God sees no colours 1
elhys
Chapitre1 :
Prière de l’enfant
Sadako (1ère partie)
Kyoto, Empire du Dragon (Japon), 21 janvier 2043
- Danny Rosefield, président de la Communauté Internationale des Droits des Blancs, a déclaré ce matin-même, lors de la conférence annuelle des Blancs, son désir de renforcer l’Armée du Loup Blanc, afin d’y inclure une section relative à la protection de l’Alliance Immaculée. Les membres du Conseil qui…
Maman baissa le son de la télé. Sadako continua de manger tranquillement ses céréales, impassible. Ces histoires d’Armée du Loup Blanc et de Communauté Internationale des Droits des Blancs ne signifiaient pas grand-chose pour elle. Tout ce qu’elle savait, c’est que son école avait séparé les étrangers et les Natifs du Soleil Levant.
Elle savait également que, tous les soirs, ses parents regardaient la télévision avec une angoisse non dissimulée. Son père était un pacificateur, un membre du réseau international qui s’était créé afin de faire respecter les droits de l’Homme. Il risquait la mort à chaque seconde pour les actions de sensibilisation qu’il menait.
Maman n’arrêtait pas de dire que la vie avait changé, que plus rien ne se passait jamais comme avant, lorsque les Hommes vivaient en paix. Sadako était bien d’accord avec elle sur ce point d’ailleurs. Depuis plusieurs mois, elle ne pouvait plus discuter, jouer et sortir avec Hélène. Son amie française était née au Japon, où ses parents étaient venus s’installer à cause de leur travail. Ils avaient longtemps fréquenté la famille de Sadako. A présent, ils étaient confinés dans le butabako qu’on réservait aux étrangers.
Sadako leva les yeux vers sa mère et lui lança un regard complice. Maman passa la main dans ses cheveux et déposa un baiser sur son front.
- Dépêche-toi Sadako-chan, dit-elle. Tu vas être en retard pour l’école.
La petite fille s’empressa de terminer son bol de céréales, s’étouffant presque avec ses propres questions sur l’être humain et son fonctionnement bizarre. Tout avait changé tellement vite. Elle avait une amie. Elle ne l’avait plus. Des français venaient souvent chez eux. Ils ne venaient plus. Pire que tout, personne ne voulait répondre à ses questions. Aucun adulte ne semblait savoir réellement ce qui se passait.
Sadako se leva et, à ce moment précis, ses yeux tombèrent sur l’horreur absolue. A la télé, une femme blanche venait d’être pendue, à Shanghai, parce qu’elle avait voulu empêcher un milicien chinois de rouer de coups un enfant blanc, âgé de quatre ans. Les images étaient atroces. On montrait les larmes de la mère, les corps de l’enfant et de sa protectrice, évacués. Et ce texte…
La différence est un déshonneur… Soyez Natifs du Soleil Levant ou ne soyez rien…
***
Lorsque Sadako arriva à l’école, ce matin-là, leur maîtresse leur expliqua qu’ils allaient parler d’autre chose en ce jour fâcheux. Les pâles regroupaient leurs forces quelque part et s’apprêtaient à attaquer l’Empire du Dragon. Sadako avait toujours les yeux écarquillés suite aux images, si bien qu’elle ne put les ouvrir encore plus ronds – contrairement à ses petits camarades. A seulement douze ans, elle ne comprenait pas un certain nombre de choses sur le monde tel qu’il était. Pourtant, elle savait que le monde ne tournait pas rond. Elle en était convaincue, là, tout au fond d’elle-même. Quelque chose n’allait pas.
Pourquoi les adultes ne comprenaient-ils pas ce qu’ils faisaient ? Pourquoi les enfants étaient-ils les seuls à être tolérants ? Pourquoi refusait-on de comprendre que pâles, noireaux et bridés étaient tous frères ? Toute cette histoire la rendait triste. Que son père lutte dans l’ombre n’aidait pas beaucoup. Elle s’inquiétait pour lui, pour Maman, mais aussi pour Hélène et sa famille.
***
La maîtresse les libéra très tôt, ce jour-là. Maman n’étant pas encore rentrée des courses, Sadako fut ramenée par la mère de Keiko, une de ses camarades de classe.
- Tu as tes clés ? demanda Mishimata-san.
Mais l’enfant était concentrée sur tout autre chose. La radio retransmettait des informations de la capitale du Japon, vers laquelle son père s’était rendu afin d’organiser un raid.
- On nous apprend que la guerre a officiellement été déclarée ce jour, à neuf heures trente précises, annonçait la speakerine. Les pâles ont lâché les premières bombes sur Shanghai, Tokyo et toutes les capitales de l’Empire du Dragon. La riposte est prévue. Tous les hommes en âge de se battre seront appelés à le faire si…
Mishimata-san éteignit la radio. Sans doute afin de préserver sa fille.
