Grand Principe n°5 : La messe est dite.
noiprox
Réveil. Clope. Paquet vide. Fais chier.
Besoin de nicotine exacerbé pour désintoxication post-soirée. Reprendre une vie normale pour s'échapper du mal. Comme chaque dimanche midi, je dois courir au seul tabac ouvert de toute la ville, stratégiquement situé à côté de l'église et rempli de parieurs sermonnés mais assoiffés. Et puis, il y a Roger (présenté ici).
Aujourd'hui est un événement. Son grand frère est en visite exceptionnelle pour l'enterrement de leur mère maternelle, dont le portrait accroché à l'entrée me fait penser à ce yaourt périmé resté trop longtemps à squatter un rayon frais de supermarché. Ce qui est assez vrai puisque tous deux ont fini dans un container alimentaire pour invertébrés. Mais contrairement à ce pot de yaourt, cette brave femme avait élevé seule deux enfants, l'un d'eux avait même réussi et aujourd'hui, ils sont réunis pour célébrer la fin de sa vie.
Contrairement à ce que l'on pourrait croire, ce n'est pas Roger qui a réussi mais son frère, que tous les habitants du quartier assez âgés pour l'avoir vu naître surnomment affectueusement Dédé, même s'il s'appelle Alain. En réalité, ce surnom est l'essence même de son succès, puisque c'est par une folle nuit de beuverie qu'il inventa le concept dans lequel il investit : le théorème du Double Date, selon lequel "Tout individu féminin répondant aux critères de présélection fera l'objet de deux invitations successives ayant pour finalité l'évaluation de leur taux d'attraction réciproque". C'est grâce à cette méthode qu'Alain devint coach pour handicapés sexuels et trouva la femme de sa vie, la seule qui n'ait jamais compté jusqu'à la procédure de séparation des biens.
Comme son nom l'indique, le Double Date est une méthode qui permet en seulement deux rendez-vous de définir la nature de la relation qu'il est possible d'entretenir avec l'individu du sexe opposé rencontré. Du silence radio à la régulière en passant par le PQR, Dédé a longuement étudié les stratégies de séduction afin de donner aux hommes les armes de la conquête féminine. Inspiré par l'oeuvre de Sun-tzu "L'art de la guerre", il a ainsi établi une liste de commandements à respecter parmi lesquels les fameux "A la poursuite du point G" et "Octobre rouge" (disponibles prochainement sur ce blog).
Le premier rendez-vous s'est bien passé. Les premiers rendez-vous se passent toujours bien étant donné qu'il n'y s'y passe rien. Comme l'explique Dédé dans son Manuel de sexe en société, seuls 15% d'entre eux aboutissent à une interaction de type génital, simplement parce que leur rôle est de confirmer d'éventuelles affinités et de définir l'état de manque affectif dans lequel se trouve l'individu attablé opposé. C'est par ailleurs pour cette seconde raison que 85% des femmes ne couchent pas le premier soir.
Il faut donc un deuxième rendez-vous et c'est là le génie de ce concept puisqu'il permet de comprendre de façon approfondie les comportements de l'individu désirable en environnement social. J'ai donc accepté de la revoir, le temps d'une soirée improvisée qu'elle avait planifiée. Nous sommes dans la nuit noire d'un vendredi soir et je viens d'arriver à l'adresse indiquée. J'appelle. Elle descend, on monte. Elle pousse la porte, on entre et en quelques secondes à peine, je me retrouve seul au milieu d'un minuscule appartement bondé. Elle me demande ce que je veux boire et, considérant le nombre d'étudiants beurrés au mètre carré, j'opte pour un whisky coca bien dosé. Elle me sert un coca-despe (pour ceux qui se posent la question, le coca ne sublime en rien le goût de la despe) et repart trouver ses amies me laissant ainsi seul et à la recherche de whisky.
Pendant de très longues minutes, je ne suis rien d'autre que la réponse à la question "C'est qui?" que les yeux fixes des invités semblent se poser. Personne ne m'a été présenté mis à part la fille sur qui je viens de renverser accidentellement mon verre, poussé par un colosse deux mètres. Elle me montre son fessier et me dit qu'il est trempé. Je lui réponds que le coca-despe ne peut pas tâcher mais lui propose toutefois d'éponger. Elle ne pense pas que son copain apprécierait, s'éclipse et me ramène à mon statut de plante verte, un verre dans la main et ma veste sur le dos.
A vue de nez, il y n'a pratiquement aucune chance que je puisse passer une bonne soirée. Le fond de whisky qui traîne est mon seul ami, et lorsqu'on me fait remarquer j'ai très soif, je réponds que l'alcool trompe l'ennui. Il n'en faut pas plus pour que je finisse en conversation avec le géant, qui a cessé de me pousser pour me parler des techniques de tampon encré dans les processus d'impressions offset et des trois tours du monde et demi de papier qu'ils ont jetés la dernière fois que les feuillets FINAREF ont été imprimés. La soirée est lancée.
Quelqu'un capte mes appels à l'aide, sans doute ne suis-je pas la première victime du troll de l'imprimerie. Une petite mais néanmoins belle brune se présente à moi comme l'amie de celle qui m'a fait venir ici. Je commence à dire bonjour à plein de gens tout en triant dans ma liste de remarques pertinentes lesquelles je pourrais utiliser dans une soirée dont le thème est visiblement "crier et sauter". Heureusement, le propriétaire des lieux hurle plus fort encore que les autres dans un mégaphone, le groupe obéit à ses cris et se dirige vers le dernier hype club ouvert en ville et découvert par les suppôts de Vice magazine.
La déco me fait penser à cette vieille émission des années quatre-vingt, Lunettes noires pour nuits blanches. Lourds rideaux de velours sombres pour néons rouges et bleus projetés dans les yeux qui me permettent de déceler les silhouettes agitées. Je grimpe les escaliers pour arriver au sommet et "contempler la foule de cette salle mouvante qui aspire les jeunes enivrés de vie vers les ténèbres de la décadence", comme je l'explique à la forte femme occupant les deux ou trois tabourets d'à côté qui me regarde maintenant en hochant la tête d'un air que je ne saurais décrire. Je me rends compte que suis devenu la réponse à la question "C'est qui, lui?".
Qu'importe, il devient évident que ma place n'est pas ici. Je commande deux tek paf mais la grosse a fui, m'offrant ainsi un balcon sur les pas de danse millimétrés de celle qui m'avait invité pour me délaisser. Mais c'est en voyant les deux shots arriver que les conseils du Double Date me reviennent en tête. " Sel, tek, citron, sonnent l'heure de la conclusion. Au terme de la deuxième rencontre vient le temps de la décision ". Sel, tek, citron, le shot résonne sur le bar tel le marteau du juge intransigeant qui vient de prononcer un verdict sans appel. L'audience est levée, je quitte la salle.
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