Gloria Vend la Mèche

nancy-creed

« GLORIA VEND LA MÈCHE »

Joey jouait ses derniers jetons au casino de la Baule.

Il avait trouvé le « magot » 48 heures plus tôt grâce à Gloria.

Drôle de récolte.

C’est vrai que Joey n’avait pas eu de chance dans la vie. Quelques années plut tôt une folle dingue avait abattu son frère jumeau. L’arme n’était, en principe, même pas chargée, mais il restait une balle dans la chambre.

Il n’en fallut pas plus pour envoyer Johnny au cimetière.

Mise à part sa camionnette et quelques bricoles, Joey vendit la camelote de son frère à d’autres marchands des Puces de Montreuil puis s’installa à son compte près des chantiers de l’Atlantique.

Il n’y avait pas de plaque devant la maison. Cette pipelette de Gloria, avait convaincu un de ses clients -soit disant « peintre en bâtiment »- de faire un enseigne où on lisait : En Quête, au singulier et en deux mots.

-Tu vas voir, mon amour, ça va plaire aux clients !

-Si tu le dis.

En retour elle avait promis à l’artiste de lui faire quelques coupes gratuites.

Faut dire que Gloria rêvait d’ouvrir un salon sur la promenade à La Baule. Elle hésitait encore sur le nom : ChezTif ?, AtmospHair ?

- AtmospHair, ça fait plus classe, plus international, tu ne crois pas chéri ?

-Si tu le dis.

En regardant « En Quête », tracé en lettres fluo sur contreplaqué gondolé, Joey pensait que ca aurait pu être pire.

Pas de plaque donc, pas de clients non plus.

Joey ne pouvait pas payer les services d’une secrétaire mais il y a deux mois, une stagiaire s’était présentée d’elle même. Mignonne comme un cœur, la petite ne parlait pas beaucoup mais elle était douée. Le premier jour, elle avait réussi à bidouillé le vieil ordinateur de Johnny. Elle passait sa journée à éplucher les petites annonces sur internet. Il n’y avait rien d’autre à faire sinon tenter de mettre de l’ordre dans le souk que Joey appelait « le bureau ».

L’appartement au dessus n’était pas plus rangé. Les cartons, journaux et piles de linge s’empilaient de tous les côtés. C’était resté tel quel depuis le déménagement.

Au milieu de ce bazar, Joey connaissait l’emplacement exact de sa bouteille de Jack Daniels… il y avait bien une table quelque part en dessous de cette montagne de paperasse…

-Juste une petite rasade de temps à autre, histoire de se rincer le gosier.

Parfois il s’accordait quelques verres de plus, après tout c’était lui le patron. Il trinquait avec le verre vide qui trainait sur la table depuis la dernière fois.

« Détective à Saint Nazaire »,  il en revenait pas!

Tout ça c’était grâce à Gloria. C’est elle qui voulait s’installer ici. Façon de parler puis qu’elle n’y avait pas mis les pieds depuis six mois. Coiffeuse à bord du QM2, payée en pourboires et en dollars, net d’impôts, elle ne s’en sortait pas si mal.

Ce jour là, justement Gloria avait téléphoné depuis le navire. Les passagers étaient tous pomponnés comme il faut, elle avait donc son après midi.

Ce qu’elle avait à lui dire ne pouvait pas attendre :

-Écoute-moi bien Joey.

-Je t’écoute.

-Joey tu vas pas me croire, j’ai un truc incroyable !

-Si tu le dis.

-Il faut que tu files dans les marais le chercher, mais il faut y aller tout de suite ! C’est énorme, vraiment le gros coup…bla, bla, bla.

-Je t’aime aussi mon cœur.

-Tu me manques aussi.

Comme d’habitude il y avait pas mal de blancs dans son explication mais Joey en avait l’habitude. Gloria parlait beaucoup, vraiment beaucoup. Mais parfois elle écoutait. C’est comme ça qu’elle a su pour le magot.

Deux huiles étaient au Spa du navire en train de se faire masser comme des gros bébés.

Les caïds parlaient affaires, sans se soucier des quatre mains qui leur frictionnaient le cuir.

Mine de rien Gloria n’en perdait pas une miette. Son collègue, beau gosse mais pas futé, ne semblait pas prêter attention à la conversation.

Gloria avait reconnu l’endroit dont il était question. L’endroit exact et à peu de choses près, la somme, il s’agissait de plusieurs milliers de dollars.

Des milliers de dollars à moins de 15 kilomètres de son Joey. C’était tellement facile !

Joey n’avait pas tout saisi et il ne savait pas grande chose du marais mais il connaissait le chemin du Grand Hôtel de Brière. Gloria y travaillait avant d’être embauchée à bord du paquebot.

L’estafette blanche démarra tout de suite. Vingt minutes plus tard, Joey était sur place. En s’éloignant de la ville, les chantiers avaient cédé la place aux roselières mais le grand portique se dessinait toujours à l’horizon. Il gara sa camionnette derrière le centre ornithologique, désert. À cette époque de l’année, seuls les cars scolaires déversaient quelques rares visiteurs.

Joey attrapa un des outils de carottage qui trainaient derrière le bâtiment et fila droit vers le ponton.

À première vue, il n’était pas le premier arrivé sur les lieux. Une saleté de ragondin était en train de fureter près du ponton, d’un peu trop près. Elle devait faire dans les dix kilos cette salle bête. Joey, qui n’avait pas envie d’être mordu, lui balança de la caillasse.

En s’approchant, le détective voyait déjà le tableau: quelqu’un d’autre était venu avant le rongeur aux pieds palmés. Ils étaient mêmes venus à deux, mais il en a qu’un qui était reparti.

Plus de butin.

La jonchaie ne cachait qu’à moitié le cadavre qui flottait sur un cordage, face contre l’eau.

La poisse.

Ca n’avait plus rien d’un bon plan.

C’était tout Gloria ça !

Joey contempla le soleil couchant sur le marais, puis avec un soupir, composa le numéro de Devinast à la gendarmerie de Saint Nazaire, avant de filer.

Le lendemain, au casino, il regardait un type bien « coiffé » de l’autre côté de la table en train de ramasser le pactole : sans doute un marin fraichement débarqué d’un bateau de croisière.

-Ce n’est pas à un type verni comme lui que Gloria aurait filait un tuyau crevé !

Écrasant son mégot sur le perron du casino, Joey, qui avait, il faut le reconnaître, descendu quelques verres de trop, aurait parié qu’en démarrant en trombe à bord d’un bolide flambant neuf, ce crâneur lui avait fait un clin d’œil.

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