment de ne pas l’avoir entendu pendant des mois. Des mains avides se saisirent de lui, arrachant les entraves qui le retenaient et il se retrouva projeté sur un sol dur. Il saisissait chacune des irrégularités du bois qui striaient les lames du plancher sur lequel il reposait. Il en caressait les contours avec délice et volupté. Le flic toussa soudain et cracha par terre un mélange de salive et de sang, avant d’éclater de rire. Semi-comateux, il vit Tournus du coin de l’œil qui échangeait des regards ahuris avec deux agents en uniforme. Il se redressa sur un coude et s’adressa à lui entre deux spasmes de joie.

— Non, ne t’en fais pas Franck, je ne suis pas devenu cinglé. C’est juste que malgré toutes ses saloperies, j’ai eu ce type. J’ai cru que j’allais sombrer, et au moment où je me disais que tout était fini, je me suis mordu la lèvre. Je peux te dire que je n’ai jamais autant apprécié le goût du sang. Je me suis concentré là-dessus et sur la douleur que je ressentais en l’alimentant et en creusant d’avantage. C’était dur, mais j’y suis arrivé. Vous l’avez serré comment ? Ça doit bien faire trois ou quatre jours que je suis là-dedans.

Mal à l’aise, Tournus se frotta les cheveux en considérant son supérieur pensivement.

— Stéph’, ça ne fait que six à sept heures à peine que tu es enfermé ici.

Roche était sincèrement abasourdi.

— La vache ! Crois-moi que j’ai l’impression d’y être resté des jours. C’est dire si son truc est efficace.

Tournus l’aida à se relever. Intrigué, Roche examina la combinaison épaisse dont Sabathier l’avait revêtu pendant que son collègue s’expliquait.

— Avant que la conversation que l’on a eue au téléphone soit coupée, j’ai eu le temps d’entendre quelqu’un te menacer. J’ai fait localiser ton portable pour voir quels relais tu avais activés, et j’ai trouvé la zone. Je me suis souvenu une fois que tu m’avais parlé de la psy qui suivait ta belle-mère et que son cabinet était dans ce coin-là. J’ai demandé à Deuzo de vérifier sur le listing si un des vans qu’on recherchait était déclaré dans le secteur, un coup de fil à ta belle-mère pour confirmer son rendez-vous de ce matin et j’ai trouvé où tu étais. La psy est tombée des nues quand je me suis pointé là-bas en quatrième, le flingue au poing. Après avoir fouillé la maison et l’avoir interrogée, j’ai fini par comprendre qu’elle ne savait rien. Elle m’a parlé de son passé, de son mari, et j’ai fini par comprendre. En insistant un peu, elle a fini par se souvenir de cette vieille baraque, du côté de Montargis ; on a déboulé et on a vu à travers les fenêtres Sabathier tourner comme un fou autour d’une console remplie d’écrans de contrôle. Y’avait cette machine bizarre au milieu de la pièce. On a forcé la porte, on l’a maitrisé et menotté. Tu connais la suite. Lacroix est en bas, pas trop amoché, il devrait se remettre assez vite.

— Et Ferrière ?

Le visage de Tournus s’assombrit. Il prit deux secondes avant de répondre.

— Mort. Ce salaud lui a collé une balle dans le buffet. Il a mis des heures avant de passer. Il agonisait encore quand l’équipe l’a trouvé. Il a eu le temps de leur dire qu’il était désolé, que c’était de sa faute. Le remords l’a empêché de nous parler de l’expérience, d’après ce que j’ai compris. Et il était convaincu avant la visite de Sabathier que ça n’avait rien à voir avec notre affaire. On a retrouvé l’arme qui l’a probablement tué ici, ajouta Tournus en désignant un automatique enserré dans un sachet pour pièces à conviction posé sur le sol. Il sent encore la poudre.

Roche se sentit soudain épuisé et vidé. Il avait hâte de retrouver sa femme et ses gosses. Sans pudeur, il se débarrassa de la combinaison qui finissait par le démanger et attrapa ses vêtements posés négligemment sur une chaise par le psy.

