Granny
eaurelie
Je ne vais pas vous parler de Madame Nicolle M. Personne trop rarement rencontrée. Seulement lorsque je décrochais le téléphone et que je tombais sur un démarcheur téléphonique. Je ne vous parlerai pas non plus que Nicolle B. Non, je ne la connaissais pas.
Non. Moi, je vais vous parler de Granny.
Je m'appelle Aurélie et je suis la petite fille n°1 et la petite enfant n°2. Bizarre à dire mais c'est ainsi.
Je vais vous parler de Granny. Granny, on est beaucoup à la connaitre ici. Au moins 6. Et ensuite, elle avait beau répondre au nom de "maman", on a fini par être beaucoup plus à l'appeler ainsi. Parce que, vous comprenez, lors des réunions familiales, surtout quand on était petits, çà faisait beaucoup de mamans d'un coup pour nous. Donc, Granny, c'était Granny.
Granny, elle a toujours été vieille hein. Granny, quand on était petit, on était persuadé qu'elle était née vieille. Comme les parents. Papa et Maman, ils sont nés d'un coup, pouf! Comme çà. Ils étaient pas vieux, ils étaient grands. Des Grandes Personnes. Et nous, idiots, on jouait au Papa et à la Maman au lieu de jouer aux enfants. On est bête. On passe notre vie à être bête, à vouloir tout ce qu'on a pas.
Mais je m'égare.
Granny, quand on allait chez elle, c'était comme si on allait dans un autre monde. Si, si. Y'a qu'à voir le placard du bureau de Grand Père. De notre temps, il était rempli de cartons de jeux. Pleiiiins de jeux vieux qui sentaient bizarre. Et le comble du comble! Y'avait un théâtre de marionnettes. Et là, chez Granny, c'était LE monument sacré. Chez Granny, çà craque de partout. çà sent la cigarette et çà restait imprégné jusqu'à la maison. Longtemps. Et même que Maman, elle scrognognotait un peu.
Chez Granny, on mangeait des légumes. Horrible. Des légumes de toutes les couleurs, de toutes les formes. Avec Sylvain, on avait de la chance, on aimait çà. Alors, pour nous, c'était pas dur. Mais avec les autres.. La petite bande qui suit.. Là, c'était toute une aventure.
Mais Granny, elle me faisait de la purée de carottes quand j'avais mal aux dents parce qu'elles poussaient et elle savait que j'aimais çà. Vraiment çà. Et quand j'ai vécu chez eux, elle m'avait prise en traitre en me faisant manger des "rognons". Mange, mange qu'elle me disait avec un grand sourire, tu vas voir c'est très bon!" et j'ai mangé. Noyés sous la sauce, j'avais des petits "champignons" qui m'attendaient. Alors j'ai mangé et j'ai aimé. J'ai beaucoup plus dégusté quand elle m'a expliqué ce qui se cachait derrière le terme "rognons".. Ahem.. Par contre, je n'ai jamais pu me résoudre à manger la moëlle du Pot au Feu. Nan, là, c'était bien trop.. explicite. Rien qu'à la vue. Mais pour vous dire, chez Granny, on vivait des aventures culinaires à chaque détour de fourchettes.
Elle nous faisait des super plats, des super gâteaux. Elle se pliait en soixante six pour nous. On pourrait en raconter des heures des souvenirs, vous savez. Mais au final, cette vision de la Grand Mère "classique" entre guillemets s'est effacée en vieillissant.
On était petit, on faisait des scandales appelés caprices, on pestait, on criait, on pleurait, on détestait. On faisait tout sans demi mesure. Et tout sans demi mesure, çà voulait dire croire que tout est éternel.
Et çà, même à 23 ans, j'y croyais encore.
