Funérailles

Christian Lemoine

Le ciel est trop grand, trop haut. Voilà pourquoi les hommes ont tenté de l'atteindre, pour le réduire, le dominer. Mais ces hommes, innocents, le voyaient en plafond au-dessus d'eux, empêchant leur envol, ils ne mesuraient pas qu'il était le bocal d'où jamais ils ne pourraient sortir. Une femme est morte, et sous la limpidité ironique du ciel, les mots cherchent encore à retenir son âme, les temps s'étirent dans un après-midi figé mais sans jamais déjouer les chronomètres. Car les mots ne réveillent pas, n'interrompent pas ce sommeil qui n'est pas sommeil ; ce corps qui n'est plus corps ; cette ombre qui n'est plus perceptible. La vie encore, sans doute, dans l'alcôve secrète de l'humble cercueil clos. Le corps abandonné devient le champ festoyant des modestes, des petits, des insignifiants méprisés. Maîtres de la matière. Devant la fosse ouverte, les voici qui défilent lentement, les vivants, brisés sur l'amie perdue, oublieux, et bien heureux de l'être, d'eux-mêmes dans l'affliction qui les bouscule. Pourtant, aussi lente soit-elle, leur procession devant la tombe verra son dernier pleureur, avant que les hommes sans costume ne reposent la dalle. Tant de fleurs blanches sur le béton dur ! Et l'on sait la-dessous, allongée dans une parabole de paix, celle... Celle-ci, c'est dire le proche. Celle-là, le lointain. Une autre déclinaison, et pourquoi n'a-t-elle jamais été inventée ? une autre déclinaison ! pour dire celle qui est passée, celle qui a été ; quand « être » n'a plus de sens. Une autre déclinaison, un autre mot, qui puisse dire l'être qui n'a plus d'être, la machine de chair qui a perdu le souffle. Le ciel est trop grand, trop vaste et sans repère. Il n'y a dans ce bleu, faux et trompeur... il n'y a dans ce noir intense, que la fosse sans fond où tomber sans fin.
Signaler ce texte