Guillotine

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J'ai accroché des chaînes à mes chevilles. La rouille me crée des écorchures, lorsque je déambule. J'ai jeté les clefs du haut de ma tour dorée, je marche d'un pas lent, car à chaque enjambée la douleur me lance.

 

Autour de moi, dans l'obscurité, je distingue de nombreux yeux jaunes. Des yeux jaunes qui luisent telles des étincelles noircies de rage. Je n'ose pas me lever, je n'ose pas les affronter, ils sont si nombreux à me fixer, là, en apparence. Je sais qu'ils vont me suivre où que j'aille là, tapis dans l'ombre. Tels des fauves à l'allure lente mais déterminée, ils vont m'encercler avant de me maintenir contre le sol. Et leurs crocs dans ma gorge. Et le sang qui va gicler contre leur fourrure sombre. De l'assaut je ne sortirai indemne.

 

Sur le banc des accusés, je plaide coupable. Coupable d'avoir trop rêvé. Coupable car dans ce monde-là, c'est interdit, en aucun cas autorisé. J'ai volé trop haut, et je me suis brûlée. Que font-ils faire de moi ? Préparent-ils un échafaud, vont-ils me couper la tête à moi aussi ? Leurs regards me fixent, pas jaunes mais multicolores. Leurs traits sont durs, fermes, ils n'iront pas me chercher de circonstance atténuante, ils n'iront pas creuser mon histoire pour y déceler des indices allant en mon sens. Je lis dans leurs yeux que je suis condamnée avant l'heure du verdict. Peut-être vais-je finir dans le long couloir de la mort. Je l'aurai bien mérité.

 

« Je commençais à ne plus voir, à ne plus entendre. Toutes ces voix, toutes ces têtes aux fenêtres, aux portes, aux grilles des boutiques, aux branches des lanternes : ces spectateurs avides et cruels ; cette foule où tous me connaissaient et où je connaissais personne ; cette route pavée et murée de visages humains… J'étais ivre, stupide, insensé. C'est une chose insupportable que le poids de tant de regards appuyés sur vous. » écrivait Hugo

 

Les menottes m'ont déchiré les poignets. Là où gisaient de vieilles cicatrices, blanchies par le temps. Mes chevilles me font mal également. Je ne suis plus qu'un tas de douleur, un tas de souffrance, qui ne lutte plus pour sa liberté. Et de quelle liberté parle-t-on d'ailleurs ? Nous sommes tous coupables de quelque chose, mais la plupart et gardent la tête sur leurs épaules. Moi j'ai osé défier la vie, j'ai osé défier l'avenir, j'ai tenté une brèche pour m'enfuir hors de ces murs épais et gris. Mais dans cette société-là, il faut baisser les yeux, il faut dire amen, il faut souffrir et en être reconnaissant.

 

A mort !

On me ramène dans ma cellule. On me presse pour que je marche plus vite, mais la rouille me cisaille.

Oui. J'ai accroché des chaînes à mes chevilles. J'ai jeté les clefs du haut de ma tour dorée, je marche d'un pas lent, car à chaque enjambée la douleur me lance. Je sais qu'ils attendent que l'on trouve un matin ou un soir pour me décapiter. Le spectacle leur fera à tous du bien, j'entends les échos de leurs cris même si ma prison n'a nulle fenêtre, nulle lueur, nulle lumière.

 

Demain sans doute m'emporteront-ils. Et il n'y aura personne pour sauver une sorcière. Je garderai cependant ma dignité, trébuchant la tête haute.

 

Oui, cette tête haute qui me sera coupée.


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