God Of Boobs

stockholmsyndrom


Je préfère embellir les choses. La nature est laide, tellement laide, il faut la polir, la maquiller. Tenez, imaginez vous dans la rue, il fait chaud, la foule déambule et tout le monde est nu, sans exception. La chair dégouline sur le pavé, la graisse glisse sur les os, il y a des poils, des boutons dans le dos de la vieille dame qui vous devance à la boulangerie, ça sent la putréfaction et vous avez envie de gerber en voyant les pâtisseries étalées en vitrine, trop d'imperfection, trop de corps brut, trop de misère dévoilée, les femmes qui promènent leurs gosses ont des mamelles qui touchent leurs pieds, il y a dans le parc deux adolescents obèses assis sur un banc à l'ombre, on peut voir les bourrelets de leurs dos ressortir entre les planches de bois et la cellulite sur les hanches des joggeuses brille au soleil comme un pot de mayonnaise prisonnier dans un four micro-ondes. C'est ça, la vraie nature. Certes, il y a des exceptions, des femmes agréables à regarder, presque autant que les mannequins photoshopés des magasines, mais c'est la faible minorité, et rappelez vous que tout le monde est nu, sans exception, alors le pauvre homme chétif ou en surpoids, ou bien celui qui n'aura eu que ce petit bout de pénis pendant tant bien que mal entre les jambes légué par dame nature, en croisant une femme magnifique baissera la tête et se fera écraser par le lourd poids de la réalité, car oui, la nature est laide, tout autant qu'elle est cruelle...

Les? Pénis? Oui, bien sûr, je retouche aussi les pénis, c'est la moindre des choses, solidarité masculine. Au début j'avais du mépris pour ces gens-là, et puis il s'avère qu'avec l'explosion du porno sur internet, tout le monde s'est mis à vouloir posséder un rondin dans son caleçon, alors j'ai sauté sur l'occasion. C'est devenu la folie ces dernières années, j'ai de plus en plus d'hommes, certains viennent avec leurs femmes, elles choisissent elles même le modèle, la forme. Pour l'instant on est capable de les allonger de quelques centimètres, mais au rythme où la science avance je peux vous assurer que dans vingt ans une armée de mutants au pénis synthétique comblera toutes les amantes du monde entier.

Oh vous savez, l'éthique c'est un bien grand mot. Tout le monde fait semblant d'en avoir une, plus ou moins. Moi je préfère jouer franc jeu, je le répète, persiste et signe, ça peux paraître paradoxal mais dans la chirurgie, on ne trompe pas. L'autre jour un homme difforme est arrivé dans mon bureau, il avait un visage hideux, boursouflé, et tout son corps transpirait le mal-être. Figurez-vous que ce gars là avait aussi un sexe difforme, large et veineux, un genre de boudin abominable, s'en était même dur à regarder. Et bien figurez vous qu'il était persuadé que son sexe était la cause de ses malheurs en amour, il me l'a confié le cœur lourd. Il voulait se faire rétrécir le phallus. Je lui ai fait part de mon analyse et l'ai focalisé sur son apparence. Il s'est mis à chialer comme une fillette mais c'était un bien pour un mal, C'est aussi ça notre job, le dialogue, la psychologie.. On a procédé à un ravalement de façade pour parler grossièrement et aujourd'hui il est heureux...

Si, c'est techniquement possible de rétrécir un pénis bien-sûr, mais très coûteux.

Non, je n'opère pas les pauvres.

Parce qu'ils sont pauvres. Je ne fais pas de bénévolat.

C'est assez intéressant d'ailleurs comment la nature et la société se rejoignent. La pauvreté enlaidis l'être humain. La laideur est souvent considérée comme un frein à l'ascension sociale, sauf si bien-sûr on s'appelle Gainsbourg ou bien Bukowski, c'est par conséquent les personnes les plus susceptibles d'avoir recours à mes talents et pourtant, n'y ont pas accès, c'est ainsi, comme si on avait bâti notre société en utilisant les codes de la nature, avec ses lois et ses inégalités...

Oui, je suis du bon côté de la rive. Mais pour le fric, j'ai fait des études.

Au début j'ai fait ça pour faire plaisir à mes parents. Je viens d'un milieu bourgeois alors autant vous dire que si j'aurais voulu devenir Jim Morrison... je crois que j'aime mes parents, c'est certainement pour ça que je l'ai fait. Je suis devenu chirurgien plasticien parce que sur le papier c'est plus élogieux pour l'ancienne génération de parler d'un fils qui manie le bistouri plutôt qu'une seringue bourrée d'héroïne.  Mais je me suis vite rendu compte qu'on avait rien à envier aux dieux du rock. J'ai poursuivi mes études uniquement parce que la blouse blanche a cet effet magique de faire tomber celle des femmes. Durant ma première année je me suis tapé l'équivalent de trente groupies, sans forcer. Encore, ici, dans mon bureau il m'arrive de distribuer quelques orgasmes.

Ça? C'est une photo de ma femme et mes enfants. Je vois où vous voulez en venir. Je n'ai aucun tabou. Vous êtes puritain. Ma femme est une personne exceptionnelle, elle est ouverte et tolérante, c'est un être exceptionnel qui sait faire la part des choses, c'est bien pour ça que je l'ai enfanté elle et pas une autre. Bien-sûr je crois en Dieu, pas en la bible, soyons rationnels.

Non, je ne pense pas qu'elle soit là pour mon salaire. Je suis un homme empli d'humilité mais permettez moi de vous dire que je suis quand même quelqu'un de formidable à bien des égards.

Vous savez c'est difficile de résister à l'actrice porno de Los Angeles qui vient dans votre bureau un après midi d'été pour se refaire faire les seins. Elle se tient assise devant vous et se la joue Sharon Stone dans Basic Instinct au bout de même pas cinq minutes. Et puis il y a les femmes insatisfaites, sortes de trophées aux yeux de leurs maris richissimes, qui oublient de les dépoussiérer de temps en temps, elles prennent rendez vous pour des injections de bottox et je leur fais un package. Parfois ça ne sers que d'alibi et je ne travaille que les lèvres "muettes" si je puis dire, un peu d'humour ne fais pas de mal. Je fais don de ma personne, vous savez un train de vie spécial, à des années-lumières du quotidien du commun des mortels.

J'ai recours à la cocaïne, évidemment. Pourquoi s'en passer quand on peut s'en procurer comme n'importe lequel des quidam qui irait acheter sa ration de lait. Pour moi c'est un plaisir utile. Quand j'opère au bloc, je lance un vieux vinyle de la cinquième symphonie de Beethoven avant de me repoudrer le nez, tout deviens alors plus clair, c'est là que je me sens le plus proche de Dieu.

Oui, assurément, Dieu est grand et quand je ne ferais plus partie de se monde, je serais à ces côtés allongé sur un nuage molletonneux à spéculer sur les divers aspects du monde, parce qu'on se ressemble lui et moi.

On créer la beauté.

On donne foi à l'humanité.

On façonne la face du monde.

À condition de nous donner.

Et on vous le rendra.

Signaler ce texte