Granny, elle appartenait à deux mondes à la fois. Surtout quand elle nous disait en riant on dirait ton père quand il avait ton âge! Alors là, on s'arrêtait d'un coup et on ouvrait de grands yeux devant cette nouvelle incroyable Quoi? Il a eu mon âge? Vrai? Et là, pressée de questions, elle allait chercher un album photo et elle nous montrait des photos incroyables, un peu passées, un peu floues. D'un autre monde. Et elle nous racontait. Elle racontait à nos grands yeux écarquillés, à nos bouches ébahies et à nos oreilles grandes ouvertes. Et elle nous laissait ricaner comme des bécasses quand on tombait sur des photos compromettantes de nos parents plus jeunes. N'empêche, elle nous a donné des moyens de pression diaboliques sans le savoir. Donne moi de l'argent de poche ou j'envoie la photo de toi en petit polo et culottes courtes à tous les gens de ta boite! Mouahaha! Sadiques, nous étions.
Granny, je sais même pas quel âge elle avait. Je sais pas. çà me rappelle le livre que je lis/lisais/était en train de lire. Un livre qui dit au début que tous les adultes de l'ile connaissait le prénom des enfants. Mais que, eux, les enfants, n'avaient pas à se soucier de savoir leur prénoms à eux. Moi, tout ce que je sais, c'est qu'elle a arrêté de vieillir vers 65 ans. Elle a arrêté de vieillir et elle a embelli, année après année.
Peut être que vous comprenez mal ce que je veux dire par là. Alors il ne faut pas. Je veux juste vous dire que Granny était belle. Intouchable. Intouchée par le temps. Elle a passé toutes les années sans prendre une ride. Elle est restée telle quelle. Physiquement. Elle est restée belle. Fixe. Là.
Et nous, on a poussé. On a grandi, on a fait nos choix, on s'est trompé, on a galéré, on a lutté. Beaucoup pleuré parfois, beaucoup souffert pour d'autres. On a mûri. On a fait des études, on est brutalement devenu des grands. Et Granny est restée là.
Et nous, moi, grands idiots, idéalistes, Grands Espérants, on.. Je me suis dit : Allez, on peut y aller. De toute manière, elle était là au début, elle y sera encore là. Alors, on appelle pas, on appelle peu. On se dit qu'on va aller les voir plus tard. Et on devient des Grands. Le temps nous attrape par derrière et il nous lâche plus. On perd notre temps et on dit qu'on en a pas. Et on laisse filer des occasions parce qu'on croit avoir autre chose à faire. Et le temps qui continue à nous pousser derrière. Nous pressant. Allez, Allez, bouge. Tu n'as pas le temps!
Et on se retrouve à 23 ans.
Quand on regarde derrière, on réalise que 10 ans, çà ramène en 2003 et pas en 1993, comme me l'a fait remarqué en riant une amie. Et on a un bug.
On se retrouve à 23 ans et on réalise que notre Grand Mère n'est pas une Grand Mère Cliché. C'est une Grand Mère Copine, une Grand Mère femme, une Grand Mère humaine. Si, si. Hu-mai-ne.
On se retrouve à parler pendant des heures devant le café, l'ordinateur ou même sur le divan. On parle, on parle, on parle et on partage. On partage. J'ai grandi avec ma Grand Mère. Elle m'a écoutée, elle m'a soutenue, elle m'a encouragée, elle m'a embellie, elle a cru en moi. Elle a lutté à mes côtés. A elle, je lui ai raconté des choses que je n'ai jamais dites à mes parents. Elle m'a écouté. Elle savait des Choses classées TOP SECRET. Avec le sceau et tout et tout.
On parle et puis, par hasard, on se retrouve au cinéma, à la même séance, un certain après midi pour voir un film magnifique. Alors ensuite, on parle d'aller au cinéma ensemble. On échange sur nos avis.
Et comme je lis beaucoup, qu'elle le sait, elle prend des livres à la bibliothèque et puis elle m'en parle. Elle devait me passer son livre actuel. Elle avait du mal à le finir qu'elle me disait. Elle m'a fait connaitre une auteur incroyable : Claudie Gallay et cette merveille restera à jamais associée à elle.
J'ai vécu chez eux pendant un an. Les études compliquées et un mal être persistant m'ont fait revenir chez mes parents mais je crois qu'un lien s'est tissé à ce moment là. Moi, en tout cas, j'en ai tissé un. Avec Elle. Et avec Grand Père. Un Chacun, un Unique. Et Un qui bouge pas. Je suis restée longtemps sans aller les voir. Et puis, Solène est venue vivre chez eux et çà a été le déclic. Et puis ensuite, je suis revenue. Ponctuellement, fréquemment.
