Galimatias sur le tatami
fionavanessa
Nous étions la veille de mon anniversaire quand j'ai entrepris de jeter quelques mots sur des lignes. Et le dernier jour de la France telle qu'on l'a connue. Il s'est passé une quinzaine depuis, où neurones et sentiments se sont échauffés chez beaucoup de personnes, à titres divers. Je ne reviendrai pas sur la chose publique, mais elle a accompagné ma chose privée, mon énième gestation, ma mue hivernale.
Il fut rare que je fête le jour de ma naissance. Rare que quoi que ce soit qui me concerne se déroule comme c'était prévu au départ.
Si les dieux se sont penchés sur mon berceau, là où ils m'ont bénie, c'est avec une vie pleine de chocs et de choix à faire. Toute vie comporte des choix. La mienne a fini par esquisser une succession de montagnes russes. Depuis l'adolescence, la figure de Sisyphe poussant son rocher ad vitam eternam m'est familière. Les dieux n'ont pas voulu que je m'endorme, ils m'ont donné un rocher à pousser aussi, afin que j'apprenne que le moindre centimètre carré de perdu suffit à ce que le rocher retombe. Et il faut tout recommencer, à terre, redonner le change de la bagarre avec les aléas, se rappeler lors de la remontée de ne rien tenir pour acquis, jamais.
En ces temps de déception profonde et de couteaux remués dans la plaie, regarder vers le ciel.
Sans lâcher son rocher. Je suis ce petit bousier qui de sa carapace fait rouler devant lui ce tas odorant plus grand que lui, mais ses antennes sont reliées au ciel, si petitement que cela soit. Ce ne sont pas les dieux que je cherche pour leur faire part de mon ire, ni l'espoir non plus.
J'ouvre un instant mes yeux à la beauté de ce ciel plus vaste que le plus dévastateur de mes sentiments, et je respire. Je ne m'agrippe plus autant à mon rocher, et pourtant, la pression des mains, des pieds au sol suffit pour le rouler, même si parfois, lui et moi, nous avons dansé le tango, avec tous les pas en arrière que cela comporte.
La vérité se dérobe toujours un peu. Peut-être marinerai-je dans sa nimbe mystérieuse. Tout ne se laisse pas décoder par une simple mortelle, bousier qui plus est. Mais ne pas tricher. Pas plus dans l'isoloir que devant la tâche ardue, que dans l'alcôve. Je parie sur l'être. Et j'envoie valser ceux qui me rétorqueront que je suis une bleue de croire à des choses pareilles dans un monde à vau l'eau. Je sais très bien que je ne peux pas retenir le rocher à chaque instant, que mes doigts deviendront gourds, mes paupières lourdes papillonneront, que je chancellerai de fatigue. J'en ai pris mon parti. Lâcher prise dont on nous rebat les oreilles. J'observe l'éphémère instant de beauté qui ne reviendra plus. On me taxera de romantique, de décalée, d'inadaptée. Je sourirai, car en somme, ça m'est égal, ce qu'on pense de moi. Et ça ne m'empêchera pas de taper mon carré de papier dans l'urne, d'ouvrir les bras à mes proches. Vous me décodez gentille mais n'oubliez pas que la gentillesse n'est pas une faiblesse mais une conviction. Offrir mon sourire. Accepter qu'à force, je sois vidée, décroissante, à la merci des prédateurs, que mon rocher roule au pied de la montagne. J'ai découvert ce faisant que le bât ne blesse pas toujours. Il y a des surprises, des éclosions de fleurs inattendues, à se laisser faire par la houle de la vie. Le sentiment premier qui me vient, c'est la gratitude. Envers des personnes qui m'ont transmis leurs trésors, mais aussi, envers le tout, le flanc de la montagne, le sommet, et le pied. Peu importe l'endroit où je suis parvenue, j'y suis. Et je n'y resterai pas. Et il y a une grâce à ça.
Si cette période anniversaire est douloureuse encore, c'est qu'elle ressemble à un saut en parachute. Cette année, j'ai jeté un regard derrière mon épaule et j'ai frémi. Mes amarres sont bien larguées maintenant et ça cause parfois une impression de vertige. Je n'ai jamais sauté en parachute mais j'imagine ça comme ça. J'ai goûté entretemps aux vertus du silence. C'est ainsi que je ne puis écrire sur un sujet que je ne connais pas en profondeur. Je n'aurais pas fait une bonne journaliste. Et pourtant, je me nourris de l'éphémère, de l'impression instantanée du jour. Je tente à ma mesure de jouer le jeu de la vérité, le moins de travers possible, et c'est ainsi que le bât ne blesse plus autant. Mon sourire et mes larmes font la paire, comme s'ils étaient deux pans attachés par une charnière. L'un fait écho à l'autre. Et ensemble, ils se font écho d'un aujourd'hui qui chante dans la grisaille environnante. Même à travers un rideau de larmes, il chante. Dans les cascades d'un rire partagé, il chante. Et il perce mes silences à jour.
Je me découvre colosse, aux pieds d'argile je ne le sais que trop bien, mais colosse contre vents et marées. Toutes les agressions fondent et ruissellent de mon plumage imperméabilisé par le rire fou, par la reconnaissance de chaque chose à sa place, le miroir aux alouettes a volé en éclats, et si je préférais me taire que chanter l'âme en peine, je préfère laisser choir cette peine aujourd'hui comme une mue serpentine. Mes pieds étaient dans le brasier. Mais si l'on devine la marque des braises à mes plantes, je n'en suis pas morte. C'est même tout le contraire, et le chant de mon frère d'armes que j'ai tant écouté me revient, « Only love can leave such a mark ; only love can heal such a scar ».(Magnificent, U2)
La magnificence, l'éclat, la vérité reluisante ont passé le relais au terne, à l'humble terreau, aux choses décapées de leur vernis protecteur. La vie en brut. La vie, en somme. Chercher ce qu'il y a derrière les mots, derrière les visages.
Je n'ai jamais aimé les donneurs de leçons. J'ai encore moins envie de vous administrer mes mots de force. J'ai envie de les tricoter, jusqu'à m'en décrocher la mâchoire, avec une maille tellement ajourée que vous verriez à travers mes mots, ce que bon vous semble. Et que nos regards, croisés, ensemblent donnent du corps, de l'étoffe à ce tricot de mots désincarnés.