Gorge nouée

ake

Francine avança lentement dans l'allée de pins jusqu'au petit cottage dont il émanait une certaine agitation invisible à l'œil nu mais si palpable. Passée la porte son impression se vérifia, une jeune femme empressée passa devant elle les bras chargés de fleurs et lui adressa un petit sourire avant de disparaître aussi vite qu'elle était apparue.

Elle continua son chemin, prenant le temps d'apprécier les effluves des mets provenant de la cuisine auxquels se mélangeaient, le parfum des bouquets de fleurs qui se trouvaient ci et là. Il ne lui fallut pas longtemps pour traverser le salon et arriver sur la terrasse où elle s'arrêta.

Lui faisant face, une petite rotonde de couleur blanche se trouvait entre deux bouleaux, du lierre, ainsi que des roses grimpantes lui donnaient un petit côté romantique qui ne manquait pas de charme.

Quelques chaises de bois auxquelles on avait accroché des roses et des branches de fougère se trouvaient autour. L'herbe était assez haute, drue et verte, dans le jardin autour se mêlaient des iris, des azalées japonaises, du muguet, derrière la rotonde se dressaient fièrement des pommiers en fleurs. Toutes ces senteurs se mélangeaient créant une odeur suave et délicate cadrant parfaitement avec ce temps de Mai.

Francine s'appuya sur la barrière et laissa ses pensées vagabonder. Bientôt une petite vingtaine de personne se trouverait là pour partager un moment important pour certains, d'autres le considéraient avec dérision, mais elle était sure que pour eux se serait un bonheur immense. Elle soupira et s'installa à l'écart à l'abri des regards attendant que tout se mette en place, observant les allées et venues de jeunes femmes ou de jeunes hommes de ses yeux noisette un peu brumeux.

Bientôt les invités commencèrent à arriver et s'installèrent en couple ou en famille commentant tout ce qui les entouraient, personne ne prêtant attention à la silhouette qui se trouvait un peu à l'écart et qui ne semblait pas prendre part à la liesse générale.

-Tu n'aurais pas dû venir.

-Il m'a invitée et je n'avais aucune raison de refuser.

-Francine...tu vas te faire du mal.

-C'est à moi seule d'en juger.

Elle ne regarda même pas celle qui avait été une amie pendant si longtemps s'éloigner, fixant un point au loin qu'elle seule pouvait voir. Les murmures commencèrent à se calmer et la musique commença. Il s'avança aux bras de sa mère et Francine ressentit un drôle de pincement au cœur. Il marchait le regard fier, un léger sourire aux lèvres, de là où elle s'était assise elle ne voyait que son profil, son nez fin, ses lèvres fines, son menton volontaire, sous ses épais cheveux noirs elle devinait ses oreilles décollées. Bientôt elle ne vit plus que son dos aux épaules larges à cause d'entraînement de natation intense.

Ses yeux la piquèrent un instant, peut-être à cause du pollen qui l'entourait. Les autres firent leur entrée mais elle y resta insensible se contentant de le regarder. Cela faisait longtemps qu'ils ne s'étaient pas vus, il n'avait pas ses petites rides au coin des yeux quand il souriait.

Des applaudissements la sortirent de ses souvenirs elle se leva et suivit le mouvement. Ils se rassemblèrent sous une tente où l'on avait installé le buffet. Francine se servit une coupe de champagne et encore une fois se mit de côté observant le petit groupe qui riait, discutait, mangeait comme il se doit dans ce genre de célébration.

Une main se posa sur son épaule nue mais elle ne retourna pas, ce toucher elle l'aurait reconnu entre mille.

-Merci d'être venue.

-Je l'ai fait pour toi.

-Je sais c'est pour cela que je t'en remercie.

La main se resserra, si chaude, elle était si chaude, pourtant elle ne sentait que le contact de l'anneau de métal froid qu'il portait à l'annulaire.

-C'était une belle cérémonie et tout le monde à l'air de s'amuser.

-Oui et j'en suis ravi.

-Philippe.

-Oui ?

-Tu es heureux n'est ce pas ?

Elle se tourna vers lui plongea un regard inquiet dans les yeux d'un marron si foncé qu'il semblait noir. Oui le temps avait fait son œuvre mais il n'avait rien perdu de son charme, il lui sourit et elle eut la réponse à sa question. De toute façon il n'avait jamais pu lui mentir un seul regard et elle savait.

-Oui.

-Alors moi aussi je le suis...Va retrouver tes invités.

-On se revoie tout à l'heure ?

Francine hocha la tête et Philippe s'éloigna avant d'atteindre la piste il se retourna une dernière fois et constata sans grande surprise qu'elle n'était plus là. Un ami lui passa un bras autour des épaules et il se mit à rire avec lui.

Une silhouette s'éloignait du cottage, les bruits de la fête lui parvenaient de plus en plus loin mais elle n'y prêtait aucune attention. Son esprit était parti dans un passé, pas si lointain, un jeune homme aux yeux marrons foncés, elle l'avait aimé longtemps sans oser le lui avouer par peur de le perdre, peur qu'il ne partage pas cet amour et de perdre cette amitié qui comptait tant pour elle. Résultat il en avait rencontré, puis aimé une autre, celle là même avec laquelle il venait de s'unir, un sanglot brisa le silence de la nuit.

Le temps avait passé, et contrairement à ce qu'on dit dans les livres s'il avait apaisé sa peine, il n'avait pas effacé le souvenir de cet homme. Francine avait essayé d'en aimer d'autres mais aucun n'était resté, sentant inconsciemment la présence du souvenir de Philippe.

Lorsqu'elle avait reçu l'invitation pour son mariage une douleur sourde l'avait envahie mais pas assez...non pas assez.

C'était le pourquoi de sa présence ici, se briser le cœur pour et le laisser s'en aller car elle le savait, une fois marié il n'y aurait pas de retournement de situation et jamais il ne divorcerait.

Francine se retourna une derrière fois contemplant la silhouette d'un homme au visage grave qui venait d'apparaître au bout de l'allée. La clarté de la lune lui révéla un visage sombre, et lui ne pouvait que constater avec impuissance le visage ravagé par les larmes de celle qu'il avait toujours aimé et qui ne lui appartiendrait jamais.

Signaler ce texte