Elle a connu toutes mes histoires de vacances. Elle savait et elle riait. Quand je rentrais, c'était elle que j'allais voir pour raconter. N'en déplaise à mes parents! Elle regardait les photos, m'écoutait parler et on parlait, parlait, parlait...
Je suis partie à Bordeaux ensuite. Et à chaque fois que je remontais, c'était chez eux que j'allais en premier. Parce que ma grand mère, à défaut d'être une grand mère, c'était mon amie.
Et pardon. Mais à Noël, ma conviction d'enfants m'a fait choisir volontairement de ne pas être là. J'y ai bien pensé qu'on allait dire que c'était peut être son dernier noël, sa dernière fête familiale. Et moi, je voulais faire un grand pied de nez à cette peur. Je voulais mettre les pieds bien à plat dans le sol, me dresser devant la peur et lui faire " va voir ailleurs ". Je voulais vaincre. Je voulais croire que non, çà ne serait pas le dernier. Alors vous m'en avez voulu. Mais elle, non. Elle, elle a compris. Du moins, elle me l'a dit. Alors je n'ai pas de regret, pas de culpabilité. En rentrant de mes vacances, je me suis dépêchée d'aller chez eux. Parce que je n'avais pas le choix. Il fallait que je lui raconte, que je lui dise que j'étais désolée. Mais elle ne m'en a pas voulu. Elle voulait savoir comment çà s'était passé et je lui ai raconté.
J'avais pas vraiment de secrets avec elle. J'étais une adulte encore gamine sur les bords. C'était ma Grand Mère et mon amie.
Je suis peut être idiote mais j'y croyais. J'y croyais. J'y croyais dur. Je lui avais parlé de Bordeaux, de ma nouvelle ville. De ma nouvelle vie et j'y croyais super fort. J'y croyais. J'avais presque réservé sa chambre dans mon hôtel. J'avais tout prévu, tout organisé et j'imaginais déjà les voir dans ses murs si particuliers. J'y croyais. J'attendais le mois de Mai. Mai, c'était bien.
J'avais pris des photos de mon bonzaï pour lui montrer comment il avait poussé et comment il était à nouveau beau, beau, beau. J'avais encore douze mille trucs et demi à lui demander sur les bonzaïs. Elle, elle avait Herbert. Herbert, c'est son Bonzaï. Un monument familial qu'elle avait confié à mes soins un été mémorable où on s'était tous battus à la maison pour qu'il ne perde pas de feuilles. On avait lutté et moi, j'avais pesté. J'avais peur de lui rendre tout fripé et tout chauve alors à chaque feuille jaune tombée, c'était un tombeau d'injures et d'imprécations divines qui se déversaient sur cette pauvre plante. Il en a perdu quelques unes.. Et Herbert est venu. Parce qu'Herbert, çà lui allait vachement bien au teint. Il est resté vert avec ce nom et il est resté Herbert même à la maison. Chez eux.
Moi, j'attendais qu'elle sorte de l'hôpital. Je m'en faisais pas. Je me disais Allez, elle va se remettre, çà va aller. Et puis, comme on est loin, on réalise pas. On attend et on s'inquiète pas. Ou si peu.
A l'heure où j'écris ses mots, sa mort ne veut rien dire. Le mot n'a aucune signification. Je sais mais je n'admets pas. Je suis en plein déni. Pour moi, elle va arriver ici toute étonnée en se demandant ce qu'on fait là.
Ma Grand Mère, je l'aimais du plus profond de mon cœur. Mais je voulais qu'elle voie mon amoureux, qu'elle assiste à mon mariage, qu'elle soit arrière grand mère. Je voulais tout çà. Même le cancer ne voulait rien dire. Pour moi, elle allait dépasser tout çà.
On reste à jamais des enfants qui croient à l'éternel finalement.
Ecrit le 14 de 2013 pour une lecture prévue le 16. Impossible de trouver ma voix, ma respiration ni même la force de me lever et de tenir devant eux..
· Il y a plus de 10 ans ·eaurelie