Gisèle vs Colette
scoobyalien
Chapitre 1 :
La guerre avait été déclarée plus de cinquante ans avant cet épisode décisif… Seul le lieu leur avait été imposé. Les deux adversaires en avaient conscience, et s'étaient tous deux préparés minutieusement, avaient fait, chacun de leur côté, un plan élaboré, avait posé des pièges sournois un peu partout dans le bâtiment au risque et péril de la population environnante. Mais rien ne les arrêterait, l'heure était aux derniers ajustements, aux prières et aux tenues de camouflages… Tout objet de valeur avait été soigneusement rangé.
Les gens alentour s'étaient terrés dans leurs habitations attendant non sans crainte que l'orage passe, sachant pertinemment qu'ils ne seraient pas épargnés s'ils se mettaient en travers des deux camps.
Il y avait cependant une chose qu'ils avaient mal évaluée : ce ne serait pas, juste, un orage… Cela allait être un véritable ouragan !
Tout était prêt ou presque. Le début de cette bataille sanglante allait, bientôt, sonner… Mais pas maintenant… Non pas avant la fin des « feux de l'amour »…
Les visites avaient été annulées, les résidents avaient fermé leur chambre à double tour, certains s'étaient même installés une chaise au fond de leur placard, seule cachette qui s'offrait à eux… D'autres, bien que prudemment enfermés dans leur chambre, campaient devant la porte d'entrée comptant jeter un petit coup d'œil quand l'heure aurait sonné.
Même le personnel de la maison de retraite, qui n'avait pu empêcher la préparation de cette bataille sans pitié, s'attendait au pire… Ils s'étaient en vitesse, occupés de tous les résidents, le repas avait été une véritable course, tout le monde y mettant du sien pour éviter de se retrouver au cœur de la tourmente… À présent, tous étaient soigneusement à l'abri. Que ce soit aide-soignants, infirmiers, le personnel administratif… Même la psychologue s'était enfermée dans son bureau, abandonnant toute tentative de réconciliation. Après avoir tenté de trouver un terrain d'entente entre les deux camps, elle s'était retrouvée séquestrée toute une nuit dans le sous-sol de la maison de retraite. Rien n'empêcherait la débâcle qui s'annonçait. Gisèle et Colette allaient se donner la chasse jusqu'à l'épuisement… Ou pire !
Colette était persuadée que Gisèle lui avait pourri la vie, Gisèle jugeait que Colette avait gâché la sienne… Difficile dans ce cas de voir laquelle est la plus à plaindre… Une autre chose était ardue à cerner. Le fait de savoir où était l'origine de cette histoire, parce que, voyez-vous, si vous aviez demandé à Colette ce pourquoi, elle venait de mettre ses dents toutes belles dans un verre pour s'équiper d'un dentier aux dents de métal et pointues qui plus est, vous n'y auriez rien compris de toute façon. Quant à Gisèle, c'était bien des grognements de chien enragé qui provenaient de sa cuisine… Adossée à la porte de celle-ci, elle vous aurait certainement répondu que cela ne vous regardait pas… Puis elle s'en serait éloignée parce qu'après avoir avalé son maigre bout de viande imprégné de l'odeur de Colette, le chien se serait rué sur la porte pour en réclamer plus…
Ensuite, elle aurait commencé une séance d'abdos fessiers.
Une théorie circulait dans la résidence depuis longtemps, une théorie simple, quoi qu'un peu effrayante tout de même. Pour bon nombre des camarades et voisins des deux femmes, les raisons de leur rancune tenace avaient été oubliées depuis des années, seule cette sensation de vengeance les habitait. Quoi qu'il en soit, elles en étaient là à présent. Prêtes à tout faire flamber pourvu que l'autre en souffre…
Même si la raison de leur haine commune était un peu enfouie, elle était bien réelle.
Gisèle et Colette se connaissaient depuis toujours, pour cause, elles avaient toute leur vie habité dans des maisons face à face… Leurs parents s'étaient toujours très bien entendus et les filles n'avaient que quelques jours d'écart… On dit que certaines personnes sont faites pour s'entendre et d'autres, peu importe les efforts, ne se supporteront jamais… Alors, croyez-le ou non, Colette et Gisèle étaient de… la première catégorie. Étonnant non… ? Jusqu'à leurs seizièmes années, elles s'entendaient à merveille comme des sœurs en mieux, parce qu'elles ne se disputaient jamais… Quand l'une avait mal, l'autre pleurait, quand l'une souriait l'autre se tordait de rire… Cette amitié, tous, parents, voisins, camarades, la qualifiait d'extraordinaire, un peu exagérée, mais unique.
Vous voulez savoir ce qu'il y a d'unique aussi, c'est la virulence de la haine quand elle apparaît dans une relation pareille… L'amour, la haine, synonyme… Ça ne fait aucun doute.
Gisèle avait ramené sa longue chevelure en arrière, avait mis un filet dessus et s'apprêtait à mettre sa perruque afin de protéger ses beaux cheveux blancs… Seulement Colette était passée par là… Et avait fait de sa jolie perruque… Une coiffe punk : cours sur les côtés avec une crête rose et bleue d'une longueur impressionnante sur le haut… Elle soupira, mais se mit à sourire d'un air féroce… Rien ne la déstabiliserait… Elle mit la perruque sur le crâne en prenant, quand même, grand soin de ne pas se regarder dans le miroir… Rien cet après-midi ne l'empêcherait de se venger…
Colette plongea deux doigts dans le cirage noir et les passa sous ses yeux. Puis, elle noua son bandana sur ses cheveux et remonta la fermeture éclaire de la veste de son jogging. Elle grogna face à son miroir et eut un sourire satisfait…
Seulement la légère décharge qu'elle reçut en posant ses doigts sur l'interrupteur de sa chambre la mit hors d'elle…
Elle s'assura au préalable que tout allait bien, et que rien d'autre n'était piégé, pour sortir de sa chambre comme une furie...
-« GGGGGGGGIIIIIIIIIISÈLE…
La concernée se mit à mâchouiller son chewing-gum encore plus fort. L'excitation courrait le long de son dos…