— Franck, emmène-moi loin d’ici, supplia-t-il en finissant de s’habiller.

— Tu veux aller à l’hosto ? Je peux faire un détour avant le rapport.

— Non. Chez moi… Faut que je voie Florence.

— Je comprends… Allez, on se tire.

Soutenu par son adjoint, Roche sortit au grand air. En marchant vers la voiture de Tournus, il croisa le regard haineux de Sabathier, menotté dans une patrouilleuse de la police. Il retint avec difficulté la pulsion de meurtre qui venait de s’emparer de lui. En bouclant sa ceinture, il sut désormais qu’il venait de vivre l’une de ses dernières enquêtes officielles. A trente-six ans, il se trouvait déjà trop vieux pour continuer à côtoyer ce genre de criminels et leur folie meurtrière. Au cours du trajet, il écoutait son adjoint lui expliquer ce que Lucie Sabathier leur avait appris. Enfant, son mari était tombé un jour au fond d’un puits oublié. Il s’était écoulé presque une semaine avant que l’on retrouve le gamin à bout de forces. Privé de lumière et de bruit tout ce temps, il avait fallu des années pour qu’il se remettre du traumatisme. Et récemment, le psy s’est retrouvé coincé dans l’ascenseur d’un immeuble de bureaux. L’appareil était tombé en panne alors que Sabathier descendait. La télésurveillance étant hors service, et les locaux presque vides en ce vendredi soir, le psy n’a été délivré que le lundi matin. Il était dans un tel état de panique qu’on l’a envoyé en hôpital psychiatrique pendant deux semaines. Tournus était persuadé que cet incident était l’élément déclencheur donnant le départ de la série folle de Sabathier. Mais Roche ne l’écoutait plus. Deux jours avant, il aurait donné sa chemise pour comprendre ce qui se passait, mais ça lui paraissait lointain désormais.

Il observait le paysage qui défilait derrière les fenêtres de la voiture, silencieux. Ce soir, il embrasserait sa femme et ses enfants en imaginant la chance qu’il avait de les avoir auprès de lui. Florence serait certainement à la fois soulagée et inquiète de sa décision de quitter la police. Il était encore temps pour lui de faire demi-tour et de recommencer sa vie ailleurs qu’à Paris.

Le soleil flamboyant qui se couchait sur cette journée lui donna l’impression d’une promesse d’un avenir radieux loin de la folie des hommes. Comme si le ciel de feu sur l’horizon redonnait à son âme une nouvelle virginité. La voiture qui l’emmenait à vive allure vers ce futur plein d’espoir capta l’un des derniers rayons solaires en passant devant un hôpital psychiatrique où d’autres Sabathier en puissance attendaient leur heure. Roche frissonna et mit le chauffage en route.

— S’il te plait, accélère un peu, Franck.

— Tu es pressé de la retrouver ?

— Non, ce n’est pas ça. La nuit va bientôt tomber…

— …

— Et j’ai peur du noir…

 

Note de l’auteur :

 

Bien qu’inspirée par les expériences de privations sensorielles menées par Donald Hebb dans les années cinquante et celle d’Ian Robbins filmée pour un documentaire de 2007, cette histoire, les autres personnages et les événements décrits sont fictifs. En particulier le récit d’expériences secrètes conduites par Ian Robbins, après le tournage du documentaire de Charles Colville, ne relève que de l’imagination pure et simple de l’auteur.

 

  • Merci beaucoup Mathieu. C'est vrai que la lecture à l'écran est fastidieuse. Moi le premier, je préfère imprimer et relire sur papier. Le lien que je donne en début de texte permet de le lire sur une autre plateforme, et (je crois) de le télécharger en .pdf

    Pour des textes plus longs comme celui-ci, le format est peu adapté.

    Pour la petite histoire, j'avais composé cette nouvelle pour un concours de nouvelles, organisé par le PEN Club de Monaco il y a deux ans. Elle s'est placée sur le podium, bien qu'il n'y ait que le premier de primé. Et je crois me souvenir que la longueur minimum était de 75 000 signes.

    · Il y a plus de 12 ans ·
    6165221 orig

    David Charlier

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