Grand un
leeman
Je m'assois sur ce banc, avec papa. C'est déjà le soir, c'est déjà bientôt l'heure d'aller dormir. Il fait nuit, ou pas encore. Je sais pas si tout est plongé dans le noir ou pas, parce que j'ai les larmes qui pendouillent au creux endormi de mes yeux, prêtes à couler. Ça fait 4 heures que papa me parle de choses que je ne comprends pas, de choses trop adultes. Moi je suis un petit garçon, c'est tout. Les histoires de grands c'est pas pour moi, ça ne sera jamais pour moi.
Bref, je reste assis, je balance mes jambes et je regarde par terre, et là j'entends :
"Pierre, c'est le dernier dimanche que tu passeras avec papa."
Je ne comprenais pas, ou du moins j'ai fait semblant de ne pas comprendre. Alors j'ai relevé mon regard et je l'ai regardé. Je lui ai demandé pourquoi. Il m'a murmuré qu'il m'aimait. Il m'a murmuré qu'il ne m'oublierait jamais. Moi j'ai pas compris. Ou du moins moi j'ai fait semblant de ne pas comprendre. Et le vent soufflait fort, très fort, j'ai cru que j'allais m'envoler. J'ai cru que j'allais devenir un ballon qui s'en va loin dans le ciel et qui ne revient pas. J'ai cru que j'allais me transformer en avion, comme ceux avec lesquels je joue quand je suis avec papa. Moi je l'aime mon papa. Même si je ne le vois pas beaucoup.
Parfois je le vois qui pleure, alors je pleure aussi. Et aussi il sourit, mais plus souvent qu'il ne pleure, alors moi aussi je souris, parce que c'est joli, de sourire. Moi je ne connais pas la nostalgie. Je suis un petit garçon, et je ne connais pas toutes ces choses là, ces choses de "grands". Et puis il regarde sa montre, à la limite du splendide, elle est belle. Moi j'en ai une aussi. Mais elle en est plastique. La sienne elle brille, la mienne est bleue. Je crois que c'est du plastique, c'est peut-être le même que celui des avions avec lesquels je joue avec papa.
Et puis il a soupiré. Moi j'ai reniflé. J'avais attrapé froid, ou du moins j'ai fait comme si j'avais attrapé froid, pour que mon papa me soigne. Car j'ai besoin de mon papa. Oui. Je suis encore innocent, mais j'ai bien compris que mon papa allait pas bien. Il va pas bien comme moi, quand je pleure parce que j'ai mal au genoux, ou quand je me suis fait un bobo. Mais lui ça semble plus grave.
Mon papa c'est un poète. C'est un peu comme un prophète, ou un voyant, c'est celui qui éclaire devant moi, pour pas que je tombe avec mes petites jambes, et qui me montre ou aller. C'est un guide. Et souvent, je vois beaucoup de garçons comme moi, dans ma classe, qui se fâchent beaucoup avec leurs papas. Je ne sais pas pourquoi, c'est trop de cris et trop de pleurs, ça me rend un peu triste. C'est toujours mieux de bien s'entendre avec son papa.
Le soleil il se couche, comme moi quand je vais faire dodo. Mais si ! Tu sais ! Il fait très jour, et puis d'un coup, quand tu fermes les yeux, c'est tout noir. C'est tout vide. J'ai l'impression d'être ailleurs, mais pas là ou je suis, moi je vois beaucoup de choses. Comme petit garçon qui rêve beaucoup, qui rit et qui est content pour rien, ou parce qu'on lui a offert des bonbons ou un avion en plastique pour jouer avec papa. Ça fait longtemps qu'on est là, et ça fait longtemps que papa regarde l'horizon. Je ne sais pas ce qu'il lui trouve, parce que moi je ne suis pas encore comme ça. La nature c'est joli, mais je suis encore trop petit pour qu'elle soit agréable à contempler pour moi. Au loin et au milieu c'est tout rouge et tout brillant. Ça pique mes yeux. Alors je pleure, mais pas parce que j'ai mal. Papa me prend maintenant dans ses bras, et me serre fort, comme si j'étais un oreiller de plumes, tout léger.
Il me dit des choses, je ne comprends pas encore. Elle lui manque, apparemment. C'est triste de le voir comme ça. Moi j'aimerais bien qu'il aille mieux mon papa. je sais que c'est dur pour lui. Il est tout le temps tout seul, et je sais que ça lui fait du mal. Il est malheureux, mais je fais tout pour le faire sourire, car moi quand je le vois pleurer je pleure aussi. Il faut le consoler son papa. Même si on est trop petits pour le comprendre, il faut essayer de lui montrer qu'on est là pour lui.
D'ailleurs, ça fait longtemps que je n'ai pas vu maman. Je ne sais pas où elle est passée. Ça fait quelques mois que la maison est vide quand on rentre papa et moi, alors que chez mes copains il y a une jolie dame qui attend et qui sourit dès qu'elle voit son rayon de soleil. Mais en fait si, je sais où elle est ma maman. Elle est partout. Même si mon papa et ma maman ne sont plus ensembles, ils sont tous les deux dans mon cœur. Oui. Je les chéris dans mon petit coin à moi, le petit coin ou personne ne peut aller. Mais ma maman elle est aussi dans les nuages. J'ai d'ailleurs l'impression que c'est elle qui fait souffler les cotons d'en haut, comme si elle disait à papa qu'il fallait avancer dans la vie.