Grand principe n°3 : L'heure de vérité

noiprox

9 novembre 1987, 5 heures du matin. Alors que mes muscles mous et encore endoloris par neuf mois d'enfermement venaient de déchirer l'orifice de ma génitrice et que mes premiers cris fendaient l'air aseptisé de la maternité, une femme en blouse blanche dit à ma mère que j'étais parfait. Alors que j'avais le visage fripé et que mon corps, encore maculé de sang, était potelé façon pâte à modeler. Dès les premières minutes de ma vie, je compris donc que la vérité ne serait jamais qu'une question de subjectivité.

Dans mon enfance, Père Castor n'est pas le seul à m'avoir raconté des histoires. Profitant de ma candeur, une vieille se faisant passer pour ma mère a voulu me faire croire qu'un homme avait marché sur l'eau... J'ai vérifié et pour ne pas tomber dans l' eau, un homme normalement constitué doit aller à plus de 80 km/h. Je n'ai jamais vu un homme marcher à plus de 80 km/h mais j'ai remarqué la douce hypocrisie qui se cachait derrière les vitraux à double foyer de ma prof de caté. Elle tenta alors de me soudoyer à coups de cartes de saints "à collectionner" mais j'échangeais déjà ma croix de baptême contre une sacoche de 30 pogs, crucifiant ainsi ma ferveur catholique sur l'autel du capitalisme.

La dernière fois que j'ai croisé cette vieille institutrice de primaire, elle urinait entre les rayons surgelé du MUTANT, le hard discount d'à côté. Je m'en souviens bien, c'était ma période Pokémon. Je venais acheter des piles pour ma Game Boy et jamais ce jour là, je n'aurais imaginé qu'elle me donnerait sa dernière carte. Saint Judas, le patron des causes perdues. Aujourd'hui encore, j'ignore s'il s'agissait simplement de sa folie hystérique ou au contraire d'un instant de clairvoyance mais son dernier geste m'a touché. Littéralement, elle a fait un arrêt cardiaque entre le poisson pané et les steaks haché, me laissant dans la main un bien sombre destin...

Plus tard, j'apprenais que si Judas était le saint patron des causes perdues, c'est avant tout parce qu'il réalisait de grands miracles pour les cas désespérés. Le soir même de ce jour, je faisais mon unique crise d'épilepsie devant "The Ring". Projeté dans un univers proche de l'effet du LSD, je vis la vieille scintiller telle une lueur d'espoir, ou de pitié. Elle disparut dans un instant bref mais intense. Je revins à la vie avec un arrière-goût de moisi et la certitude de vouloir faire quelque chose de ma vie.

Et depuis, j'écris...

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