Gaïa

bleuelectrique

Elle est au bord du ravin, gravite au dessus des nuages.

Son corps s'élève, elle joue avec ses doigts, les fait tournoyer en même temps qu'elle ouvre grand la bouche. Elle fait des ronds avec ses lèvres, comme pour rejeter la fumée d'une cigarette invisible.

Ses mouvements sont longs, si longs qu'ils effleurent les quelques oiseaux de passage.

Oiseaux de malheur qui voudraient la fourvoyer, la foudroyer.

Mais elle n'est plus à leur portée.

Ses pas l'emmènent loin du vide, plus haut encore que les cimes des arbres agités par sa beauté.

Elle ouvre de nouveau la bouche et l'étire en un rire appuyé. Il résonne entre les murs de la ville, finit par s'éclater contre un wagon qui file à toute allure et emporte un peu d'elle.

Le vent se lève, elle se penche.

Son menton frôle l'eau de la mer, s'appuie contre un gros poisson sec. Elle souffle gentiment sur ses yeux globuleux. Il vacille, proteste, et fait plouf.

Et la voilà qui rit encore, un rire moqueur et incendiaire qui enflamme les dernières larmes de la marée matinale.

Un marin se perd dans sa voix. Il jette son ancre, se met à genoux. Il la supplie, lui baise la plante des pieds, frotte son sexe droit contre ses hanches.

Un cri d'effroi.

Elle balance ses jambes, écarte les cuisses, déploie ses ailes et étouffe le maladroit.

La musique s'est arrêtée. Le marin a disparu.

Elle rampe, s'agrippe au vent et arrache les derniers espoirs de ceux qu'elle a enfanté.

La marée revient. Elle s'efface.

Derrière elle, des traces de son ombre déformée par le temps. Les restes de ses entrailles forment un mont, couvert de plaies béantes d'où s'échappe une odeur d'essence. Au cœur pousse un arbre mort né.

Le silence est strident.

La Terre est salie. La Terre est meurtrie. La Terre est usée.

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