Sadako tourna la tête vers l’extérieur et garda le silence, ressassant tout ce qu’elle venait d’entendre. Elle se mit alors à réfléchir à toute vitesse, cherchant ce qu’elle pouvait faire. De sa place, elle ne pouvait pas nécessairement changer ce qui se tramait dans le monde. Pourtant, elle pourrait certainement faire quelque chose d’où elle se trouvait. Les rues de Kyoto défilaient face à elle et la tristesse l’envahit.
Sa ville, son pays, le monde. Plus rien ne serait comme avant désormais. Le monde qu’elle habitait et qu’elle apprenait à aimer chaque jour davantage commençait à s’effacer pour céder sa place à l’enfer. Les Hommes avaient cessé d’être des frères. La Terre cesserait d’être leur foyer. Et Sadako trouvait que tout cela était juste. Si les créatures qui peuplaient la planète ne pouvaient cohabiter, alors ils devaient tous s’éteindre. Car le monde était plus ancien qu’eux.
Mishimata-san lui lança un regard inquiet dans le rétroviseur. Regard que l’enfant capta immédiatement. Elle fit mine de ne pas le remarquer et continua d’observer les rues qui défilaient. C’est alors qu’elle eut une idée. Une idée précise. Elle sut ce qu’elle devait faire.
- J’ai mes clés Mishimata-san, dit-elle d’une voix éteinte. Mais je dois aller quelque part avant !
Elle ne regarda pas Keiko lorsque cette dernière lui lança un regard interrogateur. Cette enfant ne l’intéressait pas. Sadako sentit monter en elle une pression incroyable. Ses joues rougirent légèrement et elle se renfonça dans son siège. Elle plissa les yeux et concentra son regard sur le Temple Shinto de Kyoto.
- C’est là que je vais ! déclara-t-elle, impérieuse, en montrant le bâtiment du doigt.
Il n’y avait que peu d’espoir mais elle devait essayer.
***
Arrivée en haut des marches, elle retira ses chaussures et entra en s’inclinant dans la salle des prières. Elle se sentit minuscule à l’intérieur. Elle passa une main dans ses longs cheveux noirs et regarda autour d’elle, impressionnée. Consciente que sa place d’enfant ne lui permettait pas de solliciter les Anciens, elle se faisait pourtant un devoir d’essayer et de réussir.
Devant l’autel, elle alluma délicatement un bâtonnet d’encens, se mit à genoux et frappa trois fois dans ses mains avant de les garder en position de prière. Elle fit lentement le vide dans son esprit, comme on le lui avait appris en cours de bonnes manières. Elle ferma les yeux et se concentra.
S’il vous plaît, Anciens, donnez-moi une réponse… Que dois-je faire ? Les docteurs qui m’ont fait passer les tests ont dit que j’avais une intelligence bien supérieure à la normale… Si c’est vraiment le cas… je dois pouvoir faire quelque chose…
Elle estima qu’elle avait dit tout ce qu’elle avait sur le cœur. Si elle pouvait véritablement faire quelque chose, les Anciens le lui montreraient. Elle se releva, éteignit l’encens, puis retourna dehors. Mishimata-san l’avait attendue.
- Tu as fini, Sadako-chan ? demanda-t-elle tendrement.
La petite fille répondit par l’affirmative et un sourire ravi se dessina sur ses lèvres. Elle laissait désormais le Destin décider pour elle.
***
Lorsqu’elle arriva enfin chez elle, Maman était rentrée. Sadako retira ses chaussures, enfila ses pantoufles et posa son cartable avant de la rejoindre dans le salon. Ce qui la frappa, c’est que sa mère pleurait. Inquiète, la petite fille s’avança et lui passa une main dans les cheveux. Elle ne sut que dire, que faire. Sa mère avait le visage enfoui dans ses mains. Ses sanglots étaient bruyants.
Sadako se dirigea vers la cuisine et en revint avec une tasse de thé au citron bien chaud qu’elle donna à sa mère. Cette dernière fut contrainte de sortir de sa torpeur. Elle posa la tasse et prit sa fille dans ses bras. L’enfant ne comprenait pas, une fois de plus.
- Nous devons être fortes Sadako-chan ! dit-elle, couvrant sa progéniture de baisers. Nous devons être fortes…
Alors elle comprit. Il était arrivé quelque chose à Papa. Il ne reviendrait certainement pas. Elle y avait pensé lorsqu’elle avait entendu que les premières bombes étaient tombées sur Tokyo, mais elle avait repoussé cette idée. A présent, elle devait se rendre à l’évidence.
