Gueule de bois

etreinte

C'est un flou que l'on pourrait presque qualifier d'artistique que celui qui nous étreint lorsque le gramme d'alcool dans le sang commence à être franchi.
"Heeeeey, mes couilles sur ton nez ça fait des Raaaay-Baaan !" m'interpelle un pote que j'avais perdu de vue en entrant dans la boite, me laissant suggérer qu'il n'avait pas vu venir le verre de trop. Je le repousse gentiment d'une main, faisant mine de danser pour ne pas faire tâche au milieu de cette masse transpirante de prisonniers cherchant à s'évader de leurs semaines. Le week-end est une liberté conditionnelle dans cette vie où l'on est tous condamnés à mort. Je pose mon gobelet sur mes lèvres - y avait-il un peu de coca au moins dans ce whisky ? - et je pense à toi. A ce que tu pourrais être en train de faire pendant que je suis là, à faire semblant d'être heureux.
Est-ce que tu penses à moi encore un peu ?

Soudain, la musique s'arrête. Facétie du DJ, à fond sur ses platines, qui fait monter progressivement une nouvelle instru élec-trop-commerciale.
Et voilà. Welcome to St Tropez. J'aurais dû m'en douter.
Un mec me bouscule. Je me retourne et je comprends. Je me tenais trop près de la meuf qu'il essayait de draguer, en se collant à elle sur le rythme de ce que j'ai beaucoup de mal à appeler " musique ". Elle joue avec ses cheveux, dandine du bassin en pliant les genoux, et je la plains. J'ai un scoop pour vous mesdames : le prince charmant a laissé tombé le cheval blanc. Aujourd'hui, il arrive la bave aux lèvres, et la main dans le caleçon, celle-là même qu'il s'autorise à laisser traîner sur vos corps, votre désespoir commun comme seule permission.

Je repense à toi. C'est peut être un mec comme ça qu'il te fallait. Grand, beau, confiant, entreprenant, tout ce que je ne serai jamais. Je sens les larmes monter. Putain. Je chiale, et tout le monde est trop occupé pour le remarquer.
A cause de mes larmes, mon chagrin est amphibie, voilà pourquoi je n'arrive pas à le noyer. Mes doigts sont collés à mon gobelet à force d'en renverser partout. Mes joues sont une scène de crime où perlent les preuves que je t'aime encore.
Faut que je prenne l'air. La chaleur, la transpiration, l'alcool, la luxure, l'hypocrisie, le week-end, les gens, l'amour, le monde, tout ça m'étouffe.
Je fais signe à mon pote pour l'avertir de mon intention de me barrer. Sa seule réponse :
"Et mes couilles sur ta gorge, ça fait dindon !"
Oui, je sais, et ma bite sur ton front ça fait licorne, j'ai compris.
Je traverse la piste, bouscule deux ou trois couples éphémères, interrompt dans leur french kiss une blonde et une brune, et après cette épreuve de survie, j'atteins enfin la sortie.

Un groupe de copines en pause clope me dévisagent, je ne devais plus marcher très droit, mais je ne m'arrête pas. Je m'éloigne, je titube, et je m'égare dans les rues et dans mes pensées, qui vont encore à toi.
Je ne sais plus où je suis, ni où je vais, ni même qui je suis.
Perdu, nulle part, personne, dans l'ordre.
Sans toi je ne suis rien. Tu étais mon alcool. C'est de toi que je m'enivrais.
Et depuis notre rupture, j'ai bien du mal à me remettre de cette gueule de bois

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