Elle leva les yeux au ciel alors que des larmes s’y pressaient. Si c’était-là la réponse des Anciens, alors elle ne les solliciterait plus jamais. Son sang ne fit qu’un tour et la colère se mêla à la tristesse. La guerre était un fléau. Il devait être éradiqué. A cet instant, elle comprit le signe que les Anciens venaient de lui envoyer. A cet instant précis, elle eut une idée.
Si les armes ne pouvaient mettre fin à cette guerre, si aucun traité ne serait signé pour une paix durable, quelque chose y parviendrait. Cette chose incroyable. Un mystère de la nature qui emplissait de compassion le cœur de tous les Hommes…
L’Innocence…
Kyoto, Empire du Dragon (Japon), 22 janvier 2043
Sadako avait dit à Maman qu’elle irait à l’école à pieds ce matin-là. Elle avait donc enfilé son uniforme, coiffé ses cheveux, mis ses chaussures et pris son sac à dos. Elle avait embrassé sa mère, ouvert la porte d’entrée et était sortie. Elle avait pris le chemin de l’école. Cependant, elle avait omis de dire à Maman que l’école était fermée.
Elle avait laissé un mot pour Maman sur son oreiller, lui expliquant qu’elle se rendait à la Cité Interdite, où devait se tenir le Grand Triumvirat des trois dirigeants des couleurs. Elle avait décidé de mettre fin à cette guerre et, pour ce faire, elle leur avait écrit une lettre leur expliquant qu’elle avait perdu sa meilleure amie, que son papa était mort des suites de cette guerre et qu’il fallait cesser de se battre pour de mauvaises raisons.
Elle ne savait pas s’il s’agissait de courage ou de folie, pour autant, elle devait essayer. Elle traversa la rue marchande, prêtant attention au moindre bruit, au moindre mouvement. Paniquées, les femmes de la ville faisaient leurs courses quotidiennes tout en pleurant de peur. Plus personne ne parlait. Tous étaient attentifs aux informations diffusées dans les rues.
- Le Grand Triumvirat, qui se réunira le premier du mois prochain à la Cité Interdite, en Chine, devrait statuer sur la poursuite ou non des hostilités. Il va sans dire que tous souhaitent continuer cette guerre de suprématie. Nous vous tiendrons…
Sadako cessa d’écouter. Elle en avait assez entendu. Elle changea de rue lorsqu’elle vit une garnison de soldats pâles qui se dirigeait vers l’hôtel-de-ville.
Elle s’enfonça dans les ruelles sombres. L’ambiance et la peur qui régnaient dans ces rues malfamées lui firent immédiatement penser qu’elle avait peut-être fait une erreur. En plus, elle n’avait rien pris pour se défendre. Tout ce qu’elle avait, dans son sac, c’était sa lettre, un peu d’argent et sa peluche préférée. Elle portait l’uniforme de son école et avait tressé ses cheveux. Et elle n’avait que douze ans.
Elle accéléra le pas. Plus vite elle serait sortie de cette ville, plus vite elle retrouverait sa sérénité. Autour d’elle, tout semblait mort. Elle prit un instant pour s’arrêter, entendant un chat miauler. La bête semblait avoir peur. Sadako regarda autour d’elle mais ne le trouva pas tout de suite.
- Hé ! Toi ! cria une voix derrière elle.
Elle pivota et s’aperçut que six militaires pâles se tenaient à l’entrée de la ruelle. Terrifiée, elle se mit à courir à toute vitesse. Elle entendit à peine ce qu’ils lui crièrent.
- Arrête !
Elle bondit au-dessus d’une rambarde et monta à toute vitesse dans le premier bus pour Tokyo. Elle prit le temps de payer son billet et alla s’asseoir dans le fond. Elle s’étala de tout son long sur le siège, la tête appuyée à la vitre. Lorsqu’elle serait à la capitale, elle n’aurait plus qu’à prendre le premier avion pour Pékin.
- L’Armée du Gorille Noir marche désormais sur Pékin, bombardant la capitale. On dénombre déjà 7 morts et 14 blessés graves. Les portes de la Cité Interdite viennent d’être fermées au public. La…
Sadako céda au sommeil. Elle n’eut aucun rêve. Elle eut seulement une pensée, qui ne la quitta pas au réveil. Son acte était désespéré et sans doute inutile. Mais quelque chose en elle la poussait à agir ainsi. Mais, à cette question qui l’agressa dès son réveil, elle ne trouverait peut-être jamais de réponse…
Vais-je y arriver ?
Que ce soit à travers la haine ou à travers la peine, tu arrives à nous toucher ! Ce chapitre est plein de sensibilité, et j'aime tout autant ! Vraiment, cette histoire est captivante, et j'en veux plus, toujours plus !
· Il y a plus de 11 ans ·octobell